Dans un texte inédit, Chimamanda Ngozi Adichie ("L’autre moitié du soleil") raconte la mort de son père et la douleur d’un deuil qui n’en finit pas.
Un déracinement brutal. C’est ainsi que Chimamanda Ngozi Adichie décrit la mort soudaine et inattendue de son père dans "Notes sur le chagrin". Sur les quelques pages de cet essai bref mais incisif, l’autrice de "Nous sommes tous des féministes" s’est penchée sur la terrible douleur qui l’a saisie le 10 juin 2020, jour du décès de James Nwoye Adichie, et qui ne l’a jamais complètement quittée depuis. Avec ses mots à la fois tendres et cruels, elle raconte son deuil, chargé de colère, lourd, insoluble et rendu encore plus difficile par les circonstances de la pandémie. Habitant depuis une vingtaine d’années aux États-Unis (une expérience qui a inspiré son roman "Americanah"), l’autrice n’a pas pu rejoindre sa famille au Nigéria au décès de son père, la crise sanitaire ayant figé le trafic aérien du pays. C’est par Zoom qu’elle apprend la nouvelle, c’est par Zoom qu’elle organise à distance les obsèques de cet homme qu’elle a tant admiré — une expérience qu’elle décrit comme terriblement aliénante.
Criant sa colère, sa tristesse et son incompréhension face à cette terrible disparition, Adichie évoque des sensations et des réflexions qui seront sans doute familières à toute personne ayant perdu un être cher. Comment la mort semble absurde et impossible. Comment le poids du deuil est plus lourd au matin, lorsque notre esprit s’éveille dans un monde sans l’autre. Comment les mots de condoléances peuvent faire souffrir plus qu’ils ne soulagent. Comment il nous arrive d’oublier le décès de la personne pendant quelques instants avant de, cruellement, s’en rappeler.
L’autrice ne prétend cependant pas que son vécu est universel. Au contraire, elle a plutôt tendance à revendiquer son deuil comme lui étant propre, à décrire son expérience dans ce qu’elle a de spécifique. Un chagrin n’est pas un autre. Le sien est animé par les souvenirs de ce père qu’elle a tant aimé. Par le texte, elle se remémore ses gestes, ses mots, ses sudokus, ses réactions et toute une multitude des traits de personnalité bien vivants dans son esprit à elle. "J’écris sur mon père au passé, et je n’arrive pas à croire que j’écris sur mon père au passé" note l’autrice. L’hommage qu’elle lui offre dans ce texte puissant n’a pas dû être facile à écrire, mais c’était de toute évidence un acte nécessaire.