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"Notre-Dame de Paris" : la chanson "Belle", aussi indécente que l'œuvre littéraire de Victor Hugo ?

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Belle, extrait de la comédie musicale Notre-Dame de Paris, a suscité un véritable engouement en 1998. Composée par Richard Cocciante et écrite par Luc Plamondon, elle s'inspire d'un chapitre du chef-d'œuvre littéraire du même nom de Victor Hugo. Mais respecte-t-elle pour autant le récit original ? Analyse dans Entrez Sans Frapper.

Difficile, pour les admirateurs de Victor Hugo, de voir un monument de la littérature mondiale de 600 pages réduit en un tube de 4 minutes, interprété par Garou, Daniel Lavoie et Patrick Fiori. On ne peut cependant ignorer le succès phénoménal remporté par la chanson.

En outre, cette chanson est inspirée du chapitre 6 du livre huitième, chapitre intitulé Trois cœurs d’hommes faits différemment… Il relate le passage où Esméralda, condamnée, est amenée en place publique, la corde au cou, pour être exécutée, et où les trois personnages de la chanson assistent au spectacle macabre. Une adaptation fidèle à l'œuvre publiée en 1831 par le célèbre écrivain et dramaturge ?

L'œuvre de Victor Hugo inspirante pour la variété française

Les comédies musicales continuent à séduire le public. En témoigne encore la sortie d'une nouvelle version de Starmania. Le succès de Belle a été tel qu’il a attiré les curieux qui en ont livré des versions excentriques, comme cette version zouk-love de Franky Vincent, dans un registre propre à ce dernier et bien éloigné de l'écriture tragique du chef-d'œuvre littéraire.

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Victor Hugo avait pourtant déjà connu une reprise d'un autre de ses tous grands classiques. En 1980, Robert Hossein montait Les misérables, comédie musicale de Claude-Michel Schönberg, avec, dans le casting original, Michel Sardou dans le rôle d’Enjoiras…

La version anglaise des Misérables reste même un des succès les plus importants de l’histoire du théâtre à Londres où le spectacle est encore et toujours à l’affiche depuis 1985.

Par ailleurs, Victor Hugo a lui aussi été adapté en chansons. Notamment par Serge Gainsbourg qui interprète le poème La chanson de Maglia en 1961.

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Une femme jugée sorcière tentatrice telle que déploré par Victor Hugo

Concernant Belle, pour l'écrivaine et critique française Danièle Casiglia-Laster de la Société des amis de Victor Hugo, "cette adaptation de l’œuvre a fait événement et touché un public si large qu'on ne peut ni ignorer une vision aussi populaire de l'intrigue et des personnages de Hugo ni s'en désintéresser", écrit-elle sur le site de l'association.

Dans le récit de Notre Dame de Paris, Belle met en scène les tourments de trois hommes, Quasimodo, Frollo et Phoebus, tous amoureux du personnage d’Esmeralda. Trois hommes qui, à tour de rôle, prennent la parole pour dire leurs tiraillements à aimer une femme qu’ils ne peuvent pas aimer.

L’un parce que c’est un monstre bossu qui croit en Dieu (Quasimodo), l’autre parce qu’il est le représentant de Dieu (l’archidiacre Claude Frollo) et le troisième parce qu’il est déjà fiancé et promis à la jeune Fleur de Lys. Et toute la chanson est construite sur l’aveu de ces hommes à ne pas savoir résister à cette femme qui est, évidemment, décrite comme la tentatrice.

Tout ce qu’ils vont déclarer dans la chanson n’a rien de surprenant et correspond assez bien au trafic de sentiments suscité par le personnage d’Esmeralda dans le roman de Victor Hugo qui se déroule en 1482. Donc #MeToo, on oublie... Dans le roman, Esmeralda est montrée comme l’étrangère provocatrice. Quand Quasimodo chante : "Quand elle danse et qu’elle met son corps à jour (…) alors je sens l’enfer s’ouvrir sous mes pieds", il nous dit que la danse d’Esmeralda dévoile son corps et que ce corps est un appel de l’enfer.

Frollo le prêtre chante : "Est-ce le diable qui s'est incarné en elle ? Pour détourner mes yeux du Dieu éternel ?" Il nous dit que la beauté d’Esmeralda est synonyme de séduction, mais de séduction dans le sens biblique du terme, c’est-à-dire une manifestation du diable. Il nous dit aussi que, si les hommes succombent, ce n’est pas de leur faute, c’est qu’ils sont victimes de la femme qui "porte en elle le péché originel". Mais, une fois de plus, tout cela n’a rien d’étonnant qu’on renvoie cette image de la femme étrangère dont il faut se méfier. C'est ce que voulait dénoncer Hugo lorsqu’il fait d’Esmeralda une femme accusée de sorcellerie... Et on sait ce qu’il en est du statut de 'sorcière' dans l’histoire des femmes.

Victor Hugo aussi ne lésinait pas sur les métaphores sexuelles

Ce qui surprend, ce sont les métaphores sexuelles qui rythment la confession des trois hommes.

Le premier dit : "Ô Lucifer. Oh laisse-moi, rien qu'une fois / Glisser mes doigts dans les cheveux d'Esméralda". Sûrement le commentaire le plus chaste des paroles.

Le deuxième va encore plus loin : "Ô Notre-Dame. Oh laisse-moi rien qu'une fois / Pousser la porte du jardin d'Esméralda". On imagine aisément la métaphore de la porte du jardin : on penserait à la pénétration qu’on jugerait visiblement juste.

Enfin, le troisième dit : "Ô Fleur-de-Lys, je ne suis pas homme de foi / J'irai cueillir la fleur d'amour d'Esméralda". Ici, on pense à l’idée de virginité, idée soulignée par le questionnement du personnage qui chante "La demoiselle serait-elle encore pucelle ?".

Ces signes de sexualité se trouvent-ils dans le roman de Victor Hugo ? En réalité, des allusions au désir sexuel, dans le chapitre 6 concerné par la chanson, il y en a, et pas seulement sur la personne d’Esméralda, mais aussi sur celle de Fleur-de-Lys. Exemple : "Phoebus était revenu s’accouder au dossier de la chaise de sa fiancée – poste charmant d’où son regard libertin s’enfonçait dans toutes les ouvertures de la collerette de Fleur-de-Lys (…) et lui laissait voir tant de choses exquises et lui en laissait deviner tant d’autres". Sur Esméralda, le curé Frollo s'extasie aussi : "L’archidiacre s’approcha d’elle (…) elle le vit promener sur sa nudité un œil étincelant de luxure, de jalousie et de désir".

La preuve en est : même si Victor Hugo, c’est mieux écrit que Luc Plamondon, arrêtons de faire les prudes amateurs de mots croisés et de belles reliures : du cul, y’en a chez Victor Hugo. Et donc, il y en a dans Belle.

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