"Nous sommes des enfants de la guerre" : comprendre la colère kurde après l'attentat de Paris

À 30 ans, cette femme est maintenant belge et francophone à Bruxelles mais ses premières années, elle les a vécues dans un camp de réfugiés en Irak. Elle ne se souvient pas de son père, tué pendant la guerre avec la Turquie mais elle se souvient de sa maman, morte aussi dans le camp de réfugiés, faute de soins suffisants face à la maladie. 

Voici comment réagit Esther aux attaques de Paris, à la lumière de son histoire personnelle et de l'histoire de sa communauté. 

"Je suis une enfant de la guerre", explique-t-elle. "Et après cette attaque à Paris, je suis très en colère. Je n’ai pas dormi pendant deux jours parce que je me dis qu’au final c’est notre destin. On va vivre ça tout le temps et on n’aura jamais la paix. Ça m’attriste."

On n’aura jamais la paix

De nombreux Kurdes en sont persuadés : cette attaque à Paris les visait directement. Ils sont nombreux à rejeter l'explication du "simple" crime raciste. Les autorités judiciaires françaises n'ont pas tranché la question et sont restées vagues sur les motivations du tueur. Une haine viscérale des étrangers semble être, pour le moment, le seul élément formulé par l'accusé. Il y a un an, il attaquait un campement de migrants au sabre. Ses victimes n'étaient pas du tout kurdes. 

"Mais ici, il est rentré dans trois lieux tenus par la communauté kurde", renchérit Esther. "Ça ne peut pas être un hasard. En plus nous sommes tout juste dix ans après un premier attentat contre les Kurdes à Paris." Pour Esther comme pour beaucoup de Kurdes, l'attaque n'a pas été perpétrée au hasard. Même si aucun élément de preuve ne permet de le confirmer.

Si je me sens en sécurité? pas du tout.

"On est un peuple qui vit la guerre au quotidien dans notre pays et donc si on vient ici, c’est pour trouver un peu de sécurité et vivre comme des gens normaux mais avec ce qu’il se passe, on n’est plus dans cette sécurité qu’on voulait trouver en arrivant ici. Aujourd’hui, si vous me demandez si je me sens en sécurité... je réponds: pas du tout."

"On est toujours criminalisés", se lamente Esther. "On peut être dans n’importe quelle profession – médecins, avocats, etc. – quand vous dites que vous êtes Kurde, vous êtes criminalisé. Et d’ailleurs j’ai suivi des thérapies parce que j’étais Kurde. Parce que je ne me sentais pas bienvenue."

Un statut de terroriste alors que je suis une enfant

"Je me souviens que ça a été très bouleversant vers 11-12 ans de remarquer que quelque chose que je n’ai même pas choisi, me mettait dans un statut de terroriste, alors que je suis juste une enfant comme tous les autres. Il faut vraiment qu’une compréhension des deux côtés s’installe entre les peuples (turc et kurde, ndlr) et qu’on puisse vraiment vivre en harmonie et en paix parce que c’est tout ce qu’on recherche. En tout cas, personnellement, c’est tout ce que je cherche."

L'histoire kurde est marquée par des conflits avec l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Turquie. Le Kurdistan en tant que tel n'est pas un pays, mais une communauté installée sur le territoire de quatre États. Des guerres, des massacres, des bombardements et des attaques terroristes s'y multiplient depuis des dizaines d'années. La Turquie d'Erdogan est notamment en guerre contre le PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, accusé d'attentats sur le sol turc.