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Numéro de charme diplomatique, mercenaires, livraisons d’armes, opérations minières : comment la Russie étend son influence en Afrique

Sergei Lavrov et le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop à Bamako le 7 février.

© AFP – Russian Foreign Ministry

Par Jean-François Herbecq

Mali, Mauritanie, Soudan : la Russie mise sur l’Afrique. La tournée africaine que termine le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov le montre au grand jour. Moscou ne se cache plus.

Au Soudan, le chef de la diplomatie russe chante les louanges du groupe paramilitaire Wagner et soutient la fin des sanctions de l’ONU. Au Mali, il est accueilli en grande pompe et multiplie les promesses d’aide.

Et la Russie soigne aussi ses relations avec le Burkina Faso et la République centrafricaine, considérée comme le laboratoire de Wagner sur le continent africain, avant de s’étendre à des pays comme le Mali et le Burkina.

Un grand frère présent sur tous les fronts

Des pays qui ont rompu leur alliance militaire avec la France, et qui se tournent à présent vers la Russie. Jusqu’ici, l’aide militaire russe restait discrète, avec des accords économiques dans l’énergie, le nucléaire, la santé comme avec le vaccin Sputnik, des livraisons d’armes, l’envoi "d’instructeurs", en fait des hommes de l’armée privée Wagner. Bamako, Ouagadougou et Khartoum nient la présence de mercenaires russes. Moscou dément tout lien avec ces sociétés militaires privées…

Présence Russe en Afrique, dans les domaines militaires, agricole, nucléaire, énergétique
Présence Russe en Afrique, dans les domaines militaires, agricole, nucléaire, énergétique © RTBF G. Kounda

Mais ce mardi, au Mali, Sergueï Lavrov promet son aide "à la région sahélo-saharienne et même aux pays riverains du golfe de Guinée". Au Soudan, il défend les opérations du groupe paramilitaire Wagner en Afrique, "déployé à la demande des gouvernements" et "contribuant à normaliser la situation dans la région" face à la menace "terroriste".

Cette tournée de Sergueï Lavrov est la troisième en 7 mois. Avant cela, il était passé en Afrique du Sud, en Erythrée, en Angola, au Eswatini, puis au Congo-Brazzaville, en Ouganda, en Ethiopie. Question de rassurer les pays africains sur les exportations de céréales en pleine guerre en Ukraine. Et il devrait bientôt passer au Maroc, en Tunisie, avec en prime un deuxième sommet Russie-Afrique fin juillet en Russie.

Après avoir avancé à couvert, avec des mercenaires et des campagnes de désinformation, la Russie se lance ouvertement en Afrique.

Jusqu’à l’an dernier, les visites avaient plutôt lieu dans l’autre sens : des dirigeants africains se rendaient à Moscou, comme Macky Sall, le président sénégalais, venu en sa qualité de président de l’Union africaine parler avec Vladimir Poutine du déblocage de l’exportation des denrées alimentaires.

Quelle est la motivation de la Russie ?

Moscou peut y affirmer son discours sur la guerre en Ukraine, une guerre qu’elle qualifie de "défensive" face à l’Otan, alliance de pouvoirs occidentaux postcoloniaux. Cela fait aussi écho à l’héritage soviétique décolonial… Aujourd’hui, ce n’est plus un internationalisme communiste, mais tout de même une proposition alternative à celle de l’Occident. Il s’agit de montrer que la Russie n’est pas isolée au plan mondial.

Le narratif russe fonctionne sur le continent africain : aider les laissés-pour-compte, c’est un discours qui ne peut que plaire à tous les États qui ne sont pas au G7.

Sergei Lavrov et le ministre faisant fonction des Affaires étrangères Ali al-Sadiq, à Khartoum le 9 février.
Sergei Lavrov et le ministre faisant fonction des Affaires étrangères Ali al-Sadiq, à Khartoum le 9 février. © AFP – RUSSIAN FOREIGN MINISTRY

Le bénéfice serait aussi d’avoir un accès facilité aux matières premières africaines, en contournant les sanctions occidentales. Comme l’or du Soudan, via M-Invest, accusée par les États-Unis de couvrir les activités de Wagner, ou les diamants centrafricains.

Au passage, il s’agit aussi de décrocher quelques alliances militaires comme avec l’Afrique du Sud ou le Soudan. Serguei Lavrov ramène un accord pour créer au Soudan un centre de logistique pour la marine russe qui souhaite de longue date renforcer sa présence en mer Rouge.

Pour les dirigeants africains des pays concernés, la Russie est le premier fournisseur d’armes du continent, là aussi, une tradition héritée du passé soviétique. Enfin, tous ces hommes forts au pouvoir en Afrique sont assez en phase avec le style de gouvernement de Vladimir Poutine.

Sergei Lavrov et le ministre mauritanien des Affaires étrangères Mohamed Salem Ould Marzouk à Nouakchott le 8 février.
Sergei Lavrov et le ministre mauritanien des Affaires étrangères Mohamed Salem Ould Marzouk à Nouakchott le 8 février. © AFP – Russian Foreign Ministry

Une place prise à la France

Une série de coups d’État au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, et l’instabilité du Sahel en proie à la violence jihadiste, fait aussi le lit de la présence russe.

Après le Mali, le Burkina a été ensanglanté par les violences jihadistes et vient de demander le départ des 400 membres des forces françaises de son territoire, sans pour autant envisager la rupture des relations diplomatiques avec la France, dans la région où elle est de plus en plus vilipendée.

La Françafrique n’a plus la cote et les pays africains ont la volonté de se rendre autonomes dans leurs politiques. Enfin la France n’a pas réussi à faire cesser la violence jihadiste, mais rien ne dit que les troupes envoyées par Moscou feront mieux, comme on a pu le voir avec l’échec de Wagner face aux Shabaab au Mozambique ou en Libye dans leur aide sans effet au général Khalifa Haftar.

"Là où Wagner s’est montré plus efficace qu’ailleurs, c’est dans le Donbass en Ukraine et en Syrie, lorsque les mercenaires avaient le soutien des forces russes", explique Arnaud Dubien, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques, "mais au Mali, ce n’est pas le cas. En revanche, ce qu’ils font bien, c’est assurer la sécurité des autorités locales, la formation, l’entraînement".

Vincent Hugeux, grand reporter, auteur du livre "Tyrans d’Afrique" confirme ceci : "Leur capacité opérationnelle à éradiquer un fléau djihadiste est limitée. Wagner doit encore prouver sa capacité à répondre à une conflictualité inédite de groupuscules qui sont parfaitement mobiles et maîtres d’une topographie compliquée".

Et enfin, la Russie n’est pas en mesure de ravir la première place de donateurs et de soutien économique à l’Europe et aux États-Unis, ni celle d’investisseur à la Chine, dotée d’une puissance économique dix à quinze fois supérieure.

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