Un jour dans l'histoire

Okhrana : police secrète des tsars… et mère de toutes les polices politiques ?

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17 février 1880, Saint-Pétersbourg. Une gigantesque explosion ravage un étage entier du palais du tsar Alexandre II. Une commission de lutte contre les crimes d’État est instituée et donne naissance à l’Okhrana, une police secrète, véritable machine répressive ne reculant devant aucun moyen : fausses conspirations, interception de correspondances et aussi collaboration avec les organes de sécurité d’autres pays. Alexandre Sumpf, historien et maître de conférences à l’Université de Strasbourg, auteur de Okhrana : La police secrète des tsars a enquêté sur le sujet.

C’est le groupe 'la Volonté du Peuple', un mouvement révolutionnaire russe qui revendique l’attenta de Saint-Pétersbourg. Même si le Tsar et sa famille ne sont pas touchés, il leur faut réagir.

Un général de carrière propose de professionnaliser leur défense. Il s’agit de recruter parmi les policiers et gendarmes, les meilleurs enquêteurs de manière à anticiper tout nouveau risque. L’Okhrana, la police politique secrète de l’Empire russe est née.

Malgré cette police, le tsar Alexandre II sera assassiné en 1881. Son successeur, Alexandre III permet une radicalisation de l’Okhrana avec l’amplification des moyens. Un réseau est créé à travers tout l’Empire qui est alors constitué de la Finlande, la Pologne, des pays baltes. On décide d’infiltrer des agents et de "faire des renseignements" au sein de tous les mouvements révolutionnaires.

Alexandre Sumpf révèle : "L’objectif des infiltrés est de pousser à commettre des attentats, des complots afin de prendre en flagrant délit les terroristes. Un autre moyen est le principe de la provocation qui consiste à laisser se développer un mouvement de manière à le liquider plus complètement par la suite".

Une explosion survenue à Saint-Pétersbourg tua le tsar le 13 mars 1881.
Une explosion survenue à Saint-Pétersbourg tua le tsar le 13 mars 1881. © Fotosearch/Getty Images

Des pratiques souvent interdites par la loi

La systématisation de la surveillance de personnalités considérées comme dangereuses mais aussi des personnalités du monde politiques et de la culture, l’ouverture de la correspondance privée, la création d’un immense fichier de "Qui est qui" vont faire de l’Okhrana, l’embryon d’un Etat de surveillance tel qu’on le connaîtra dans le régime de l’Union soviétique.

Même si la plupart des pratiques de l’Okhrana sont interdites par la loi, elle a très vite à sa disposition des moyens illimités et la protection de ses chefs. L’aide de volontaires parmi la population ou de Russes présents à l’étranger concoure aussi à son succès.

Mais la montée en puissance de cette police secrète n’est pas au goût de tous. Se débarrasser 'des gêneurs' même très haut placés est une tentation… Le Premier ministre Stolypine est assassiné en 1911. L’Okhrana était au courant, mais n’est pas intervenue.

© Grant Faint / Getty Images

Le modèle russe pousse d’autres polices à se professionnaliser

L’intensité des actions et la quantité des infiltrés, le service d’agents doubles, voire triple s’étendent de façon remarquable chez les autres polices politiques européennes, sous l'impulsion de l'Okhrana. Le besoin de contrôle des Russes les amène à proposer par deux fois aux autres puissances occidentales une sorte d’ébauche d’Interpol, une police européenne antiterroriste. Ce qui leur sera refusé même si des collaborations auront lieu. "Des échanges rendus qui en appellent d’autres en échange" explique Alexandre Sumpf.

Peu à peu, comme c’est le cas aujourd’hui, cette police secrète étend ses méthodes afin d’assurer la protection générale de l’Etat. Mais en privilégiant ses intérêts, l’Okhrana signe son arrêt de mort. En 1917, lors de la révolution bolchévique, elle est une des premières institutions de l’ancien régime à être démantelée par décret du gouvernement provisoire au mois de mars.

Si ses méthodes ont inspiré les polices secrètes de plusieurs pays, on ne peut toutefois pas établir une analogie de cet organisme avec les services secrets soviétiques qui lui ont succédé, précise l’historien français : "Les deux guerres mondiales ont participé à cette radicalisation des moyens utilisés […] Il y avait quand même une limite, je ne sais pas dans quelle mesure elle est franchie ou pas aujourd’hui, très nette au sein de l’Okhrana : on ne pratiquait pas l’élimination, ni de ses propres agents, ni surtout de ses adversaires […] Il n’y avait pas d’assassins professionnels, c’est une grande différence avec ce qu’il se passe après la Première Guerre mondiale et notamment avec les pratiques d’enlèvements des services secrets soviétiques, ce qui n’était pas le cas sous le tsar, et ensuite la pratique des exécutions soit sur place, soit dans les geôles du NKVD (NDLR : l’ancêtre du KGB)".

► Découvrez l’entièreté de cet entretien dans le podcast ci-dessus.

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