L’Agenda Ciné : En filmant Olga, votre héroïne, vous créez une tension proche de celle que l’on pourrait vivre en regardant un thriller.
Elie Grappe : Ça me fait très plaisir que vous parliez de thriller. Il était important de ne pas être dans la fascination. J’entends par là qu’il fallait trouver la bonne distance, être vraiment dans l’exercice de la gym, plus que dans la fascination de la gym en tant que telle. Que l’on soit AVEC l’expérience d’Olga.
Ce qui m’intéressait c’était les interstices, les chutes, ce qui se passe juste après, les préparations, les regards entre camarades…
Quant à la façon de filmer le corps d’Olga, il était important d’être dans cette recherche d’équilibre, de légèreté qu’elle fait… et se retrouver du coup dans son propre vertige. Il s’agissait de s’approcher de cette expérience-là.
Ce fut aussi un exercice de point de vue. Il ne fallait jamais la surplomber, être à sa hauteur. Il s’agissait aussi de se laisser un peu guider par ces interprètes qui avaient autrement plus d’expérience que moi à cet endroit !
Dans un premier film, on raconte souvent sa propre histoire. Si Olga semble très loin de votre vécu, qu’est-ce qu’il a de très personnel ?
Le lien avec des questions très personnelles est évident pour moi. Mais j’avais l’impression qu’une fois dit ça, je n’avais pas dit grand-chose !
Venant du documentaire, j’avais envie de rester dans cette démarche-là. Sur l’Ukraine, j’ai eu pour conseil une historienne, une sociologue, un cinéaste. De même pour la gymnastique. Ça m’obligeait à m’entourer, dès le début du processus, de nombreux Ukrainiens et Ukrainiennes, de gymnastes, de coachs qui allaient effectivement me livrer ce qu’était leur expérience. C’était aussi une manière pour moi, d’avoir de l’humilité par rapport au sujet que j’approchais.
Mais dans la continuité de ce que j’avais fait sur la danse classique à l’occasion de mon court-métrage de fin d’études, la gymnastique parle encore de cette exigence que peuvent s’imposer à eux-mêmes de tout jeunes gens au nom de leur passion.
Pour revenir au côté " thriller " de votre film, vous donnez effectivement à voir l’exigence du sport de haut niveau avec ce risque toujours présent de la blessure.
Il était important de montrer cette pratique comme une discipline vraiment ambivalente. C’est ce qui tient Olga - un endroit d’expression, un endroit où elle a l’impression de s’accomplir – et c’est l’endroit qui, aussi, la met en danger.
S’il peut y en avoir des abusifs, je voulais également raconter cette figure de coach qui a envie de faire le mieux possible son travail, d’accompagner au mieux ces athlètes dans une discipline qui elle-même porte une violence.
Si la pratique est dure, Olga l’est également avec elle-même. Il y a sa détermination et le prix à payer pour cette détermination. Je tenais à montrer cela du point de vue d’une adolescente, sans que la discipline ou l’institution ne soient nécessairement une source d’oppression. Montrer l’adolescence comme un âge de passion et d’exigence où l’on cherche son désir et où l’on est prêt à se faire mal pour cela.
L’adolescence est l’endroit d’une contradiction : elle correspond au pic d’une carrière de gymnaste, quand c’est le moment où l’identité est trouble, parce que le corps change.
Pour vous, quel est le moment le plus important quand on fait un film ?
Le casting, le moment où l’on choisit les gens à qui on va devoir faire confiance, et auprès desquels on aura une grande responsabilité pour que elle ou il nous fasse confiance. Les personnages vont être pris en charge par ces personnes-là, avec ce que sont ces personnes-là… on ne pourra pas se battre contre ça.
Après avoir écrit le scénario, le casting est le moment crucial où l’on va lâcher quelque chose.
Quel fut le point de départ de votre film ? La gymnastique ? L’Ukraine ? L’adolescence ?...
Plutôt l’Ukraine. Avec comme point départ, la rencontre de la protagoniste de mon dernier court-métrage documentaire situé dans l’univers d’un orchestre, une violoniste arrivée en Suisse juste avant le début de la révolution. Elle me parlait des images reçues via internet et comment les images l’avaient imprégnée jusque dans sa pratique quotidienne du violon. Comment d’un coup, elle s’est sentie non seulement violoniste, mais aussi Ukrainienne, sans trop savoir ce que cela voulait dire et avec toutes les questions, les questions intimes que ça brassait chez elle.
C’était en fait un récit d’exil, et pour moi la meilleure façon de transmettre ce qui m’avait bouleversé dans son récit, c’était d’être le plus spécifique possible sur cette histoire ukrainienne. La gymnastique est venue après ne plus vouloir travailler sur la danse ou la musique classique que j’avais déjà abordées.
Partez sans hésiter à la découverte de ce magnifique film.