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Olga : quand sport et politique ne font pas bon ménage

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Ukraine 2013. Olga, 15 ans, est une gymnaste de haut niveau. Au sein de l’équipe nationale, elle s’entraîne dur, rêvant de rapporter une médaille à son pays aux prochains championnats d’Europe en attendant les Jeux Olympiques.

Sa mère, qui l’élève seule, est une journaliste politique accaparée par les enquêtes qu’elle mène sur le régime du Président à la tête du pays, le très contesté Viktor Lanoukovytch.

Sa pugnacité à dénoncer la corruption au plus haut niveau de l’État et à couvrir le mouvement populaire qui s’amorce lui vaut d’être directement menacée.

Par sécurité Olga est envoyée en Suisse, pays d’origine de son défunt père, pour poursuivre son entraînement avec l’équipe helvétique de gymnastique.

Pour la jeune fille, le dépaysement est total et se révèle difficile à vivre…

Portrait d’une jeune fille en feu

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À 15 ans, la gymnastique c’est, avec sa maman, toute la vie d’Olga.

Son quotidien rythmé par les entraînements rime avec rigueur, discipline et concentration. Et si le fracas du monde s’invite dans sa vie, c’est quand sa maman très (trop ?) engagée dans son métier de journaliste ne peut venir la voir en compétition.

Alors quand pour sa protection l’exil s’impose, la vie d’Olga en est complètement chamboulée. Elle doit s’adapter à un nouvel environnement, à d’autres exigences, se faire comprendre dans une langue qu’elle ne maîtrise pas. Au déracinement s’ajoute, le manque du pays, de ses amies et bien sûr le manque de sa mère, avec l’inquiétude de la savoir en danger. Olga va réaliser que seules sa seule force de travail et sa volonté de réussir ne suffiront pas à surmonter tout cela. Et que pour s’accomplir pleinement et trouver sa place, elle devra s’engager, elle aussi, et autrement que dans sa discipline.  

Juste au corps

Qu’il s’agisse d’un athlète, d’une journaliste, d’un peuple, Elie Grappe filme l’engagement.

Prenant pour cadre ce qui a véritablement secoué l’Ukraine en 2013 - ce mouvement baptisé Euromaïdan, qui aboutira au renversement du régime pro russe de Viktor Lanoukovytch et par la suite à l’annexion de la Crimée par Moscou - le jeune réalisateur français nous attache à cette jeune gymnaste bousculée par la grande histoire.

Sa caméra, au plus près de son héroïne, capte le conflit intime et personnel qui l’agite tout autant qu’elle donne à voir ce que sont un corps et un esprit aux prises avec une exigence extrême, celle du sport de haute compétition. Pour l’aider il y a l’incontestable charisme de son interprète, Anastasia Budiashkina, actrice non professionnelle, mais véritable gymnaste dans l’équipe de réserve ukrainienne. Parallèlement, et comme si là aussi le documentaire s’invitait dans la fiction, il nous rappelle, grâce à des images d’archives, ce moment qui agita ce pays si voisin de l’Europe.

Olga, récompensé par le prix SACD à Cannes cette année, et sélectionné par la Suisse pour la représenter aux prochains Oscars, est un premier film qui frappe fort et juste, marqué par la grâce de sa jeune héroïne.

L’Agenda Ciné a rencontré Elie Grappe, 27 ans, un réalisateur à suivre assurément...

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L’Agenda Ciné :  En filmant Olga, votre héroïne, vous créez une tension proche de celle que l’on pourrait vivre en regardant un thriller.

Elie Grappe : Ça me fait très plaisir que vous parliez de thriller. Il était important de ne pas être dans la fascination. J’entends par là qu’il fallait trouver la bonne distance, être vraiment dans l’exercice de la gym, plus que dans la fascination de la gym en tant que telle. Que l’on soit AVEC l’expérience d’Olga.

Ce qui m’intéressait c’était les interstices, les chutes, ce qui se passe juste après, les préparations, les regards entre camarades…

Quant à la façon de filmer le corps d’Olga, il était important d’être dans cette recherche d’équilibre, de légèreté qu’elle fait… et se retrouver du coup dans son propre vertige. Il s’agissait de s’approcher de cette expérience-là.

Ce fut aussi un exercice de point de vue. Il ne fallait jamais la surplomber, être à sa hauteur. Il s’agissait aussi de se laisser un peu guider par ces interprètes qui avaient autrement plus d’expérience que moi à cet endroit !  

 

Dans un premier film, on raconte souvent sa propre histoire. Si Olga semble très loin de votre vécu, qu’est-ce qu’il a de très personnel ?

Le lien avec des questions très personnelles est évident pour moi. Mais j’avais l’impression qu’une fois dit ça, je n’avais pas dit grand-chose !

Venant du documentaire, j’avais envie de rester dans cette démarche-là. Sur l’Ukraine, j’ai eu pour conseil une historienne, une sociologue, un cinéaste. De même pour la gymnastique. Ça m’obligeait à m’entourer, dès le début du processus, de nombreux Ukrainiens et Ukrainiennes, de gymnastes, de coachs qui allaient effectivement me livrer ce qu’était leur expérience. C’était aussi une manière pour moi, d’avoir de l’humilité par rapport au sujet que j’approchais.

Mais dans la continuité de ce que j’avais fait sur la danse classique à l’occasion de mon court-métrage de fin d’études, la gymnastique parle encore de cette exigence que peuvent s’imposer à eux-mêmes de tout jeunes gens au nom de leur passion.

 

Pour revenir au côté " thriller " de votre film, vous donnez effectivement à voir l’exigence du sport de haut niveau avec ce risque toujours présent de la blessure.  

Il était important de montrer cette pratique comme une discipline vraiment ambivalente. C’est ce qui tient Olga - un endroit d’expression, un endroit où elle a l’impression de s’accomplir – et c’est l’endroit qui, aussi, la met en danger.

S’il peut y en avoir des abusifs, je voulais également raconter cette figure de coach qui a envie de faire le mieux possible son travail, d’accompagner au mieux ces athlètes dans une discipline qui elle-même porte une violence.

Si la pratique est dure, Olga l’est également avec elle-même. Il y a sa détermination et le prix à payer pour cette détermination. Je tenais à montrer cela du point de vue d’une adolescente, sans que la discipline ou l’institution ne soient nécessairement une source d’oppression. Montrer l’adolescence comme un âge de passion et d’exigence où l’on cherche son désir et où l’on est prêt à se faire mal pour cela.

L’adolescence est l’endroit d’une contradiction : elle correspond au pic d’une carrière de gymnaste, quand c’est le moment où l’identité est trouble, parce que le corps change.

 

Pour vous, quel est le moment le plus important quand on fait un film ?

Le casting, le moment où l’on choisit les gens à qui on va devoir faire confiance, et auprès desquels on aura une grande responsabilité pour que elle ou il nous fasse confiance. Les personnages vont être pris en charge par ces personnes-là, avec ce que sont ces personnes-là… on ne pourra pas se battre contre ça.  

Après avoir écrit le scénario, le casting est le moment crucial où l’on va lâcher quelque chose.    

 

Quel fut le point de départ de votre film ? La gymnastique ? L’Ukraine ? L’adolescence ?...

Plutôt l’Ukraine. Avec comme point départ, la rencontre de la protagoniste de mon dernier court-métrage documentaire situé dans l’univers d’un orchestre, une violoniste arrivée en Suisse juste avant le début de la révolution. Elle me parlait des images reçues via internet et comment les images l’avaient imprégnée jusque dans sa pratique quotidienne du violon. Comment d’un coup, elle s’est sentie non seulement violoniste, mais aussi Ukrainienne, sans trop savoir ce que cela voulait dire et avec toutes les questions, les questions intimes que ça brassait chez elle.

C’était en fait un récit d’exil, et pour moi la meilleure façon de transmettre ce qui m’avait bouleversé dans son récit, c’était d’être le plus spécifique possible sur cette histoire ukrainienne. La gymnastique est venue après ne plus vouloir travailler sur la danse ou la musique classique que j’avais déjà abordées.

 

Partez sans hésiter à la découverte de ce magnifique film. 

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