Depuis quelques mois, les témoignages se multiplient sur les réseaux sociaux. Agressions, harcèlement de rue, hommes qui rôdent, … Ralph, étudiant à Louvain-la-Neuve, a décidé d’écrire une lettre ouverte à l’attention des autorités communales, de la police locale et de l’UCLouvain. Il dénonce le manque d’action face à la situation. De nombreuses étudiantes de la cité universitaire se sentent en insécurité, un sentiment qui n’est pas récent.
C’est en effet en voyant tous ces témoignages que Yasmina, amie de Ralph, s’est mise à faire attention dans la rue. Elle a fini par en discuter avec lui. "Il n’était pas du tout au courant de la situation et quand je lui en ai parlé, il était assez choqué. Il m’a dit qu’il fallait faire quelque chose".
Il n’y a pas eu grand-chose de fait
Ralph et des amis ont décidé une nuit d’aller voir ce qu’il se passait. "Ils se disaient, s’ils voyaient des comportements suspects, pourquoi pas prévenir la police et éviter une agression de plus cette nuit-là. Et ils ont trouvé vraiment beaucoup d’hommes dans les rues de Louvain-la-Neuve qui avaient l’air de rôder et qui ont fui en courant quand ils s’approchaient. Ils ont croisé une voiture de police et donc ils ont expliqué aux policiers la situation. Les policiers ont remercié et sont partis voir mais il n’y a pas eu grand-chose de fait".
De son côté, Yasmina a le sentiment que rien ne bouge : "On a l’impression que rien n’est fait mais on ne peut pas continuer à vivre dans la peur comme ça".
Des étudiantes suivies dans la rue
Pour beaucoup d’entre elles, cela se passe dans la rue. C’est le cas de Julie*, qui a été confrontée plusieurs fois à ce genre de situations récemment : "Pendant les vacances de Pâques, je rentrais chez moi après être allée chez une copine et un homme attendait sur la Grand-Place. Quand je suis passée près de lui, il s’est mis à marcher derrière moi et m’a suivie. Heureusement je n’allais pas loin, je suis vite rentrée et il a fait demi-tour dès que je suis arrivée dans le bâtiment. Je l’ai ensuite vu repartir vers la Grand-Place. J’ai aussi connu d’autres situations comme une voiture ralentissant à côté de moi pendant que je courais par exemple". Certaines de ses amies ont elles aussi vécu des expériences similaires, indique la jeune femme.
Même son de cloche pour Léa* qui s’est également fait suivre jusqu’à son kot. "Un matin, en février dernier, un homme m’a salué dans la rue. Par réflexe, j’ai répondu. Il a essayé d’engager la conversation mais je suis montée dans mon kot. Trois heures plus tard, je suis redescendue pour faire une promenade avec une amie", explique-t-elle.
Il m’a fallu plusieurs semaines pour me sentir à nouveau en sécurité sous mon propre toit
En rentrant de promenade, elle a entendu quelqu’un frapper à sa porte. "J’ai ouvert et je suis tombée nez à nez avec cet homme, adossé à l’encadrement avec un grand sourire et me demandant comment j’allais. Heureusement, mon amie était toujours avec moi. Elle m’a alors dit qu’elle l’avait surpris en train de nous épier dans la rue et de repérer quel était mon kot. Depuis, je l’ai recroisé plusieurs fois, avec sa femme et sa petite fille. Il m’a fallu plusieurs semaines pour me sentir à nouveau en sécurité sous mon propre toit, j’avais peur qu’il revienne".
La peur de rentrer seule la nuit
Les témoignages de jeunes femmes se succèdent et se ressemblent. Par exemple, Lisa* s’est fait agresser dans un train en rentrant à Louvain-la-Neuve. Depuis, elle fait très attention. Elle explique être très angoissée. "Quand je me promène dans la rue le soir, il n’y a pas une fois où je ne me fais pas accoster et c’est juste un sentiment d’insécurité qui fait que je n’ose plus me balader seule le soir. Je fais tout le temps attention à être raccompagnée et si ce n’est pas le cas, je suis vraiment très stressée".
Les agressions sont en effet courantes pendant la nuit. Récemment, Emilie* en a subi à deux reprises. La première fois, c’était en septembre dernier. "Je rentrais chez moi et j’étais dans une rue où les voitures peuvent passer. Une voiture s’est arrêtée à ma hauteur et l’homme au volant m’a dit des choses comme 't’es bonne'. Puis, voyant que je ne répondais pas à ses avances, il m’a menacée. Il a arrêté la voiture et il est sorti en disant qu’il voulait me violer. J’ai couru très très vite et je ne l’ai pas revu car j’ai réussi à le semer".
Elle s’est rendue à la police. Ce soir-là, elle a découvert une police compréhensive et accueillante. "C’était l’époque où une Erasmus italienne s’était fait tabasser par un homme qui voulait la violer, et en fait, cela s’est passé la même nuit et la description correspondait. J’ai donc été porté plainte en me disant que c’était peut-être le même type. La police a été très accueillante, j’ai été très bien encadrée et souvent, des psychologues m’appelaient. J’estimais que je n’avais pas forcément besoin de cette aide, j’avais très peur en rentrant le soir, c’est un peu un traumatisme mais cela allait. Mais j’ai reçu pas mal d’appels et j’ai vraiment été étonnée positivement de tout ça".
On s’est rendu compte qu’on était suivis
Sa deuxième agression s’est déroulée la semaine dernière au même endroit. "Il était 2 heures du matin, j’étais avec un ami et on a croisé un homme vraiment bizarre. Puis, on s’est rendu compte qu’on était suivis et mon ami m’a dit de foncer dans le kot. J’ai donc couru me cacher. J’ai une terrasse et en regardant en bas, j’ai vu que le type était caché dans les buissons et qu’il attendait sûrement mon retour".
Cette fois-là, elle a été moins bien reçue par la police. "J’ai porté plainte le lendemain, j’aurais dû aller le jour même mais c’est vrai qu’on n’y pense pas forcément. Et là, j’ai été beaucoup moins bien accueillie. Ils m’ont juste fait sentir que j’étais débile de déclarer le lendemain, ils n’étaient pas très sympas. Je leur ai dit que j’étais un peu choquée et ils m’ont dit que ce n’était pas très malin", explique-t-elle, déçue.
C’était une connaissance
Il ne s’agit pas toujours d’inconnus dans la rue. Il y a quelques mois, Sophie* a été violée dans sa propre chambre. "Il y avait une fête au kot et j’étais allée dormir. Pendant la nuit, l’un des gars présents à la fête s’est introduit dans ma chambre et a fait ça. J’étais en état de sidération, je me suis réveillée mais je n’ai ni bougé ni émis le moindre son, j’étais 'bloquée' en quelque sorte. Le gars en question ne m’était pas inconnu, c’était une connaissance".
Des conséquences lourdes sur les victimes
Il s’est ensuivi une amnésie post-traumatique d’environ un mois et demi. "Une fois que j’ai récupéré mes souvenirs, je me suis souvenue d’une de mes amies qui m’avait parlé de faits similaires avec ce même homme. Après discussion avec elle, je suis allée porter plainte car il semble que ce 'mode opératoire' est récurrent chez lui. Une fois la plainte déposée, j’en ai parlé à mes amis proches et ils avaient entendu des histoires semblables avec cette même personne".
Elle a contacté les filles concernées pour agir ensemble. "Je les ai averties de ma démarche et de la possibilité qu’elles avaient de témoigner dans le même dossier que moi. J’ai donc appris qu’une plainte avait été déposée contre cet homme pour viol déjà deux ans auparavant, mais qu’elle avait été classée sans suite. Au final, plus d’une dizaine de filles sont allées témoigner de viols ou d’agressions qu’elles avaient subis de cet homme". Les procédures sont en cours.
D’après la police d’Ottignies-Louvain-la-Neuve : "Au niveau des faits les plus graves, la victime connaît souvent l’agresseur. Cela peut être une relation amoureuse qui tourne mal etc. C’est assez fréquent par rapport aux rares faits qui nous sont dénoncés, c’est environ un quart d’entre eux".
Peu de plaintes déposées
Amancay Egas Torres est membre du Collectif de Femmes de Louvain-la-Neuve, qui accompagne et guide les victimes. D’après elle, peu de victimes portent plainte : "Seulement 10% vont voir la police, c’est peu. Toutes les autres agressions ne rentrent donc pas dans les chiffres. Mais nous, on voit la différence car on suit les personnes. La pandémie et le confinement ont amplifié les choses, on a vu une augmentation de la violence".
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Elle constate une hausse des témoignages sur les réseaux sociaux. "Les femmes aujourd’hui n’ont plus peur de parler et les groupes de filles en ligne comme Louvain-la-Meuf ou Louvain-la-Safe leur permettent de s’exprimer, au moins en anonyme".
On estime qu’il y a malheureusement un énorme chiffre noir
La police d’Ottignies-Louvain-la-Neuve le confirme : "On a effectivement constaté une recrudescence d’activités sur les groupes d’expression sur Facebook. Mais en tout cas dans les chiffres, cela ne se manifeste pas. Maintenant, on estime qu’il y a malheureusement un énorme chiffre noir étant donné que les victimes hésitent à venir porter plainte. On y est donc fort attentif".
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Pour Amancay Egas Torres, il faudrait que les policiers soient mieux formés à la problématique. "Quand les filles vont voir la police, on leur demande souvent en premier si elles avaient bu. On ramène à l’alcool ou aux habits". D’après la police locale toutefois, "des formations spécifiques sont données dans toutes les écoles de police, peu importe le grade auquel vous postulez".
En ce qui concerne les activités de terrain la nuit, la police indique : "On a des groupes d’intervention d’une petite dizaine de personnes et donc la plupart des activités nocturnes se déroulent à Louvain-la-Neuve, même si on ne déserte pas Ottignies non plus. Les policiers sont là aussi pour d’autres problématiques comme les vols etc.".
La police rappelle également l’existence de la carte des chemins sécurisés, revue chaque année.
Un dispositif de l’UCLouvain méconnu
Du côté de l’UCLouvain, un dispositif intitulé "Together" a été mis en place en 2019. Il reste toutefois peu connu. "Nous avons remarqué, ce qui malheureusement se confirme, une méconnaissance des étudiants du dispositif. Cela nous interpelle sur la manière dont nous communiquons auprès des étudiants, donc sur la forme mais aussi l’explicitation de ce que l’UCLouvain offre comme accompagnement et soutien", explique Tania Van Hemelryck, conseillère du recteur pour la politique de genre. Ils n’ont pas observé de hausse de signalements via cet outil.
Pour la rentrée académique 2021, nous le renforçons
Le dispositif a également été créé pour apporter une aide aux victimes et témoins. L’objectif est de le revoir pour septembre prochain. "Pour la rentrée académique 2021, nous le renforçons en termes d’accompagnement et de soutien, et d’autre part nous amplifions et diversifions la communication, nous la mettons en phase avec les attentes du public et surtout la manière dont il consomme l’information et l’intègre".
Cellule d’accompagnement
Il existe également une cellule d’accueil et d’accompagnement."Elle est assurée par des psychologues du service d’aide, spécialement formés pour accompagner les victimes qui souhaiteraient déposer un signalement, recevoir une aide, déposer une plainte ou entamer des démarches à l’extérieur de l’UCLouvain, par exemple auprès de la police, car notre périmètre d’action est limité à notre champ de responsabilité". S’y ajoute un réseau de personnes de soutien à disposition des étudiants.
Vers des pistes de solutions ?
Pour la prochaine rentrée, la communauté étudiante aura également accès à un module de formation en ligne : "Il sensibilisera à la question des violences sexuelles, à la notion de consentement, et abordera comment réagir en tant que témoin et comment accompagner les victimes".
Il sera réalisé en collaboration avec la police locale, qui constate que "beaucoup d’hypothèses circulent par rapport à l’accueil et au processus que la victime suit". "Notre but, c’est d’éviter une seconde victimisation. On a donc des processus qui évitent cela. Par exemple, des caméras qui enregistrent une fois pour ne pas devoir faire répéter à la victime son histoire. C’est bien sûr encadré par la loi",.
Des initiatives étudiantes
De leur côté, certains étudiants tentent d’agir à leur niveau. En 2018 déjà, trois étudiantes ont créé l’association Thé OK. L’objectif est de sensibiliser les étudiants au consentement.
Pour Natacha, qui fait partie du projet, l’ASBL était une nécessité. Il fallait pallier "au manque d’actions par rapport aux agressions sur le campus. On organise des activités et on s’occupe de faire des formations baptêmes pour sensibiliser les comitards et les bleus au consentement. Et cette année, on a sorti un carnet qui reprend les chiffres d’un sondage réalisé en 2020. Cela illustre le nombre d’agressions en rue, en guindaille, etc."
En octobre dernier, Cloé a co-créé le groupe Louvain-la-Safe sur Facebook. Elle ne pensait pas qu’il prendrait autant d’ampleur. "Le but était de trouver une réponse rapide, un peu du bricolage, à un problème systémique. Le principe, c’est que lorsqu’une femme a besoin d’être raccompagnée, elle peut s’arranger sur le groupe avec d’autres personnes. C’est aussi un lieu où les femmes peuvent libérer leurs paroles".
Ce n’est pas à cinq étudiantes de gérer ça
Mais à nouveau, ces initiatives sont loin d’être suffisantes. Pour Cloé, il faudrait des mesures structurelles : "Ce n’est pas à cinq étudiantes de gérer ça. Cela fait des années que je suis à l’université et je ne sais pas si les chiffres changent ou augmentent, mais les femmes ont moins peur de briser le silence. Des filles commencent aussi à témoigner de ce qu’il se passe dans les cercles. Le front étudiant demande beaucoup plus de réactions".
Une application par les étudiants pour les étudiants
Denis et Nicolas souhaitaient également apporter leur contribution. Ils travaillent depuis quatre mois sur la mise en place d’une application, "Agila" : "On a créé une start-up qui développe une solution mobile. Cette application hébergera des communautés (comme 'Louvain-la-Meuf' par exemple) sur une carte collaborative sur laquelle les gens peuvent signaler des dangers et autres inconvenances en temps réel. Elle sera opérationnelle dès septembre 2021", explique Nicolas.
L’insécurité est un sujet qui les tient à cœur. "Ne pas agir, c’est accepter et c’est pour cela que nous lançons ce projet. Il nous semble juste de mettre tous les moyens à notre disposition pour apporter notre aide. Cela me dérange personnellement que ma copine, ma sœur et mes amies se sentent en danger dans nos rues et qu’elles développent des mécanismes pour éviter différentes inconvenances qu’elles pourraient y subir".
La problématique n’est pas spécifique à Louvain-la-Neuve. Elle est souvent dénoncée sur d’autres campus également.
*Les prénoms des jeunes femmes ont été modifiés