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Où peut mener la révolte en Iran 40 jours après la mort de Mahsa Amini ? Trois questions à Firouzeh Nahavandy

Portrait de Mahsa Amini lors d’une manifestation en Syrie

© Delil SOULEIMAN / AFP

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Par Jean-François Herbecq

L’Iran est secoué par des protestations depuis la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, cette jeune Kurde iranienne, décédée trois jours après son arrestation à Téhéran par la police des mœurs qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict du pays, prévoyant notamment le port du voile en public. Où va l’Iran ?

La sociologue belge d’origine iranienne Firouzeh Nahavandy, professeure à l’ULB répond à trois questions sur cette révolte.

Comment expliquer l’ampleur de ce mouvement de révolte suite à la mort de Mahsa Amini ?

L’ampleur du mouvement peut être expliquée en partie par le ras-le-bol général de toute la population à tous les niveaux par rapport à la situation actuelle en Iran. Certains souffrent de la situation économique, la majorité, les classes populaires, les classes moyennes qui disparaissent, dévastées par les sanctions et la corruption, et les classes dirigeantes, les anciennes surtout, qui aspirent à la liberté. C’est l’étouffement politique : un ras-le-bol politique et économique auquel il faut ajouter la chape de plomb culturelle et morale qui s’est mise en place depuis 1979. Entre autres, toutes les interdictions pour les jeunes : pas de sorties, pas de fréquentation, la ségrégation au travail, le voile pour les femmes.

La mort de Mahsa Amini n’est pas exceptionnelle en Iran, régulièrement des femmes sont arrêtées, violentées, mais dans ce cas, c’était inattendu et cela a eu d’autant plus de conséquence qu’elle était kurde, ce qui les a soulevés car les Kurdes comptent parmi les populations iraniennes les plus discriminées.

Comment expliquer la dureté de la répression ?

C’est un schéma qui revient à chaque manifestation : toutes les grandes manifestations sont réprimées de la même manière. Peut-être que la sensibilité occidentale n’était pas aussi grande avant. L’armée, les groupes paramilitaires sont tout de suite envoyés dans les rues. Et cette fois-ci plus que d’autres, car le régime est acculé.

Cette fois, il y a les raisons économiques, politiques et morales, mais en plus les manifestants réclament la tête du régime. Quand on scande "Mort au dictateur", il s’agit de Khamenei. Jusqu’à présent personne n’avait été si loin. On réclame un changement de régime et donc le régime n’a pas le choix. Pour survivre, c’est la répression. Et il utilise une force sans retenue, sans aucun état d’âme. D’autant qu’il considère que les manifestations sont manipulées par l’extérieur. A mon avis, il n’y aura pas de sanction pour la police des mœurs, tout au plus une réformette.

Quelles sont les conséquences possibles de la situation actuelle ? Le régime pourrait-il plier ?

Les Iraniens sont extrêmement divisés là-dessus. Ils en parlent sur les réseaux.

Moi, j’ai une vision plutôt pessimiste. Je me dis qu’une révolte spontanée même d’une telle ampleur, sans organisation, sans leader, sans idéologie réelle sauf que les dirigeants actuels doivent partir, a peu de chances de réussir. Peut-être qu’à long terme, une organisation se mettra en place mais je ne la vois pas actuellement.

Il y a tous ceux qui estiment que ce seraient éventuellement les Américains qui seraient derrière l’organisation. On peut se poser des questions. Une révolte en même temps dans toutes les villes d’Iran avec une telle ampleur, aussi à l’extérieur… Mais il est trop tôt pour arriver à une telle conclusion.

Une autre hypothèse serait un coup d’Etat mené par les Gardiens de la révolution, les forces paramilitaires, pour chasser les mollahs et prendre leur place car le contrôle du pays aurait été beaucoup trop perturbé. Un pouvoir plus militaire, moins religieux.

Et enfin, des hypothèses qu’on ne peut pas tenir : les Moudjahidines du peuple, le seul groupe d’opposition armé qui est très fort mais détesté par les Iraniens, une combinaison entre islamisme et marxisme. Ou alors un nouveau leader reconnu et soutenu par tous, qui devrait contrôler le pays, l’armée, les forces paramilitaires, mais ce n’est pas évident, je n’y crois pas pour le moment.

Sur le même sujet : Extrait La Première (19/10/2022)

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