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"Oxford Town" : Bob Dylan contre la ségrégation scolaire

© Larry Hulst / Bon Dylan

Jacques De Pierpont nous retrace l’histoire des chansons mythiques. Ici, Bob Dylan et "Oxford Town" qui se trouve sur son deuxième album, " The Freewheelin’ Bob Dylan ", paru en mai 1963.

 

" Oxford Town " est officiellement enregistrée le 6 décembre 1962, mais son origine remonte au mois d’octobre, quand le magazine folk de New York, " Broadside ", invite les musiciens à créer une chanson basée sur un événement de l’année qu’ils considèrent comme important.

Et c’est ainsi que le numéro 16 de novembre propose quatre compos inédites, de différents folksingers, avec textes et partitions, c’est la particularité de ce bimensuel né en février 1962.

Bob Dylan aussi a relevé le gant, lui est au sommaire du numéro suivant. C’est donc pour la revue qu’il écrit et compose " Oxford Town ", et qu’il l’enregistre une première fois, car " Broadside ", autre originalité, propose aussi des disques compilatifs !

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Bob Dylan a choisi La " Ole Miss Riot ", l’émeute de " Ole Miss ", qui est le surnom de l’Université du Mississippi, dont le campus principal se trouve dans la ville d’Oxford, les 30 septembre et 1er octobre 62, suite à l’arrivée d’un étudiant noir, James Meredith.

Du jamais vu sur ce campus toujours réservé aux blancs. Je dis " toujours car le Mississippi fait partie de ces Etats du Sud des Etats-Unis qui refusent l’abolition de la ségrégation scolaire, décrétée par la Cour suprême déjà en 1954.

Meredith est un ancien militaire, il a passé neuf ans dans l’Armée de l’air, de 1951 à 1959, il est ensuite étudiant à la Jackson State University, l’université noire du Mississippi, mais il entend bien boucler son cursus en science politique sur le campus réservé à l’élite blanche.

D’autres ont déjà osé contester cette discrimination raciale persistante. Ainsi la jeune Linda Brown qui se voit refuser l’accès à une école blanche au Kansas en 1951, d’où l’arrêt trois ans plus tard de la plus haute juridiction américaine, ou encore Ruby Bridges en 1960, la première enfant afro-US à intégrer une école primaire réservée aux blancs à la Nouvelle Orléans. Mais au niveau universitaire, c’est une première.

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Parcours du combattant ?

Sa première tentative d’inscription a lieu à la rentrée de septembre 1961, échec. Suivent des mois d’obstruction juridique, l’affaire est alors portée devant la Cour suprême, une fois de plus, laquelle ordonne son inscription le 10 septembre 62. Quand il se présente à la mi-septembre, il est physiquement empêché et par deux fois de s’inscrire par le Gouverneur de l’Etat du Mississippi en personne, Ross Barnett.

Suivent plusieurs interventions téléphoniques du ministre de la Justice, Robert Kennedy, lequel finit par imposer le lundi 1er octobre comme ultime date d’inscription de Meredith. Et la veille en fin d’après-midi une émeute éclate dans et autour du campus, 3000 manifestants violents, envahissent le campus. Ils sont harangués par un général à la retraite, Edwin Walker, connu pour ses opinions suprémacistes. La police locale se laisse déborder, passive pour ne pas dire complice.

Face à eux : 500 marshalls fédéraux, rejoints la nuit venue par 6000 soldats avec ordre de contenir la foule sans tirer. Alors, le 30 au soir, c’est le Président, John Kennedy, qui empoigne son téléphone.

Le gouverneur demande : pourquoi ne pouvez-vous donner l’ordre d’évacuer Meredith ? Kennedy : pas tant que les troubles persistent, il n’en sortirait pas vivant.

Barnett ergote, il ne peut pas perdre la face devant ses troupes, Kennedy le coupe, vous rétablissez l’ordre, vous parlerez après.

Car le gouverneur est bavard, à la radio il vient de lancer un viril " We will never surrender ". Le calme revient au matin du 1er octobre. Bilan : deux tués – abattus par balles dans le dos à bout portant : le journaliste français Paul Guihard, correspondant de l’agence de presse AFP, et un jeune du coin, un réparateur de juke-box, qui visitait le campus ; 200 blessés et 300 arrestations dont un tiers d’étudiants.

Et Meredith est bien inscrit ce 1er octobre !

Mais durant toute l’année de sa scolarité, il devra être protégé par des agents fédéraux. Au quotidien, quand il débarque à la cafétéria de l’université, les étudiants changent ostensiblement de tablée… Il est diplômé en août 1963.

Pour la petite histoire, l’ex-général Walker est arrêté et enfermé pendant cinq jours dans la section psychiatrique d’une prison fédérale. Il ne sera pas inculpé. Le gouverneur, lui, écope d’une amende de 10.000 dollars, sentence annulée en appel. Ces deux-là sont nommément interpellés par un autre grand du protest song, Phil Ochs, injustement oublié aujourd’hui :

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Très incisif, il leur dit que les temps qui changent vite vont leur rouler dessus. A l’inverse, dans " Oxford Town ", Bob Dylan ne cite aucun nom, ni de lieu, ni de personne, pas même celui de Meredith. Déjà, il prend soin d’échapper aux contingences de l’actualité.

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