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Pakistan : 75 ans d’indépendance sur les cendres fumantes de la partition de l’Inde

Pakistan : 75 ans d’indépendance sur les cendres fumantes de la partition de l’Inde. Image d’illustration.

© Getty Images

Par Benoît Feyt

L’indépendance du Pakistan, décrétée dans la nuit du 14 au 15 août 1947, avait pour objectif de créer un État pour les musulmans lors de la partition de l’Inde britannique. Un projet porté par la Ligue musulmane du père de l’indépendance pakistanaise, Muhammad Ali Jinnah, contre la volonté des leaders indiens, Gaandhi et Nehru, qui souhaitaient, eux, maintenir l’unité de l’ancienne colonie dans un Etat laïque.

Jusqu’en 1971, ce nouvel État musulman reposera sur deux entités éloignées de plus de 2000 km : le Pakistan occidental et le Pakistan oriental. Située entre les deux territoires, l’Inde soutiendra la guerre d’indépendance du Pakistan oriental qui donnera naissance au Bangladesh en 1971. Un épisode parmi d’autres dans le long conflit qui oppose Pakistanais et Indiens depuis la partition de l’Inde en 1947.

Carte des Indes britanniques avant la partition, en 1947.
Carte des Indes britanniques avant la partition, en 1947. © Tous droits réservés

Le traumatisme de la partition

"Le traumatisme de la partition de 1947 est profondément ancré dans ADN de l’Inde et du Pakistan, explique Dorothée Vandamme, spécialiste du Pakistan à l’UCLouvain. "L’antagonisme entre les deux États ne s’est jamais arrêté depuis leur indépendance. Il faut dire que de part et d’autre de la frontière, les livres scolaires proposent un récit de l’histoire à vocation nationaliste. Le Pakistan, se présente toujours comme une victime de l’agression indienne. De l’autre côté de la frontière, l’Inde fait exactement la même chose en se présentant comme une victime de l’agression pakistanaise."

Cet antagonisme repose également sur un facteur religieux. Le Pakistan étant formellement une République islamique alors que l’Inde est dirigée depuis plusieurs années par un parti nationaliste hindou qui se montre particulièrement agressif à l’égard de la minorité musulmane. Durant leur courte histoire, les deux États se sont déclaré la guerre à trois reprises (1947, 1965 et 1971) et ils se déchirent encore aujourd’hui au sujet du Cachemire.

Des personnes visitent et regardent l’exposition du métro de Delhi à l’occasion de la journée de commémoration des horreurs de la partition, avant l’inauguration de la station de métro Rajiv Chowk, le 10 août 2022 à New Delhi, en Inde.
Des personnes visitent et regardent l’exposition du métro de Delhi à l’occasion de la journée de commémoration des horreurs de la partition, avant l’inauguration de la station de métro Rajiv Chowk, le 10 août 2022 à New Delhi, en Inde. © Getty

Conflit au Cachemire

Cette région à majorité musulmane s’étend sur le territoire du Pakistan, de l’Inde et de la Chine. Mais le Pakistan considère qu’il est de son devoir de protéger la population qui vit dans la partie indienne, appelée Jammu-et-Cachemire. "En 2019, l’Inde a supprimé le statut autonome de la région et en a fait une province indienne, explique Dorothée Vandamme. Elle cherche désormais à "l’hindouiser" en favorisant des déplacements de populations. Mais cette stratégie ne fonctionne pas vraiment, car les hindous craignent de subir les représailles de la majorité musulmane qui vit dans la province."

La région cristallise donc les tensions entre l’Inde et le Pakistan. Mais comme les deux États sont dotés de l’arme nucléaire, la situation sur le terrain tend à stagner plutôt qu’à tourner à l’affrontement direct.

Image d’illustration
Image d’illustration © Getty

L’argument nucléaire, la force du Pakistan

Le Pakistan est une puissance nucléaire depuis 1998. Un argument de poids pour neutraliser son voisin indien qui dispose d’une armée bien plus puissante. Mais cela lui confère également un statut spécial aux yeux des États-Unis. "Les relations entre Washington et Islamabad, c’est un mariage forcé, rappelle Dorothée Vandamme. Les États-Unis craignent que la puissance nucléaire pakistanaise ne tombe aux mains de groupes extrémistes, terroristes, qui sont bien implantés dans le pays. Ils se doivent donc de maintenir des bonnes relations avec le régime et essayant de faire du Pakistan un acteur de la lutte contre le terrorisme international." Et cela, malgré l’évident double jeu pratiqué par les services secrets pakistanais qui ont apporté leur soutien à certains terroristes par le passé.

C’est en effet au Pakistan que les Américains ont débusqué et éliminé Oussama Ben Laden en 2011, alors qu’il était recherché depuis dix ans sur toute la surface du globe. Une "planque" que leader d’Al Qaïda n’aurait jamais pu tenir si longtemps sans la complicité des services secrets pakistanais.

Mazar-e-Quaid, également connu sous le nom de mausolée Jinnah ou de mausolée national, est le lieu de repos final de Muhammad Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan.
Mazar-e-Quaid, également connu sous le nom de mausolée Jinnah ou de mausolée national, est le lieu de repos final de Muhammad Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan. © Getty

Des liens ambigus avec les talibans

Le Pakistan entretien également des relations ambiguës avec son voisin afghan et surtout avec les talibans. L’été dernier, lors de la prise de Kaboul par les talibans, le Premier ministre pakistanais, Imran Kahn, s’est ainsi ouvertement réjoui de la fuite du président Afghan et du retrait américain d’Afghanistan en affirmant que les talibans avaient "brisé les chaînes de l’esclavage".

"Mais contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, les relations entre Kaboul et Islamabad se sont rapidement tendues, précise Dorothée Vandamme. Car la prise de pouvoir des talibans afghans a agi comme un motivateur pour la branche pakistanaise des talibans, le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), qui s’est dit qu’il allait pouvoir réaliser un coup identique au Pakistan. Islamabad a alors mené plusieurs attaques contre cette insurrection au Pakistan. Son armée a même obtenu le soutien américain pour réaliser des frappes de drones qui ont tué plusieurs leaders du mouvement."

Empire britannique et Indes, 1902
Empire britannique et Indes, 1902 © The Print Collector

Une armée incontournable

Depuis l’indépendance, l’armée pakistanaise se présente comme la garante de la survie de l’État contre les menaces extérieures et intérieures. C’est au nom de cette mission qu’elle soutient des groupes djihadistes pakistanais dans leurs opérations terroristes en Inde et qu’elle affronte les groupes insurrectionnels fondamentalistes comme le TTP sur son territoire. Mais cela la conduit aussi à déstabiliser tout mouvement politique qui lui conteste ce pouvoir.

"L’histoire du Pakistan est émaillée de coups d’État, rappelle Dorothée Vandamme. "L’armée est une institution toute-puissante qui peut donner et reprendre le pouvoir aux civils à tout instant. Cela ne passe plus par des coups d’Etat aujourd’hui, car les Pakistanais en ont marre. Mais l’armée tire toujours les ficelles en soutenant certains partis et en exerçant de fortes pressions sur les autres."

Un rôle trouble qui pèse toujours lourdement sur le Pakistan après 75 ans d’indépendance.

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