La couleur des idées

Pascal Chabot à propos d’Aldous Huxley : "ses personnages sont d’abord des porte-paroles de schéma d’existence qu’il teste"

Aldous Huxley

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Par Tania Markovic via

Ce samedi dans la couleur des idées, Pascale Seys reçoit le philosophe et essayiste Pascal Chabot, une voix bien connue des auditeurs de Musiq3 puisqu’elle fait régulièrement vibrer les murs de nos studios au fil de ses essais et pensées. Un fil rouge le guide, consistant à comprendre le nœud de contradiction dans lequel nous sommes enchevêtrées entre, d’une part, la marche en avant du progrès et de l’autre le respect du vivant, entre la technique et une autre dimension que l’on pourrait appeler poétique. Après Global burn-out (2013) ou Avoir le temps (2021), il nous revient pour évoquer un petit livre consacré à la figure d’un homme de lettres anglais, un "écrivain d’idées" comme il aime à l’appeler, qui quittera en 1937 le Vieux continent pour les Etats-Unis et plus précisément la Californie, dans une quête effrénée de chaleur et de soleil. Son nom a été proposé à huit reprises pour le Nobel de Littérature. Vous l’aurez peut-être deviné, il s’agit d’Aldous Huxley ! Pascal Chabot a décidé de s’arrêter sur six moments clefs de sa vie, d’où le titre qu’il a donné à son ouvrage, Six jours dans la vie d’Aldous Huxley, paru, comme chacun de ses livres, aux éditions PUF.

Un long compagnonnage…

Pascal Chabot entretient une relation de longue date avec l’écrivain. À la sortie de l’adolescence, le premier contact s’établit par la lecture du Meilleur des mondes. Le nom et le travail d’Huxley reviendront immanquablement par la suite dans la vie de Pascal Chabot, ce dernier étudiant le progrès. Huxley écrit sa dystopie en quatre mois à peine, créant au passage un des plus grands mythes du XXe siècle. Dans le Meilleur des mondes, il met en scène une société hypertechnologisée et stable où les esprits sont conditionnés par des méthodes de propagande et d’hypnopédie et où les corps sont sous contrôle puisqu’à lieu une sélection génétique des individus orientés vers des castes. Pascal Chabot note une différence majeure entre Huxley et l’autre grand dystopiste du XXe siècle (qui fut d’ailleurs son élève), Orwell :

Si l’un a pu décrire la technologie dans ce qu’elle pouvait avoir d’oppressant, d’aliénant et d’écrasant, Huxley, de façon plus subtile, présente une société où le bonheur existe et est sans cesse revendiqué par les individus.

Le coup de maître d’Huxley, c’est "d’introduire dans ce monde la question de la liberté sous le vocable de Shakespeare". Huxley, nous dit Pascal Chabot, "est tout à fait voyant en comprenant que le monde de la technologie peut devenir une société de contrôle comme elle l’est dorénavant en Chine. Mais il est aussi extrêmement pessimiste par rapport à cette technologie qu’il voit comme productrice exclusivement d’aliénation alors qu’elle ne l’est pas uniquement." Il poursuit :

Pour moi toute la réflexion sur la qualité est une réflexion où on peut montrer qu’il y a une qualité technique dans laquelle la liberté n’est pas sacrifiée.

…fait de désaccords

Aldous Huxley, comme beaucoup d’écrivains de sa génération et de son milieu (on pense notamment à Virginia Woolf qui mit fin à ses jours, horrifiée par les atrocités commises durant la Seconde guerre mondiale), était un pessimiste assumé. Comment faire autrement face à Hitler, Mussolini, Franco, Staline ? Face à la menace nucléaire ? À la crise écologique ? À la limitation des ressources ? À l’augmentation galopante de la démographie ? Huxley était obsédé par cette dernière. Sa philosophie, centrée sur l’individu, cherchait à lui donner les moyens d’avoir une véritable prise sur son destin, or cela semblait de plus en plus difficile à concevoir dans un monde de plus en plus peuplé…

Huxley était "un penseur de la civilisation". Son travail d’écrivain consistait à décrire les possibilités d’exister de manière non-aliénée. Il était très critique par rapport à certaines évolutions techniques des sociétés occidentales. Sur ce point, Pascal Chabot ne partage pas son opinion, considérant que nous sommes parfois un peu trop prompts à critiquer nos sociétés en oubliant qu’elles se sont consistées dans la négation de la cruauté, pourtant "le tout premier combat".

Parfois le combat contre une certaine aliénation liée à la technique passe chez certains intellectuels avant le combat contre la cruauté qui devrait pourtant rester le premier. La grande difficulté de l’Occident à se nommer et à trouver ce qu’est véritablement son mythe, c’est que l’Europe s’est créée en niant la cruauté. Elle s’est édifiée en sachant ce qu’elle refusait mais sans savoir vraiment ce qu’elle voulait finalement. On peut certes avoir un discours technocritique mais il ne faut pas oublier que nos systèmes sont d’abord et avant tout des systèmes anti-cruelles, cela Huxley ne le voyait pas car il était protégé par la Californie.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien mené par Pascale Seys, à écouter ci-dessous ce samedi 25 juin dès 11 heures.

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