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Pascale Clark : "Chère Gisèle Halimi, nous aurions encore bien besoin de votre vigilance"

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En France, un hommage national a été rendu à Gisèle Halimi, grande figure du féminisme. Une initiative qui survient en période de tensions autour de la réforme des retraites. La journaliste et écrivaine Pascale Clark écrit à Gisèle Halimi en espérant un signe de sa part.
Chère Gisèle Halimi,
 
Quelque chose me dit que là où vous êtes, vous avez cette semaine peut-être protesté ou alors avez-vous peut-être bien souri, à moins que ce ne soit l’inverse.
Près de trois ans déjà que vous aviez disparu à Paris, 93 années plus un jour après votre naissance à La Goulette en Tunisie, et l’hommage officiel qui vous était promis attendait toujours, reporté l’été 2020 par l’explosion du port de Beyrouth, re-programmé puis annulé à nouveau l’été d’après sans raison apparente, tout juste bruissait l’hypothèse quand apparaissait la possibilité de votre entrée au Panthéon que vous étiez une figure trop clivante. C’est à croire que votre défense pendant la guerre d’Algérie du FLN urtiquait encore.
Cette année 2023 n’a pas attendu jusqu’à juillet. D’un seul coup, la nécessité d’un hommage s’est emballée, le Président de la République célébrerait votre mémoire, chère Gisèle Halimi ce 8 mars, il s’en est fallu de peu pour que l’encre des cartons d’invitation n’ait pas le temps de sécher.
Certes, il n’y avait pas de contresens à vous honorer en pleine journée internationale des droits des femmes, vous, l’icône féministe absolue et ce depuis le début, n’aviez-vous pas dès l’âge de 10 ans refusé de vous alimenter devant cette situation familiale que vous subissiez et qui vous hérissait : vous, petite fille, étiez contrainte aux tâches ménagères tandis que vos frères étaient autorisés à se prélasser.  Le pli était pris, vous seriez indocile, vous seriez combattante contre toutes les injustices, vous seriez courageuse, vous seriez avocate, la seule robe noire à signer en 1971 le manifeste des 343 femmes déclarant dans le Nouvel Observateur avoir avorté.
C’était un an avant votre fait d’arme : le fameux procès de Bobigny, la défense de Marie-Claire, 16 ans, poursuivie pour avoir avorté, dénoncée par son violeur, vous aviez obtenu sa relaxe en parvenant à transférer la charge sur cette loi criminalisant toujours l’avortement, deux ans plus tard était votée la loi Veil autorisant l’IVG.
 
8 mars 2023, cette semaine, enfin votre hommage au vieux Palais de justice de Paris chère Gisèle Halimi, il y avait là les plus hautes autorités de l’état, il y avait là vos pairs, des officiels, des magistrats mais deux de vos trois fils manquaient à l’appel : Emmanuel Faux, journaliste disparu l’été dernier et Serge Halimi, journaliste aussi, refusant de cautionner la cérémonie soupçonnée de contrefeu présumé. N’avait-elle pas été décidée in extremis en pleine mobilisation contre une réforme des retraites notamment accusée d’être particulièrement injuste envers les femmes ? Ces femmes qui manifestaient au même moment dans les rues de Paris, votre place aurait été, jurait-il, à leurs côtés. Même les morts sont semble-t-il dépourvus du don d’ubiquité.
Chère Gisèle Halimi, vous avez entendu ça, même d’outre tombe, votre influence était intacte. En vous rendant hommage, Emmanuel Macron a fait une annonce : la prochaine inscription dans la Constitution de la liberté d’avorter, il n’a pas dit Droit, il a dit Liberté, qu’en pensez-vous, est-ce déjà ça ?
Ce ne sera pas un texte indépendant, non, il fera partie, avec convocation du Congrès, d’une révision constitutionnelle d’ensemble, qu’en dites-vous,  est-ce inquiétant ?  
Vous voyez, c’est une chose d’être honorée mais nous aurions encore bien besoin de votre vigilance.
 
Chère Gisèle Halimi, Jean-Yves, votre fils aîné, l’avocat, celui qui était là, a rappelé lors de la cérémonie une phrase d’Aragon assistant aux obsèques d’un de ses amis "Il est des morts, avait-il lancé, qu’il ne faut pas pleurer mais continuer". Maman, a ajouté Jean-Yves, assurément, tu es de ceux-là.
 
Chère Gisèle Halimi, là où vous êtes, en assistant à tout ça, avez-vous protesté ou avez-vous souri ? Faites-nous signe, si possible.
 
Pascale Clark

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