Aux Pays-Bas, de puissantes organisations criminelles sont aux manettes du trafic de drogue. Pour protéger leur business, elles sont capables de faits d’une extrême violence. Un avocat et un journaliste d’investigation ont été liquidés froidement en 2019 et 2020. Pour assurer l’Etat de droit, des mesures de sécurité renforcées encadrent aujourd’hui audiences et acteurs judiciaires dans les affaires sensibles. Reportage à Amsterdam et La Haye.
Nous arrivons avant le lever du jour à Osdorp, un quartier résidentiel situé à l’ouest d’Amsterdam. La rue semble déserte mais c’est illusoire. Plusieurs équipes de policiers en civil patrouillent discrètement autour de ce bâtiment aux volets fermés, appelé le bunker. Il abrite le tribunal hypersécurisé d’Amsterdam, constitué d’une seule salle d’audience entièrement blindée. Le bunker a été créé en 1997 mais est aujourd’hui utilisé à plein régime.
Le ballet des policiers en civil s’intensifie. L’un d’entre eux nous demande de rester dans notre véhicule. Deux 4x4 déboulent en trombe et s’engouffrent dans le parking souterrain du bâtiment. Ce sont les derniers prévenus transférés en vue de l’audience du jour. Un procès pour le moins sordide. L’affaire remonte à juillet 2020 quand la police néerlandaise découvrit 7 conteneurs transformés en lieux de détention et de torture. "C’est une affaire très particulière, extrêmement violente" commente Paul Verspeek, journaliste à Radio TV Rijnmond. "Des conteneurs aménagés pour malmener les membres de bandes rivales, leur extorquer des informations, des noms ou les kidnapper pour les éliminer. Cela montre à quel point la violence autour du trafic de drogue a connu une escalade. C’est donc logique que le procès se tienne dans cette salle d’audience sécurisée d’Amsterdam".
Le bunker est réservé aux procès les plus sensibles liés au trafic de drogue et qui présentent un risque d’attaque ou d’évasion. "La gravité des faits n’est pas le principal critère pour qu’un procès ait lieu ici. C’est plus lié aux prévenus poursuivis" précise Tony Boersma, avocat pénaliste. C’est notamment ici qu’est jugé depuis 2019 le baron de la drogue aux Pays-bas, Ridouan Taghi.
Ce méga procès est dit "procès Marengo". 17 prévenus sont poursuivis pour leur participation à l’organisation criminelle de la Mocro Maffia menée par Taghi. "Avec le démarrage de ce procès, concernant plusieurs meurtres commandités par l’organisation criminelle, nous avons pu voir qu’ils ne reculaient devant rien, que les gens avaient été tués facilement" s’effrayent Saskia Belleman, journaliste judiciaire pour De Telegraaf. "Cela signifie que ce procès compte des prévenus capables d’une telle violence et qu’il faut l’encadrer de fortes mesures de sécurité pour que tous les acteurs n’encourent aucun risque".
Hélicoptères survolant la zone, policiers en nombre et lourdement armés, le dispositif sécuritaire est très important lors des audiences Marengo. "Il y a des raisons à ces mesures extrêmes" estime la journaliste. "Notamment l’information selon laquelle Ridouan Taghi avait fait des projets d’évasion et que l’un d’eux était de s’évader du bunker. Or on sait bien qu’une évasion va de pair avec une extrême violence, donc on n’est pas forcément serein".
Il existe trois tribunaux ultra-sécurisés en Hollande : à Schiphol, à Rotterdam et le Bunker d’Amsterdam où journalistes et avocats entrent au compte-gouttes ce matin.