Une victoire "historique" aux Pays-Bas : celle de la nouvelle formation "agriculteur-citoyen" BoerBurgerBeweging (BBB) qui devient selon les dernières projections officielles le premier parti du pays après les élections provinciales de ce mercredi, un scrutin déterminant pour la composition du Sénat.
Le mouvement est parti de rien, avec une seule élue il y a deux ans, Caroline van der Plas, qui s’impose comme sa cheffe de file. Son élection de justesse en 2021 à la chambre lui a permis de se profiler sur la question de l’azote qui agite nos voisins du Nord depuis des mois.
Le BBB construit son succès sur la fronde des agriculteurs contre les projets du gouvernement, en particulier son plan azote. C’est un coup solide porté à la coalition dirigée par Mark Rutte, mais cela ne remet pas en cause son existence, du moins jusqu’aux élections législatives programmées en 2025.
Une victoire au-delà des prévisions
Le Mouvement agriculteur-citoyen devrait remporter encore plus de sièges que ce qu’annonçaient les sondages : 16 voire 17 élus sur 75 à la Première chambre des Pays-Bas, l’équivalent du Sénat, à égalité avec la coalition verte de gauche Partij van de Arbeid/GroenLinks (7 élus PvdA, 8 GroenLinks) et devant le parti de centre droit VVD du Premier ministre Mark Rutte, en poste depuis 2010.
Le BoerBurgerBeweging est le plus grand parti dans au moins 5 provinces, avec au-delà de 30% des suffrages en Overijssel.
Tous les décomptes ne sont pas terminés. Les voix des Néerlandais de l’étranger ne seront dévoilées que dimanche.
Les perdants sont d’une part le parti populiste Forum pour la démocratie (FvD) de Thierry Baudet, grand vainqueur des dernières élections provinciales en 2019, qui passerait selon les premiers résultats, de 12 à 2 sièges et le parti chrétien ChristenUnie.
Le plan azote suscite la colère des agriculteurs
Le BoerBurgerBeweging créé en 2019 fonde son succès sur la remise en question des plans de réduction des émissions d’azote du gouvernement. Ceux-ci comprennent une réduction du cheptel et envisagent des expropriations à proximité de zones naturelles protégées. Pour Caroline van der Plas, seule députée du BBB à la chambre basse, la politique de l’azote est toujours "dictée depuis La Haye dans une sorte de dogme".
Le gouvernement veut abaisser de 50% d’ici 2030 les émissions d’azote, un gaz à effet de serre émis notamment par les engrais et les effluents d’élevage. Cette mesure est nécessaire, selon lui, pour résoudre la crise du logement aux Pays-Bas où de grands projets de construction, qui émettent également de l’azote, sont suspendus par la justice pour des raisons environnementales.
La Haye veut débloquer 25 milliards d’euros d’ici 2035 pour aider le secteur agricole à réduire ses émissions d’azote. Mais ce dernier se dit injustement ciblé par le gouvernement, par rapport à d’autres secteurs comme l’industrie et les transports.
Aux Pays-Bas, deuxième exportateur mondial de produits alimentaires derrière les Etats-Unis, les agriculteurs sont soutenus par une partie de la population. Les drapeaux néerlandais à l’envers, bande bleue en haut, devenus symboles de leur fronde, fleurissent à travers le pays. Aujourd’hui, en signe de victoire, le BoerBurgerBeweging annonce que les tricolores peuvent être remis à l’endroit.
Ces derniers mois, les agriculteurs néerlandais ont bloqué des autoroutes, protesté devant les domiciles de responsables politiques, et manifesté par milliers à bord de leurs tracteurs. Leur colère avait récolté le soutien de l’extrême-droite aux Pays-Bas ainsi que des populistes au-delà des frontières, notamment de l’ancien président américain Donald Trump.
Le parti des "gens normaux" et du mécontentement
Caroline van der Plas juge le score de son parti aux élections "pas normal, mais en fait normal, car nous sommes un parti de gens normaux". Mais où situer ces "gens normaux" sur l’échiquier politique aux Pays-Bas ?
Un rapide tour d’horizon des forces en présence tout d’abord.
Le parti libéral de droite VVD du Premier ministre se maintient mais sa coalition perd du terrain : ses alliés sont en recul : tant le "libéral de gauche" D66 que la ChristenUnie, et surtout pour le CDA démocrate-chrétien qui voit son score divisé par deux.
Face au gouvernement, l’alliance de gauche des travaillistes PvdA et des verts progressistes GroenLinks offrait pourtant au Premier ministre un duel confortable avec le choix entre la droite et "nuage de gauche", mais BoerBurgerBeweging a déboulé dans ce jeu classique et bouleversé la donne. La force du compromis a dû s’incliner face à la puissance du mécontentement et de la volonté de bouleverser l’ordre établi.
A l’extrême droite, l’opposition voit aussi la déconfiture totale du Forum voor Democratie de Thierry Baudet et un léger tassement du Partij voor de Vrijheid (Parti pour la Liberté) de Geert Wilders. La formation populiste de Thierry Baudet avait connu une victoire spectaculaire il y a 4 ans, premier parti du pays, sa défaite aujourd’hui l’est tout autant. Ses dérives complotistes et les appels du parti à la révolution violente contre le "cartel" gouvernemental, avec des allusions à une réplique de l’assaut du Capitole à la hollandaise, l’ont clairement disqualifié aux yeux des électeurs néerlandais. Son électorat a fondu aux trois quarts.
Villes contre campagnes
Alors où placer le BoerBurgerBeweging ? Caroline van der Plas, journaliste venue à la politique via le CDA démocrate-chrétien, qu’elle a quitté il y a 4 ans après la conclusion du plan azote du gouvernement Rutte, a une réponse toute faite : "Le bon sens, proche des gens ordinaires, loin du pouvoir."
Un parti paysan qui a tendance à opposer villes et campagnes ? Oui, vu la base d’agriculteurs en colère qui fait le succès du mouvement et qui apprécient le style sobre de Caroline van der Plas.
Un reproche qui lui est d’ailleurs fait par les autres partis : elle polarise consciemment. Elle nie cependant dresser face à face la "Randstad", la région urbanisée d’Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Haarlem et Utrecht, et le reste du pays plus rural.
"Beaucoup de gens dans les villes comprennent les problèmes de la campagne, explique-t-elle à la VRT. S’il y a un fossé, c’est entre les citoyens et la politique. Ou dans les villes entre les gens normaux et le public des quartiers des canaux (ndlr : les bobos citadins jeunes et diplômés, souvent des électeurs de D66 ou de GroenLinks)".
Le plan du gouvernement est drastique avec des réductions très dures imposées aux agriculteurs qui se révoltent contre une "élite politique urbaine" sans respect pour le monde paysan.
Un parti de "droite sociale"
Caroline Van der Plas reprend donc l’étendard de cette révolte et pousse le combat plus loin : "Nous défendons la campagne et les citoyens à la campagne. Parce que nous voyons aussi, par exemple, que de plus en plus d’infrastructures disparaissent. Le bus ne circule pas, le distributeur automatique de billets disparaît, la piscine ferme, etc. Ce sont toutes des choses qui font que les jeunes quittent la campagne et qu’ils ne reviennent pas. Pourtant, nous avons besoin de jeunes à la campagne."
Et effectivement le programme du mouvement BBB dépasse la question de l’azote. "Nous réussirons certainement, car nous avons des positions sur de nombreux sujets. Mais avec un objectif : le citoyen passe toujours en premier. Je suis aussi la seule députée qui commence toujours mes interventions par les mots 'Président, Chers habitants des Pays-Bas".
Sur la nouvelle carte politique des Pays-Bas, le BBB ne limite pas ses bons scores aux régions rurales, il laboure aussi le champ électoral des petites et moyennes cités.
Caroline van der Plas qualifie elle-même son parti de droite lorsqu’il s’agit d’économie mais aussi d’asile et de migration, et de gauche lorsqu’il s’agit de questions sociales.