Monde Europe

Pays-Bas : soutenu par des organisations complotistes, sur quoi débouchera le mouvement de colère des agriculteurs ?

Un employé de société de nettoyage vient déblayer des déchets d’amiante et de pneus déposés par des agriculteurs en colère sur l’autoroute à Voorst, aux Pays-Bas.

© Tous droits réservés

Par Myriam Baele

Jusqu’où ira la colère des agriculteurs aux Pays-Bas ? Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte évoquait jeudi soir sur Twitter des "actions dangereuses" auxquelles il demandait aux agriculteurs de "mettre fin".

Les actions des agriculteurs ont en effet pris une nouvelle tournure ces derniers jours : jeudi ils ont bloqué des routes importantes du centre et de l’est du pays avec des ballots de foin enflammés, du sable, du fumier mais aussi des déchets. Dont des déchets amiantés.

La présence d’amiante et le risque accru d’accident pour les automobilistes ont mené le Premier ministre néerlandais à commenter, sur Twitter : "les manifestations d’un petit groupe d’agriculteurs sur les autoroutes hier et ce matin sont inacceptables. Mettre sauvagement les autres en danger, endommager nos infrastructures et menacer les gens qui aident à déblayer est au-delà de toutes les limites". Mark Rutte poursuit : "ces actions dangereuses doivent s’arrêter. Il y a de nombreuses manières d’exprimer votre mécontentement dans la légalité".

Les autorités néerlandaises tiennent à l’œil cette protestation à la fois parce qu’elle se durcit et mais aussi parce qu’elle devient un terreau propice aux récupérations de complotistes ou de l’extrême droite.

La source de la colère : le "Plan azote" néerlandais

La colère des agriculteurs a éclaté lorsque la Ministre chargée de la Nature et de l’azote, Christianne van der Wal, a communiqué le "plan azote" du gouvernement néerlandais.

L’azote est un fertilisant indispensable pour les cultures : on le trouve dans le lisier et le fumier, fertilisants naturels. Ou dans les engrais chimiques, les engrais dits "azotés". Mais épandus en trop grande quantité, l’usage de ces fertilisants en arrive à altérer la biodiversité, la qualité des eaux de rivière notamment. Et ils libèrent un gaz à effet de serre, le protoxyde d’azote qui contribue au changement climatique.

Ce sont les grandes exploitations d’élevage intensif qui sont les plus grandes émettrices d’azote, comme les grandes porcheries intensives, nombreuses aux Pays-Bas : le pays de 17 millions d’habitants compte 12 millions de porcs. Les Pays-Bas, deuxième exportateur agricole au monde après les Etats-Unis, sont un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre en Europe – et d’azote en particulier.

Le gouvernement néerlandais, par son plan, a pris la mesure du dérèglement climatique et du déclin de la biodiversité. Mais ce faisant, il impose au secteur agricole un changement drastique : réduire de 40% les émissions d’azote des fermes, ce qui impliquerait une baisse de 30% du bétail.

La baisse des émissions doit même atteindre 70% dans 131 zones, là où les fermes se situent à proximité d’une zone classée "Natura 2000": cette baisse revient à fermer des exploitations. D’où la colère d’un secteur déjà en mal de rentabilité et sous pression depuis des années.

Mais cette colère prend donc une tournure qui inquiète les autorités néerlandaises.

Sorties de route

Ce n’est pas la première fois que les agriculteurs en manifestation épandent du fumier, font paître leurs vaches dans les parterres du parlement ou bloquent les routes avec leurs tracteurs.

Mais le déversement actuel de détritus et d’obstacles sur les routes a déjà provoqué 4 accidents, l’un d’eux ayant coûté la vie à un motard, au mois de juin. Et il devient plus difficile de trouver une société pour déblayer des monticules, d’abord parce que certains contiennent de l’amiante, mais aussi parce que les gérants de ces sociétés appréhendent d’éventuelles répercussions de ce nettoyage : selon une enquête de la télévision néerlandaise NOS, un petit groupe d’agriculteurs radicaux se communique les numéros de téléphone des entreprises de déblaiement et multiplie les appels d’intimidations.

Intimidation aussi de la Ministre qui a communiqué "Plan azote" gouvernemental. Un homme a été interpellé pour avoir circulé avec un camion tagué d’un message menaçant. Le message mentionnait les noms de Pim Fortuyn et de Theo van Gogh flanqués de leurs dates de mort, deux Néerlandais assassinés dans les années 2000. Et sous leurs noms, celui de la ministre avec un point d’interrogation en guise de date.

Quand populistes, complotistes et extrémistes soufflent sur les braises

Mais outre ces actes répréhensibles, un autre phénomène accompagne désormais cette contestation.

Samedi 23 juillet, une manifestation, rebaptisée par les organisateurs "la manifestation du 21e siècle" était organisé à Amsterdam, avec tracteurs et banderoles. Il y avait bien des agriculteurs dans la foule, mais ce n’était pas eux qui étaient à l’initiative du rassemblement.

C’était "Nederland in verzet", littéralement "Les Pays-Bas en résistance", un groupe qui s’est fait connaître ces deux dernières années pour ses positions complotistes, ses actions contre les mesures corona et les autorités politiques.

Les organisateurs avaient invité des orateurs, venus montrer un "soutien international" aux agriculteurs néerlandais ("nous sommes tous des fermiers néerlandais !"). Leur message, en substance : on nous ment, on nous fait taire, on nous soumet à une tyrannie climatique ou une tyrannie de Bruxelles, au nom d’intérêts cachés.

Parmi les orateurs du jour, l’ex-conseiller et fidèle de Donald Trump, Michael Flynn. C’est l’un des hauts conseillers de Trump assigné à comparaître devant le comité chargé de l’enquête sur l’assaut du Capitole aux Etats-Unis. Un témoignage devant ce comité attribue à Michael Flynn un rôle actif dans les initiatives posées pour contester les élections de 2020.

Outre Michael Flynn et ses convictions complotistes, d’autres soutiens internationaux se sont manifestés pour les agriculteurs : celui du populiste américain Steve Bannon, de l’ex-Président américain Donald Trump, ainsi que le soutien d’extrême droite de Marine Lepen, du Rassemblement national, en France.

Pour les populistes, extrémistes ou complotistes, le combat des agriculteurs pour la survie de leurs exploitations peut être utilisé comme une aubaine, une cause sur laquelle greffer leurs narratives de prédilection, de l’aversion pour les élites, pour "Bruxelles", pour les étrangers, pour la mondialisation ou encore pour les défenseurs du climat. Des soutiens qui peuvent souffler sur les braises déjà chaudes de la colère des agriculteurs.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous