La presse étrangère n’a pas accès à ces zones, si ce n’est sur décision et sous escorte russes. Les reportages réalisés dans ces conditions permettent malgré tout d’en savoir un peu plus. Tout comme les messages de responsables politiques sur les réseaux sociaux, ou encore les témoignages des habitants qui ont fini par fuir ces endroits.
Eux ont la parole libre, même s’ils demandent souvent de témoigner anonymement. Plus libre en tout cas que ceux restés sur place, à l’image de Vladislav Replentchuk, de Melitopol, qui répond en ces termes à la question d’un journaliste accompagné par des militaires russes : "C’est difficile de dire ce qu’on pense. On est neutre. On va dire ça comme ça".
Terreur, vol, humiliation
C’est que les Russes font régner la terreur. "Ils étaient constamment ivres. Ils avançaient dans les rues en braquant leurs lampes vers les fenêtres, parfois ils tiraient", se souvient Natacha Bortch, qui a quitté une région partiellement contrôlée par les Russes, entre Melitopol et Zaporijjia.
Elle affirme à l'AFP que certaines de ses connaissances se sont retrouvées emprisonnées dans leurs caves, "mains et jambes attachées", et que la mère d’une de ses amies a été "kidnappée". "Personne ne sait ce qui lui est arrivé."
Les vols sont légion. Dans les villes et les villages, ou aux checkpoints, sous forme de racket. Les checkpoints sont aussi synonymes d’humiliation : on doit souvent s’y déshabiller pour montrer qu’on n’a pas de tatouage pro-ukrainien.
Et, comme en Russie, les contrôles des GSM sont fréquents.
Les listes du FSB
Tous les résidents de Kherson interrogés par l’AFP au début du mois d’avril ont aussi dit avoir vu ou avoir entendu parler de visites de soldats russes dans les appartements. "Ils cherchaient des gens dont les noms sont sur des sortes de liste. Ils entrent dans les maisons et sont armés, c’est impossible de leur résister", explique Tetyana, une employée d’université.
Ce témoignage ne surprend pas Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut Royal de Défense. Ces pratiques ont déjà été rapportées à Melitopol et Berdiansk.
"On sait, raconte-t-il, que dès les premières semaines, des listes établies par le FSB (service de renseignement russe, ndlr) ont été communiquées à la garde nationale russe. Elles sont destinées à contraindre à la collaboration les journalistes, les acteurs socioculturels, les acteurs politiques, etc. Ceux qui n’obtempèrent pas, comme c’est souvent le cas, peuvent disparaître. On sait qu’il y a des déportations, et de la torture."
La garde prétorienne de Poutine
La garde nationale russe, la Rosgvardia, créée en 2016, dépend directement de Vladimir Poutine. C’est la force d’occupation actuelle en Ukraine. "On a donc une prise en main de ces régions d’occupations d’une part par le FSB qui screene les gens et d’autre part une occupation militaire de la place publique par la Rosgvardia."
Bien sûr, dans la population, tout le monde ne résiste pas, certains habitants déplorent que d’autres collaborent avec l’ennemi. Les manifestations à Kherson se sont faites plus rares, elles sont plus durement réprimées. Au début, le drapeau ukrainien continuait de flotter sur l’hôtel de ville, et le maire a pu rester en place. Mais le 25 avril, le drapeau a été retiré. Et l’occupant russe a désigné un nouveau maire : Igor Kastsyukevich, un député russe de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine.
Cela s’est fait dans d’autres villes aussi, notamment à Melitopol, où le maire a même été enlevé pendant plusieurs jours, et remplacé par une Ukrainienne prorusse. Petit à petit, les Russes mettent en place une administration militaro-civile d’occupation.
Russification
Dans un reportage tourné sous surveillance russe, une équipe de télévision a pu filmer la place centrale de Melitopol. Elle est gardée par des camions militaires qui diffusent des chansons patriotiques. Un drapeau rouge orné de la faucille et du marteau y flotte désormais.