Cers derniers mois, les difficultés d’approvisionnement en papier affectent le secteur de l'édition, et notamment les imprimeurs. L'occasion pour la RTBF de rencontrer un acteur de terrain, Eric Guillaume, administrateur délégué de l'imprimerie Bietlot à Charleroi pour faire le point sur une situation compliquée et qui ne risque pas de s'arranger dans les semaines à venir.
Quel impact la crise sanitaire a-t-elle eu sur vos activités?
Eric Guillaume, administrateur délégué de l'imprimerie Bietlot: "Un impact très important. Pour notre secteur, la crise de la Covid a généré une chute du chiffre d'affaires de l'ordre de 30 %. Il a fallu vraiment se réorganiser à partir de mars 2020 et l'année 2021 est encore plus mauvaise que l'année 2020 parce que beaucoup de secteurs de notre économie étaient fermés en début d'année, comme l'événementiel ou le tourisme par exemple. La publicité avait sensiblement disparu, donc on souffre, on souffre énormément."
Les clients de votre imprimerie appartiennent à quels secteurs ?
"Nous travaillons beaucoup pour le sanitaire, tout ce qui est cuisine et salle de bains, ce qui signifie généralement beaucoup de travail pour imprimer des catalogues dans ce domaine. Nous imprimons également toutes les publications de l'Union européenne en 24 langues. C'est un peu notre fond de commerce mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire, cette activité aussi a été impactée par la crise sanitaire: comme le télétravail a remplacé les réunions en présentiel, il a fallu imprimer beaucoup moins de documents."
Est-ce qu'aujourd'hui, vous sentez un retour de la croissance, un retour de la demande de vos secteurs traditionnels ou bien est-ce que vous tablez plutôt sur un redémarrage en 2022 ?
"J'espérais que ça bouge un peu plus à partir de septembre, quand l'économie a vraiment été rouverte. On a senti un frémissement, mais sans plus. Et on sent que le marché n'est pas encore reparti pour nous, imprimeurs. Clairement, on mise surtout sur 2022 avec le retour de grands événements comme Batibouw, par exemple. Les grands salons nous ont énormément manqué en 2021."
Parce que vos clients dépendant aussi de ces salons, forcément, ils vont commander plus de brochures et de catalogues quand ces salons sont ouverts...
Absolument. A partir du moment où on peut distribuer des imprimés, nous retravaillons. Ces foires permettent justement de développer tout ce marché de l'imprimé."
Revenons un instant sur le moment où vous avez repris la direction de l'entreprise sous la forme d'un management buy out. Pourquoi avez-vous choisi de reprendre l'imprimerie à ce moment-là, c'était il y a une vingtaine d'années ?
C'est très simple: l'ancien propriétaire souhaitait céder l'entreprise. Il avait totalement confiance dans les trois cadres qui étaient présents et donc, on a mis en place tout un schéma financier permettant cette opération. Les banques nous ont suivis ainsi que Sambrinvest. L'opération a été digérée en dix ans. En management, on considère généralement qu'il faut une durée de cinq ans pour réussir un MBO mais, dans l'imprimerie, il faut voir un peu plus long parce que, dans notre secteur, les marges restent quand même très faibles."
20 ans plus tard, quel regard jetez-vous sur ce rachat? Est-ce que tout s'est passé comme vous l'imaginiez à l'époque?
"Pas du tout ! Sincèrement, depuis 2014, c'est très compliqué dans le secteur. Beaucoup d'imprimeurs ont disparu. On a bien travaillé jusque 2014, mais depuis, c'est très, très difficile et jamais je n'aurais pensé être dans une situation aussi compliquée aujourd'hui. Pour toute une série de raisons, en fait. D'abord, l'essor de la digitalisation fait qu'on imprime moins qu'avant. Deux, la concurrence européenne s'est fortement accentuée avec les imprimeurs des pays de l'Est, en partie financés par l'Europe. Ils proposent des prix beaucoup plus bas avec une main-d'œuvre moins chère. Donc, tout ça cumulé a fait que notre secteur a été mis à mal et continue d'être mis à mal."
Un mot sur les coûts, justement, en particulier les coûts du papier. Est-ce qu'aujourd'hui, dans vos achats, vous constatez une envolée des prix, comme on le voit dans une série de secteurs ?
Tout à fait. Le prix du papier ne cesse d'augmenter. Nous avons déjà subi quatre augmentations depuis janvier et cela représente grosso modo, en fonction du type de papier, une augmentation entre 25 et 30 % sur dix mois. C'est très important. La plus grosse augmentation est arrivée en août et en octobre. Les huit premiers mois, on a su les gérer plus facilement. C'est vraiment maintenant que ça devient compliqué, parce que si on est capable de répercuter les hausses sur certains clients, on ne peut pas le faire sur les contrats annuel. Et puis, il y a aussi des problèmes d'approvisionnement. Nous ne trouvons plus le tonnage nécessaire à notre capacité de production. Depuis le début du mois de novembre, les fabricants nous imposent des quotas qui nous empêchent en effet d'assumer l'ensemble des commandes que nous pourrions avoir."
Est-ce que ça vous a conduit à diminuer la qualité des papiers pour certains de vos produits ? Ou est-ce que vous ne pouvez pas le faire ?
"Non, non, on ne peut pas le faire. C'est impossible de diminuer la qualité du papier pour essentiellement deux raisons. Ça constituerait des problèmes vis-à-vis de nos clients et on veut garder une qualité d'impression irréprochable. Et deux, on ne trouve de toute façon pas d'alternative au papier qu'on utilise puisqu’aujourd'hui, des quotas nous sont imposés et nous devons faire avec le papier habituel, mais dans des tonnages beaucoup plus faibles."