On n'est pas des pigeons

Pénurie d’ophtalmologues : dans 60% des cas, les patients payent deux ou trois fois plus cher

Consultation chez un ophtalmologue

© Getty Images

Il faut parfois attendre plus de 6 mois pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue et s'il n'est pas conventionné, les prix peuvent exploser.

Dans 60% des cas, les consultations sont réalisées par des ophtalmos déconventionnés.

Une consultation classique en ophtalmologie, cela coûte en principe 42€ au patient, remboursée 29€ par la mutuelle, il reste 13€ à charge du patient. Ça, c’est chez un médecin conventionné, qui respecte les tarifs de l’INAMI. Mais dans 60% des cas, les consultations sont réalisées par des ophtalmos déconventionnés et le tarif moyen de la visite est de 65€, donc 36€ à charge du patient, presque trois fois plus cher.

Consultation chez un ophtalmologue
Consultation chez un ophtalmologue © Getty Images

Paliseul, morne plaine

La proportion des médecins conventionnés diminue chaque année. Parmi les médecins spécialistes, ils ne sont plus que 68%, et seulement 43% chez les ophtalmologues. Mais ces 43% ne représentent, en raison d’un volume d’activité plus faible que les médecins non conventionnés, que 40% des consultations.

Il faut sortir des grands centres urbains pour prendre la mesure de la difficulté de trouver un ophtalmologue conventionné.

J’ai dû prendre rendez-vous au cabinet privé de mon médecin. Mais la simple visite, sans les examens complémentaires, m’a coûté 55€ au lieu de 29€.

"En février de l’année dernière, j’ai voulu prendre un rendez-vous à l’hôpital de Marche", raconte Jean-Claude Pierret, un habitant de Han-sur-Lesse."  Le secrétariat m’a répondu : "nous n’avons aucune place libre cette année". Et pour l’année prochaine, l’agenda n’est pas encore ouvert. J’ai dû prendre rendez-vous au cabinet privé de mon médecin. Mais la simple visite, sans les examens complémentaires, m’a coûté 50€ au lieu de 28€."

Un rendez-vous plus rapide, mais plus cher

Sur la place du village voisin, à Paliseul, l’opticien Philippe Douret, confirme : "Tous les jours, les clients me demandent si je ne connais pas un ophtalmologue, si je peux les dépanner en donnant un petit coup de fil. Il faut souvent plus de 6 mois pour obtenir un rendez-vous ".

Sauf si vous acceptez de payer plus cher…

La consultation vous coûtera entre 65 et 100€.

Pour notre enquête, nous avons contacté les différents cabinets d’ophtalmologie dans la région de Paliseul : Libramont, Beauraing, Marche... Après 5 tentatives infructueuses, nous avons obtenu un rendez-vous dans un délai d’un mois seulement. Mais dans un cabinet déconventionné. "La consultation vous coûtera entre 65 et 100€ ", nous a averti le secrétariat.

En poursuivant nos recherches, nous arrivons à l’hôpital de Dinant (à 50 kilomètres de Paliseul). "Désolé, les deux ophtalmologues qui consultent ici sont bien conventionnés, mais ils ne prennent plus de nouveaux patients."

Nous poussons donc 20 kilomètres plus loin, jusqu’à l’hôpital de Mont-Godinne. Où nous trouvons enfin un rendez-vous dans un délai de 6 mois avec un ophtalmologue conventionné.

Consultation chez un ophtalmologue
Consultation chez un ophtalmologue © Getty Images

"Non, il n’y a pas de pénurie d’ophtalmologues"

Y a-t-il une pénurie d’ophtalmologues en Belgique ? Ce n’est pas le point de vue de l’Absym, le principal syndicat des médecins. "Il y a 1315 ophtalmologues enregistrés en Belgique, cela représente 890 équivalents temps plein si on tient compte de ceux qui travaillent à temps partiel. C’est suffisant", estime Johan Blanckaert, le président de l’Absym, lui-même ophtalmologue.

Il y a environ 10 ophtalmologues pour 100 000 habitants en Belgique. "En France il n’y en a que 8 ", constate Mamisoa Andriantafika, trésorier de la ligue professionnelle des ophtalmologues. "Nous sommes dans la moyenne européenne. C’est vrai que si vous habitez à Arlon, il faut plusieurs mois pour avoir un rendez-vous, mais si vous faites 100 kilomètres, vers Liège ou Namur, les délais vont tomber à un mois ou deux. Vous n’allez de toute façon chez l’ophtalmo qu’une fois tous les deux ou trois ans."

Au passage : au prix actuel du carburant, s’il faut faire 200 bornes pour voir son ophtalmo, il faudra tout de même ajouter dix litres d’essence à la facture du médecin : entre 15 et 20€ en plus ! Quant à ceux qui n’ont pas de voiture, notamment les vieilles personnes qui ne conduisent plus, il faudra prendre sa journée pour aller voir le spécialiste des yeux en transports en commun.

La loi de l’offre et la demande tout simplement

La réalité, c’est que les besoins en ophtalmologie augmentent à cause du vieillissement de la population, mais aussi l’augmentation des problèmes de myopie chez les enfants et les jeunes. Par contre, le nombre de médecins, lui, n’augmente plus depuis des années (politique de numerus clausus).

Et quand la demande augmente mais pas l’offre, le premier étudiant en économie sait ça, deux situations se présentent. Si les prix sont fixes, comme dans les hôpitaux qui respectent en général les tarifs INAMI, les délais pour obtenir un rendez-vous s’allongent inexorablement. Dans les cabinets privés, déconventionnés, ce sont les tarifs qui ont tendance à augmenter.

Consultation chez un ophtalmologue
Consultation chez un ophtalmologue © Getty Images

50 000 euros de revenus par mois

Il n’y a pas que les tarifs qui augmentent chez les ophtalmologues privés, il y a aussi les cadences et les revenus

A 55€ la consultation, c’est vrai que je gagne bien ma vie.

"Avec l’aide d’un(e) assistant(e) orthoptiste, je peux voir entre 40 et 50 patients par jour ", nous confie un ophtalmologue. "A 55€ la consultation, c’est vrai que je gagne bien ma vie."

Les revenus bruts mensuels d’un ophtalmologue déconventionné peuvent donc avoisiner 50 000€. "Mais il faut payer du personnel et les machines ", nuance notre spécialiste. " C’est un domaine où la technologie a fait des progrès considérables ces dernières années, mais cela coûte cher. Un scanner du fond des yeux (OCT), par exemple, cela coûte environ 70 000€."

L'ophtalmomogie dans le collimateur du ministre de la santé

Le ministre Franck Vandenbroucke ne voit pas cette dérive libérale de l’ophtalmologie d’un bon œil. Dans la réforme du financement des soins de santé en préparation, le ministre socialiste veut " garantir un nombre suffisant de prestataires de soins qui respectent les tarifs et garantir des soins accessibles et abordables pour tous ". 

L’ophtalmologie clairement est dans son collimateur. D’après nos informations, il voudrait limiter, voire supprimer, les suppléments d’honoraires en milieu hospitalier et imposer à tous les ophtalmologues, y compris les non conventionnés, le tarif INAMI pour les bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM, ex VIPO).

Consultation chez un ophtalmologue
Consultation chez un ophtalmologue © Getty Images

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