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Pesticides tueurs d’abeilles : la Belgique prolonge leur utilisation l’an prochain

Les producteurs de betteraves obtiennent une nouvelle dérogation en matière de pesticides

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Par Myriam Baele et Daniel Fontaine

On les appelle parfois "néonics", un diminutif presque affectueux pour les néonicotinoïdes. Les défenseurs de la biodiversité maudissent pourtant cette famille de pesticides, plus connue sous l’appellation d’insecticides "tueurs d’abeilles".

Ils ont été interdits par l’Union européenne en 2018 pour leurs effets nocifs sur les pollinisateurs et sur la biodiversité en général. Mais l’Europe a prévu une possibilité de prolonger leur utilisation : les Etats peuvent accorder chaque année une dérogation à leurs agriculteurs, en respectant certaines conditions.

Troisième dérogation

Comme d’autres pays, le gouvernement fédéral a fait usage de cette fameuse dérogation ces deux dernières années. Il vient de l’accorder une nouvelle fois : les néonicotinoïdes seront donc encore largement utilisés dans les champs de betteraves belges en 2022.

C’est l’administration du ministre fédéral de l’Agriculture, le MR David Clarinval, qui a la compétence sur ces dérogations. Le ministre a décliné notre demande d’interview, au motif qu’il s’agit selon lui d’une décision "purement administrative et non politique". Ce n’est clairement pas l’avis de nos autres interlocuteurs. La ministre wallonne de l’Environnement, l’Ecolo Celine Tellier nous a confié ne pas soutenir la dérogation accordée par le fédéral.

Pour comprendre l’enjeu environnemental et économique de l’utilisation de ce pesticide polémique, nous avons rencontré des acteurs concernés.

L’agronome : les abeilles en danger

Etienne Bruneau, agronome spécialiste des abeilles, connaît bien les dégâts que peuvent provoquer les néonics : "Ce sont des produits qui ont une durée de vie très très longue. Ils restent dans la plante. Quand les abeilles vont chercher du pollen ou du nectar, le produit s’y trouve. Les abeilles rentrent à la ruche avec le pesticide qui intoxique toute la colonie. A terme, elle dépérit plus ou moins rapidement."

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On sait que les abeilles sont en danger : en Wallonie, leurs populations sont en diminution depuis des décennies. Or, elles ont une fonction fondamentale pour l’alimentation humaine. "Les abeilles sont des agents pollinisateurs. La pollinisation, c’est ce qui nous permet d’avoir des fruits et des semences. Sans elles, c’est la vie qui disparaît", avertit Etienne Bruneau.

Les populations d’abeilles se raréfient.
Les populations d’abeilles se raréfient. © Tous droits réservés

La responsabilité des néonicotinoïdes est clairement établie dans le déclin des abeilles, confirme l’agronome. "Et les abeilles ne sont pas les seules frappées. Il y a une série d’insectes, de batraciens qui sont touchés par ces molécules. C’est pour ça qu’elles ont été enlevées du marché. Quand on voit l’impact global qu’elles ont sur l’écosystème, ces produits devaient être retirés".

L’agriculteur : pas moyen de s’en passer

Du côté des cultivateurs, on explique ne pas pouvoir se passer de ces pesticides dans les conditions actuelles de production.

La famille de David Jonckheere cultive la betterave de génération en génération. Il nous montre une boîte de semences de betteraves, de minuscules billes orangées : "A l’intérieur de ces billes se trouve la graine de betterave. Autour de la graine, il y a un mélange d’argile dans lequel on met le néonicotinoïde. La pellicule autour nous empêche d’être en contact avec la substance active. Je préfère utiliser ça que de devoir pulvériser trois ou quatre fois par an."

Autour de la ferme de David Jonckheere s’étendent 30 hectares de champs de betteraves, traitées aux néonicotinoïdes. "On les utilise pour combattre les maladies transmises par certains insectes. Le puceron est un petit insecte qui, pour se nourrir, pique la betterave et prélève un peu de sève. Le problème, c’est que certains de ces pucerons sont porteurs de virus qui occasionnent des pertes de rendement : la racine de la betterave reste naine. Si on laisse un champ sans protection et qu’on a une année avec énormément de pucerons porteurs du virus, on peut avoir des pertes de 30 à 50%."

Un plant de betterave atteint par la jaunisse transmise par un puceron.
Un plant de betterave atteint par la jaunisse transmise par un puceron. © DENIS CHARLET / AFP

L’agriculteur insiste : la dérogation européenne établit un cadre pour l’usage de ces produits et limite leur portée. Les néonics ne sont utilisés que sur les betteraves, plante qui n’attire pas les abeilles. Les cultures qui suivront dans cette même terre ne devront pas non plus attirer les abeilles. Pour nous rassurer, il nous montre ses ruches en bordure de champ.

"Si je pouvais me permettre de travailler sans pesticides, je le ferais", confie-t-il. Tout est là : la rentabilité a chuté ces dernières années, après l’abandon d’un système européen qui garantissait un bon prix de vente des betteraves : "Depuis la disparition des quotas betteraviers, les cultivateurs ne gagnent plus d’argent avec la betterave."

Alors, comment garantir un revenu aux agriculteurs sans utiliser les tueurs d’abeilles ? "Changer de modèle, ça ne se fait pas en un jour. Et ça ne se fera pas sans moyens", insiste David Jonckheere. Il faudrait, selon lui, que les groupes sucriers acceptent d’augmenter le prix d’achat des betteraves, ou bien revoir les subventions européennes qui ne servent aujourd’hui qu’à éponger les pertes.

La ministre : une aide à la transition sans phytos

Revoir le système de subsides européens ? L’Europe a loupé le coche avec sa toute nouvelle Politique Agricole Commune, selon Céline Tellier : "On est dans un nœud à l’heure actuelle, parce que la PAC qui vient d’être votée ne va pas suffisamment loin. Que va proposer la Wallonie ? Je plaide pour accompagner le secteur vers une transition. Ça doit se matérialiser dans des aides, par exemple pour des investissements dans du matériel qui permet aux agriculteurs de travailleur leur sol autrement. Mais les aides doivent être conditionnées à la non-utilisation de produits phytos."

Quinze ans après l’apparition de ces néonicotinoïdes, il est tard, mais pas trop tard pour leur trouver une alternative, qui soit viable tant pour les agriculteurs que pour les abeilles.

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