La pédiatre Patricia Vergauwen et le journaliste Francis Van de Woestyne sont les parents de Victor, 13 ans, mort accidentellement il y a près de 3 ans. Quelles relations entretiennent-ils aujourd’hui avec leur enfant mort ? Est-ce que des convictions ou des croyances les aident à tenir et à vivre ? Où puisent-ils de l’espoir ? Qu’est-ce qui les rassure ? Une autre vie est-elle encore possible ?
Patricia Vergauwen et Francis Van de Woestyne signent le livre Un enfant (Grasset). Ils décrivent dans des chapitres alternés les sentiments successifs, parfois mêlés de désespoir, de rage, de désemparement, d’absurde, qui les habitent.
"Les mots qui sauvent"
Patricia Vergauwen - "On a toujours envie de dire comment on va, même si on ne va pas bien. Je trouve que 'comment ça va ?' est une belle question. […] Ce qui sauve, c’est en tout cas que l’on sente que la personne en face de nous nous montre son empathie, de quelque manière que ce soit. Cela réconforte énormément.
L’inverse est vrai aussi. Le fait de faire semblant qu’on ne sait pas, ou qu’on a oublié ou que c’est fini et que c’est loin derrière, est extrêmement douloureux à vivre. "
Francis Van de Woestyne - "Ce que l’on a essayé de dire dans ce livre, c’est qu’il ne faut pas hésiter à parler des morts avec ceux qui sont toujours là. On sent souvent une retenue de la part des personnes qui n’osent pas aborder le sujet, de peur de remuer le couteau dans la plaie. Mais je pense qu’évoquer ceux qui sont disparus, que ce soit un enfant, un conjoint, un ami, un grand-père, ce n’est jamais mal, ça ne fait pas de tort. C’est notre et c’est ma manière de réagir.
Moi j’adore quand on me parle de Victor, je n’en parle pas d’une manière pathologique ou maladive. Simplement j’aime évoquer le souvenir de ce petit garçon joyeux, rieur, que la vie a tenté. Je pense qu’on peut se permettre de demander aux gens comment ils sont, comment ils vont, après la mort de quelqu’un. […]
Ce qui nous sauve, ce qui nous permet d’être encore là aujourd’hui, c’est évidemment nos quatre autres enfants, qui sont aussi nos adorés, et qui nous ont soutenus dans notre démarche d’écriture. Il y a nos amis bien sûr qui nous accompagnent. Et il y a aussi des personnes plus lointaines, qui sont venues délicatement déposer une parole ou un baiser. Il y a des empathies qui sont spontanées, lointaines, qui sont des petites lumières."
"Peu prennent la mesure de l’énorme qui nous arrive"
Patricia Vergauwen - "J’ai d’abord écrit ce livre pour pouvoir rester en lien avec Victor. C’était ma manière à moi de rester maman. On fait toujours des choses pour ses enfants : on les conduit quelque part, on fait des courses pour eux… […] Continuer à faire quelque chose, avoir un projet quel qu’il soit quand on vient de perdre son enfant, c’est quelque chose qui sauve. Moi, ça m’a beaucoup aidée. J’avais ce rendez-vous tous les jours avec Victor, avec cette écriture. Même si je n’écris pas que sur lui. J’écris beaucoup sur moi évidemment, sur ma douleur à moi.
Ce livre, c’est plus pour dire : osons en parler. Osons surtout, pour l’entourage qui a perdu un être cher, surtout allez-y, vous ne faites pas d’erreur. C’est une manière de donner un message, mais surtout pas une leçon, surtout pas une recette."
Francis Van de Woestyne - "On n’a forcément pas écrit un livre pour faire pleurer les gens. D’ailleurs, les premiers retours que nous avons sont vraiment extrêmement sensibles. Beaucoup nous disent : il y a de la douleur dans ce livre, mais il y a aussi énormément de douceur et de lumière. Ou : ce n’est pas un cri d’amour, mais un chant d’amour, pas seulement pour Vincent, mais pour tous ces enfants. Ou encore : en refermant ce livre, j’ai eu une envie irrépressible d’aller serrer mes enfants dans mes bras.
Quel merveilleux message si les gens, après avoir lu ce livre, se disent que la leçon du livre, c’est effectivement l’amour que l’on a pour ses enfants. Peut-être ne dit-on jamais assez à nos enfants, voire à nos proches, qu’on les aime. […]
Le livre donne un vrai message d’espoir, et cela nous fait plaisir."
"C’est injuste ce qui nous arrive"
Patricia Vergauwen - "Oui effectivement, pourquoi nous ? Mais en même temps, je suis très consciente qu’on n’est pas les seuls dans cette situation. Il y a énormément de parents qui ont perdu un enfant, un être cher. On ne veut pas du tout donner l’impression qu’on est les seuls dans cette situation, qu’on sait mieux que les autres. Mais on se demande pourquoi la vie nous réserve ça, oui. Je ne m’attendais pas du tout à avoir cette vie-là en fait.
On pense toujours que nos enfants sont éternels, oui c’est une espèce d’illusion. On n’imagine jamais un drame pareil."
"C’est la vie, maman"
Francis Van de Woestyne - "En ce moment, il est difficile de croire que nous nous retrouverons un jour quelque part. […] Il m’arrive à certains moments de croire et d’avoir une certaine forme de foi. Je dois dire qu’à d’autres moments, je suis plus en recherche et j’essaie de trouver le sens de ce qui arrive, et ça c’est quand même compliqué.
Où est-elle ma foi ? Est-ce qu’elle peut m’aider ? Quelles sont les réponses que la religion me donne ? Ce drame arrive à beaucoup de personnes. La question est 'pourquoi'. La question est banale, mais s’il y a un Dieu, pourquoi est-ce qu’il permet cela ? […]
La mort de mon enfant n’a pas fragilisé ma foi, elle l’a questionnée. Je me suis vraiment dit : qu’est-ce que cette religion m’apporte ? Seul, je ne trouvais pas les réponses. On en a parlé avec Gabriel Ringlet en préparant l’enterrement de Victor. Et quand je rencontre des personnes croyantes, il m’arrive de poser des questions.
Mais ce n’est pas nécessairement dans la confession catholique que je trouve les réponses. J’ai eu une belle réponse avec François Cheng, le philosophe franco-chinois qui a écrit beaucoup de livres sur l’âme, et ça, c’est un concept qui me parle beaucoup plus : "La communion des âmes ne connaît pas de séparation". J’ai le sentiment que l’âme de Victor est quelque part. […] Je suis dans l’espoir et l’espérance.
Quand je cherche Victor, c’est plus l’âme que je cherche, que je perçois."
Patricia Vergauwen - "J’envie les gens qui sont dans une grande croyance, une foi imperturbable. […] L’âme de Victor met une présence dans cette absence. C’est une manière de le laisser présent. On ne sait plus comment faire et ça, c’est une belle manière de dire qu’il est quand même encore là."
"On vacille, mais on vit"
Francis Van de Woestyne - "Je me sens vivant, debout. Même si chaque matin, il faut réapprendre la mort de Victor, je suis en vie. Il nous arrive d’avoir des moments de bonheur, mais c’est toujours un bonheur à 50 ou 60%, parce que forcément, on ne peut pas nous enlever cette douleur qui est bien profonde. Mais oui, on vit. On vacille mais on vit."
Patricia Vergauwen - "Je pense que j’ai une vie en apparence. A l’intérieur de moi, c’est tout à fait différent. J’essaie, et je pense que c’est finalement ce qui me rend vivante. J’ai l’impression de faire beaucoup semblant, […] dans le fait d’avoir l’air d’aller bien… Ça me permet peut-être à la longue d’aller bien quand même, à force de m’entraîner à aller bien, j’avance quand même."
Francis Van de Woestyne - "Etre en vie, c’est une question de respect par rapport aux autres, à ceux qui nous accompagnent, à nos autres enfants qui sont notre socle indestructible. Se tenir debout, c’est leur montrer que leur aide nous est également précieuse. 'Et si on essayait d’être heureux, ne fut-ce que pour donner l’exemple', écrit François Cheng. On peut se reconstruire après ce drame absolu, même si c’est compliqué tous les jours. Il y a une voie, un chemin escarpé."
Patricia Vergauwen – "On tient pour les enfants, mais eux tiennent pour nous. Parce que bien sûr, la douleur, ce n’est pas que pour les parents de Victor, c’est une immense douleur pour les frères et soeurs aussi et on n’y pense pas souvent, je trouve, pas assez. C’est dans les deux sens, comme des vases communicants. Si nous, on tient, eux vont tenir, et vice-versa. Heureusement qu’ils sont là. Y compris notre famille et les amis."
Ecoutez l’intégralité de l’entretien dans Et dieu dans tout ça ?