Les parlementaires passent-ils trop de temps sur leur smartphone lorsqu’ils sont dans l’assemblée ? C’est ce que pense l’artiste flamand Dries Depoorter. Il a donc conçu un logiciel pour repérer les parlementaires distraits par les écrans. Un logiciel qui débusque et qui dénonce aussi.
Flemish Scrollers
Comment ça marche ? D’abord, Dries Depoorter a créé un code qui traque les streams des séances du Parlement flamand, des heures et des heures de réunions publiquement accessibles diffusées sur le site du Parlement flamand qui a même sa chaîne Youtube. Dries Depoorter a donc programmé une intelligence artificielle qui repère les parlementaires en train de scroller sur leur smartphone, d’où le nom de l’opération "The Flemish Scrollers". Et ce n’est pas tout, l’IA débusque les "scrollers" et envoie automatiquement un message sur un compte Twitter et un compte Instagram créés pour l’occasion.
Un extrait de quelques secondes montre l’élu surpris en train d’accorder plus d’attention à son smartphone qu’à ce qui se dit au Parlement. Chaque vidéo est accompagnée du même message mécanique en anglais : "Dear distracted @BartSomers, please stay focused !", "Dear distracted @Petervanrompuy, pls stay focused !", "Dear distracted @VreeseMaaike, pls stay focused !". Pour l’instant le compte “The Flemish Scrollers” n’a publié que 5 tweets et n’a pas suscité un intense enthousiasme chez les parlementaires.
Jambon et "Toy Blast"
Est-ce que cette initiative soulève un vrai problème, de manque d’attention dans les assemblées ? Oui, ce qui arrive aux Parlements est ce qui arrive dans toutes les réunions aujourd’hui. Les smartphones sont venus saturer toute notre attention, quitte parfois à la détourner. Ainsi, le ministre président flamand avait-il été surpris il y a deux ans, en plein débat de sa déclaration de politique générale, en flagrant délit d'"Angry Birds". Il avait dû réagir. Ce n’était pas "Angry Birds" mais "Toy blast".
Malgré son humour, Jan Jambon s’est retrouvé à la une de tous les journaux flamands en flagrant délit d’inattention. Mais la question à se poser et que l’intelligence artificielle de “Flemish scrollers” ne se pose pas, c’est de savoir si l’inattention du député ou du ministre est problématique ou pas. Il suffit de passer quelques heures à suivre des débats parlementaires, pour comprendre qu’il y a de nombreux temps morts, des points de procédure, des interruptions, des interventions inopportunes, ou des points qui ne concernent pas la spécialité du parlementaire. Il n’y a pas si longtemps, les députés apportaient à peu près tous leur journal dans l’hémicycle pour combler ces moments-là.
L’autre question que l’intelligence artificielle, qui est surtout artificielle et peu intelligente, ne se pose pas c’est de savoir ce que fait le parlementaire sur son Smartphone. Joue-t-il à Candy Crush ou envoie-t-il un mail à un expert des pollutions des sols pour avoir son avis sur un ministre qui affirme que le taux d’acide perfluorooctane sulfonique relevé dans les jardins d’un quartier d’habitation n’est pas dangereux ? Non, tout ça est évacué par la mécanique aveugle de l’IA qui considère au fond l’activité parlementaire comme un nouveau “Loft Story”.
Un contrepoids
En même temps cette initiative est intéressante car elle nous met à distance du spectacle des débats parlementaires. C’est-à-dire de la manière dont le Parlement nous apparaît "mis en image" par médias interposés. Les courts extraits de débats parlementaires diffusés sur les réseaux sociaux sont devenus l’une des principales sources d’accès au Parlement pour les citoyens, aux côtés des journaux télévisés, des émissions comme "Villa Politica" en Flandre, ou des retransmissions en direct.
Pour s’adapter, les partis ont tous engagé des producteurs de contenus qui découpent, sous-titrent et publient des extraits vidéos. Le PTB est passé maître en la matière côté francophone. Côté flamand, la N-VA et le Vlaams Belang les utilisent également beaucoup. Le compte de Dries Depoorter est donc une forme de critique de ces montages, une sorte de contrepoids qui montre l’autre côté, l’autre face des parlementaires.
Mais cette face est aussi incomplète que les montages de propagande des partis et donc tout aussi insuffisante. Tout ça doit nous pousser à réfléchir et à remonter à la source, d’aller suivre 15 minutes, une demi-heure, une séance du Parlement. En essayant de ne pas regarder son smartphone.