Des milliards d’euros. La crise du Covid nous a déjà coûté cher : 42 milliards pour l’économie belge. 30 milliards rien que pour les finances publiques, qui ont assuré l’essentiel des " pertes " de la crise. Et ça, c’est selon les dernières estimations du Bureau Fédéral du Plan – de septembre, qui doivent être actualisées prochainement.
Regard sur l’année économique 2021, avec Philippe Donnay, Commissaire au Plan, qui suggère d’allonger l’horizon des stratégies publiques. Sortir de la crise actuelle en investissant à un horizon économique de plusieurs années. Quitte à faire aujourd’hui des choix qui, politiquement parlant, semblent difficiles.
Avec des taux d’intérêt nuls voire négatifs, cela donne l’impression que l’on peut dépenser sans limite. Ce n’est pas le cas.
Est-ce qu’il faut continuer à aider toutes les entreprises, avec des aides publiques, en 2021 ?
Philippe Donnay : "Non. Cette réponse est peut-être atypique, mais non. Parce qu’il y avait déjà un certain nombre d’entreprises qui étaient, avant la crise, en grandes difficultés, au bord de la faillite ou à capital négatif – ce qui n’est pas possible. Ne pas les aider, cela libérerait du capital et de la force productive pour d’autres entreprises plus efficaces. Et que l’on ait, au final, un résultat positif".
Resserrer la vis budgétaire dans les mois qui viennent, cela devient nécessaire ?
P.D. : " Cela dépendra de la longueur de la crise. Mais il va falloir à un moment donné organiser la sortie de toutes les aides publiques. Pas de manière généralisée, parce que certains secteurs vont s’en sortir plus rapidement que d’autres. Mais il va falloir trouver des indicateurs pour discriminer ces aides et en sortir.
Est-ce qu’on a bien dépensé l’argent public ? Probablement que dans la deuxième phase de cette crise, il aurait fallu être plus discriminant dans les aides accordées. Et je ne remets pas du tout en cause la politique budgétaire en 2020. L’Etat a joué son rôle, grâce aux stabilisateurs automatiques – chômage temporaire et droit passerelle en première ligne. Dans le pire de la crise, ce sont 1 million 250.000 personnes qui en ont bénéficié.
Notre taux de croissance est trop faible pour pouvoir plus financer nos dépenses publiques, nos services publics et l’économie.
Et sans doute qu’en 2021, nous aurons encore un déficit budgétaire majeur. Mais il nous faut une véritable stratégie de sortie de crise. Avec des taux d’intérêt nuls voire négatifs, cela donne l’impression que l’on peut dépenser sans limite. Ce n’est pas le cas.
Il peut y avoir une crise de confiance, qui risque de provoquer des dégâts importants. Et ça n’est pas qu’une question théorique. Je rappelle qu’en 2011, à la fin de la crise institutionnelle et à la formation du gouvernement Leterme, il a fallu faire appel à l’épargne des gens, parce que l’État belge n’avait plus accès aux marchés financiers ".
Va-t-on passer d’un Etat au chevet de l’économie, à un Etat pilote - aussi capable de dire que certaines dépenses sont trop élevées ?
P.D. : " Maintenant il va falloir faire des choix. Il va falloir payer cette crise. Et il y a toujours quelqu’un qui va payer la facture. Et contrairement à ceux qui affirment qu’il suffit d’aller chercher l’argent çà ou là, je ne crois pas aux recettes faciles en la matière.
Les investissements publics, ça coûte et ça ne vote pas aux prochaines élections.
Il y aura des choix de société à faire : quels objectifs veut-on s’assigner, quels moyens pour les atteindre, et comment s’organise-t-on ? Il va falloir développer un véritable pacte social entre les Belges ".
Il va falloir faire une distinction claire entre dépenses et investissements ?
P.D. : " Nous avons déjà fait l’erreur du désinvestissement public dans les années 80 (et pas que la Belgique). On a réduit les investissements publics pour sauvegarder les subsides, sociaux et aux entreprises. Pour une raison simple : les investissements publics, cela a un coût économique à moyen et long terme, et ça ne vote pas aux prochaines élections. Inutile de vous préciser la contraposée.
Quand il y a eu la crise souveraine dans les pays de la Couronne européenne, nous avons fait exactement les mêmes choix et — je vais aller plus loin — les mêmes erreurs.
Il faut investir dans un certain nombre de secteurs qui sont les plus porteurs pour générer de la croissance.
Tout ce que dit le Bureau du Plan, c’est qu’il faut investir dans un certain nombre de secteurs qui, pour nous, sont les plus porteurs pour générer de la croissance. C’est-à-dire les transports, les télécommunications et l’énergie, parce que ce sont trois secteurs à réseaux qui génèrent des coûts importants pour la société au sens global du terme, mais qui, in fine, auront des effets positifs et que c’est là-dessus qu’il faut vraiment investir. Pour avoir du rendement, non pas financier, mais sur l’économie.
Investir dans les soins de santé, c’est très bien, mais il faut avoir la capacité de pouvoir les financer. Cela a un rendement sur la santé des gens, mais ça n’a pas de rendement en termes de croissance économique.
Or, notre taux de croissance est trop faible de manière structurelle, on est à moins de 1,5% par an. C’est trop faible, il faudrait remonter aux alentours des 2% par an pour pouvoir plus financer nos dépenses publiques, nos services publics et l’économie de manière générale ".
Il est urgent de renforcer le tissu économique belge ?
P.D. : "Oui, parce que pour dépenser, il faut un tissu économique vivant. Et nous allons avoir besoin d’argent. Comment va-t-on financier la transition énergétique ? Et la transition démographique vers une société vieillissante ? Cela ne se limitera pas au fait de payer les pensions.
Comment va-t-on financer des infrastructures pour accueillir des personnes âgées dépendantes ? Ce sont des soins et institutions qui coûtent cher. Et donc il nous faut une véritable stratégie, parce que le vieillissement de la population, c’est maintenant. Ce n’est plus dans 20 ans".