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Phoenix: notre entretien avec le chanteur du groupe français le plus cool de tous les temps

© Lainez Shervin, NYC 2018

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Par Aline Glaudot

En 2020, Thomas Mars, Deck d'Arcy, Laurent Brancowitz et Christian Mazzalai fêtaient les vingt ans de leur premier disque "United" et presque autant d’années d’amitié. On est sûrement très nombreux à se souvenir de la première fois qu’on a entendu l’un de leurs morceaux les plus cultes "If I Ever Feel Better". Ça fait 22 ans aujourd’hui que "United" est sorti et six autres albums ont alors suivi, correspondant ainsi à des périodes bien spécifiques de nos vies. Chacun à leur manière ils ont marqué l’époque par leur singularité et la magie des endroits qui les ont vus naître.

Deux décennies qui ont vu Phoenix conquérir l’Europe, l’Amérique et le Cinéma, devenant ainsi (et comme d’autres de cette cuvée Versaillaise) un incontournable de notre pop culture. Jam a discuté une trentaine de minutes entre deux concerts aux Etats-Unis avec Thomas Mars, tête chantante de ce quatuor iconique dont le talent n’a d’égal que la modestie et la sympathie qu’il dégage.

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Voici notre entretien avec le chanteur du groupe le plus cool de l’histoire du rock français dans le cadre de la sortie de leur septième disque "Alpha Zulu" ce 4 novembre. Un album enregistré dans le prestigieux cadre du Musée des Arts Décoratifs, à Paris.

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Votre premier album "United" a fêté ses 20 ans en 2020, aujourd’hui vous sortez votre septième album… À quoi ça tient la longévité d’un groupe dans le temps ? A quoi elle tient la longévité de Phoenix ?

C’est compliqué ! On a grandi ensemble en fait, c’est notre premier groupe, je pense que déjà ça ça facilite beaucoup de choses. On se connaît, on parle la même langue, on n’a pas besoin de s’expliquer. On a les mêmes influences, on a acheté des disques ensemble. Quand c’est le premier groupe il y a une forme de naïveté dès le départ, on ne connaît pas les enjeux et la pression, on découvre les hauts et les bas ensemble. C’est aussi le fait qu’on ait apprécié autant les pires concerts que les bons : pour l’album United, je me souviens qu’on a joué dans une salle de club de foot où il y avait dix personnes, et ben ça reste un super souvenir. A partir de ce moment-là, si on arrive à rester ensemble, c’est gagné.

Et puis la curiosité: chaque album c’est comme un premier album, on le fait et on se met autant de pression que si c’était le dernier.

On repart de zéro en termes d’influences, d’idées. En général, il y a toujours une forme de jachère, c’est la politique de la terre brûlée, on fait quelque chose de différent comme si on était devenu un autre groupe mais c’est le même quatuor.

Et puis vous donnez l’impression qu’il n’y a pas d’ego dans Phoenix, tu es d’accord avec ça ?

Non et c’est vrai que ça ça aide aussi ! Après si tu regardes statistiquement, c’est souvent les groupes qui ont des frères qui pose problème, que le chanteur n’ait pas de frère dans le groupe et bien ça aide (rires).

Quel état d’esprit, quel sentiment général a drivé cet album ? On sait que "Ti Amo" se voulait beaucoup plus homogène, plus lumineux, solaire, comme une réponse au plus complexe "Bankrupt"… Qu’en est-il d'"Alpha Zulu"?

C’était assez étrange comme sentiment. Pour la première fois, on enregistrait dans le musée des Arts Décoratifs à Paris. On cherche toujours des studios atypiques, un lieu assez vierge et quand l’idée d’avoir accès au Palais du Louvre est devenue une réalité, on y croyait à peine. Non seulement c’était un lieu atypique mais en plus c’était un fantasme d’adolescent.

La pandémie a juste commencé juste après… Donc le début de cet album c’est vraiment dix mois de frustration. On avait le studio pour un temps assez défini, pas ultra-long et on n’y a pas eu accès comme on voulait ! Moi j’étais bloqué aux Etats-Unis en plus. Je pense que cette frustration nous a servie : dix mois plus tard (c’est long quand on a l’habitude de se voir toutes les 3 semaines), on s’est retrouvé dans cet endroit incroyable et je crois que les deux premières semaines on avait déjà fait la moitié de l’album. Après le peaufinage a pris plus de temps mais "Identical", "Alpha Zulu", "After Midnight", … sont nées comme ça. D’autres morceaux comme "Winter Solstice" par exemple sont nés de la pandémie, de la distance, du fait de s’échanger des fichiers parce qu’on n’avait pas le choix.

L’importance des lieux chez Phoenix est fondamentale. Ici vous vous êtes retrouvés au Louvre, pour "Ti Amo" à la Gaité Lyrique. C’est marrant vous n’avez jamais enregistré aux USA, pourtant tu vis là-bas, c’est essentiel pour vous de vous retrouver à Paris ?

Oui c’est vrai, sauf pour le deuxième album où on avait vraiment choisi un studio qui était mythique pour nous, un studio où tous nos disques prefs avaient été enregistrés (Prince, les Beach Boys, les Strokes) Sunset Sounds à Los Angeles. Une fois qu’on l'a fait on voulait passer à autre chose, après avoir testé ces studios professionnels on a voulu repasser à quelque chose de semi-professionnel, plus amateur, moins stressant, plus original et singulier. Ces gros studios c’est trop de pression en fait. Et puis Paris, moi j’ai besoin d’y revenir. On s’est exilé quelques fois pour faire des albums, mais on y revient.

Et cet album, c’est peut-être le plus parisien qu’on ait fait : dans le Louvre, au cœur de Paris, en pleine pandémie. Le musée était vide, on était avec les gardes de nuit, c’était assez surréaliste, dystopique.

Ça reste des bons souvenirs. C’est bizarre, c’étaient des moments glauques et à la fois uniques, donc on savait aussi apprécier ces moments. On savait que l’album en serait forcément beaucoup plus chargé, comme tous les albums post-pandémie sont plus chargés émotionnellement.

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Qu’aurait pensé Philippe Zdar (producteur historique de Phoenix, membre de Cassius décédé en 2019) de cet album ?

Chaque album qu’on fait il est avec nous, il était tellement charismatique que toutes ses idées et ses concepts transpirent dans cet album :

Dans chaque morceau il n’y a pas eu une structure, un track listing, où on ne pense pas à Philippe, il est constamment présent. Je pense qu’on le connaît assez bien pour qu’on ne se soit pas trop planté.

Lui aussi une fois que les décisions étaient prises et que l’album était acté par le groupe, il ne revenait jamais en arrière. Il avait cette forme de liberté qui nous guidait et qui nous donnait la confiance nécessaire pour finir le morceau. Une fois qu’on était sûr de nous, il acceptait totalement le truc. "Identical" c’est un morceau qu’on a fait trois jours après son enterrement. Donc oui, l’album est complètement imprégné par Philippe. Même maintenant quand on joue les morceaux en live on ne peut s’empêcher d’échanger des regards complices entre nous et avec les mecs du staff qui bossent pour nous et travaillaient avec lui à Motorbass

Vous aviez déjà enregistré à Motorbass ?

Oui ! En fait "Wolfgang Amadeus Phoenix" c’est là qu’on l’a commencé, dans ce studio qui n’était absolument pas fini. On lui disait "nous, tu sais, un studio en travaux ça ne nous dérange pas. Et puis ça peut te payer une partie des travaux de façon à ce que le studio soit prêt à mixer l’album" mais lui, il était parfois tellement pressé que ça a donné lieu à des scènes assez folles. Je me souviens qu’à un moment pour une question d’agencement de murs il fallait absolument abattre les toilettes… et donc il est allé chercher une massue et a commencé à défoncer l’émaille des toilettes.

Ce huitième album s’appelle "Alpha zulu", ça ne renvoie à rien de particulier et encore moins à la pochette du disque. Tu peux m’expliquer avec tes mots à quoi ça fait référence ?

L’histoire c’est que j’étais dans un petit vol aux Belize, un petit pays d’Amérique centrale. Faut savoir que, quand les vols sont pleins, on te donne la place du copilote, ce qui est censé te rassurer si tu as un peu peur de voler… Sauf que là le vol ne s’est pas du tout bien passé. J’entendais les échanges de la tour de contrôle avec la pilote qui renvoyait une espèce de panique générale, je les entendais dire "Alpha Zulu, Alpha Zulu". J’entendais donc le stress de tout ce truc et je voyais aussi les gens qui commençaient à paniquer. Ce genre de moment où tu penses que c’est peut-être la fin ! Certaines personnes gèrent plus ou moins bien. Alpha Zulu du coup c’était le nom de l’avion. Six mois plus tard, on était en studio et bon il y a des choses comme ça qui reviennent. La façon dont on enregistre c’est assez thérapeutique, il y a des trucs qui reviennent et on ne sait pas d’où ça vient. Je me suis alors mis à chanter Alpha Zulu, ça m’est revenu comme ça.

Est-ce que tu dirais que cet album se rapproche de l'un ou l'autre disque en particulier de votre discographie ?

Oui, il se rapproche pas mal de "United". Quand on a grandi au lycée on était un peu frustré des cases qui existaient entre les genres musicaux ; ceux qui aimaient les Cure, le gothique et puis les autres. Nous, on achetait souvent les vinyles pour leur pochette, du coup les genres se mélangeaient énormément. On écoutait Dionne Warwick et puis Kraftwerk, Marvin Gaye, des trucs qui n’avaient absolument rien à voir entre eux. "United" on l’a conçu comme ça et "Alpha Zulu" aussi, on a élargi notre spectre avec tous les morceaux qu’on a choisi pour cet album. On avait des centaines d’idées et une vingtaine de morceaux et on a choisi ceux qui étaient les plus écartés en termes de spectres musicaux, ceux qui avaient le moins en commun. C’est un peu une réaction à "Ti Amo" qui avait un thème fort et où on essayait de tout mettre dans la même case.

Il y a une chanson dans "United" qui s’appelle "Funky Squaredance" où le spectre est tellement écarté que dans la même chanson il y a trois styles musicaux différents, on aimait jouer avec les codes, les inepties musicales. En 2000, c’était interdit, mettre un saxo sur un morceau c’était un sacrilège. On se faisait incendier par tout le monde tellement les codes étaient forts.

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Musicalement tu dirais que Phoenix a dû s’adapter à son époque, à son public ou vous continuez à faire ce que vous voulez ?

Non, l’ennemi numéro 1 de l’artiste je pense que c’est donner aux gens ce qu’ils veulent, tu peux donner aux gens ce qu’ils ont besoin mais leur donner ce qu’ils veulent c’est la mort de l’art ! Moi les albums que j’ai préférés et que j’ai découverts plus jeune, voire même que je découvre seulement maintenant, en général leur première écoute est un choc émotionnel, presque répulsif. Il y a un artiste californien, Ed Rusha, qui dit que l’art qui se respecte doit avoir comme première réaction "hein ?" et puis "waw !" et pas l’inverse… L’idée n’est pas de se poser des questions après, la première réaction doit gêner, déstabiliser. Quand je repense à Prince quand j’étais petit, je devais avoir 8 ans, la première fois que je l’ai vu à la télé il m’a fallu mon grand frère pour qu’il me dise "tu verras ça, c’est vraiment bien". A Versailles, personne n’avait jamais vu ça, cet espèce d’alien virtuose qui débarque.

Vous avez sorti "Tonight" avec Ezra Koening (Vampire Weekend), c’est marrant j’ai l’impression que c’est la première fois que vous partagez un titre avec un autre artiste, c’était une envie que vous aviez depuis longtemps ?

Le seul morceau qu’on a déjà partagé c’est avec Bill Murray pour "Alone on Christmas Day". En fait quand on écrit nos chansons, on fonctionne par petits blocs d’idées, avec des parties qui peuvent être interchangeables. On a un tableau où on nomme toutes ces parties et dans le morceau "Tonight", il y a un pré-refrain qu’on avait appelé "Ezra". Donc sur le tableau blanc derrière moi il était marqué Ezra pendant tout l’enregistrement. Je pense du coup qu’inconsciemment je me suis mis à chanter de façon maniérée comme lui. On se connaît depuis deux ans maintenant, on est parti en vacances ensemble. Et du coup je lui ai finalement demandé s’il voulait se joindre à moi sur ce morceau.

Je lui ai demandé parce que je savais qu’il pouvait dire non, on se connaissait assez pour qu’il puisse dire non, ce qui est sans doute la raison pour laquelle on ne fait pas souvent de featuring.

Moi si on me demande un feat, je trouve ça assez dur de m’engager parce qu’on a toujours peur que le résultat final ne soit pas bien. Faut connaître assez les gens pour leur dire non, non on peut faire mieux. Du coup Ezra a accepté. J’appréhendais le fait d’avoir écrit les paroles et de faire chanter ces paroles par quelqu’un d’autre, c’est délicat. Et quand il nous envoyait ses maquettes, on écoutait ensemble avec le groupe et c’était encore mieux que ce qu’on imaginait ! On avait finalement pensé à lui sans vraiment s’en rendre compte.

 

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Vous êtes en tournée aux US pour le moment avant de venir chez nous, comment se sont passées les retrouvailles avec le public ? Est-ce que vous le voyez évoluer avec vous ou changer ?

En Europe on n’a pas encore beaucoup joué donc je ne sais pas vraiment. Mais ici, aux Etats-Unis, ça me fait presque marrer à chaque fois que je le vois tellement il est super diversifié. Je pense que le seul point commun entre tous ces gens c’est notre musique (rires). Il y a de tout ! Hier, il y avait des gens entre 7 et 77 ans, beaucoup venaient de loin vu que les Etats-Unis c’est super grand. Certains sont venus nous dire qu’ils avaient fait 8h00 de route en se réécoutant tous nos albums. En Europe aussi je pense que, vu que ça fait longtemps, il y a une nouvelle génération qui depuis a découvert Phoenix, on le voit en festival. C’est peut-être les enfants de ceux qui écoutaient Phoenix il y a 20 ans. Quand on jouait à Coachella, il y avait des enfants dans le pit et les parents au balcon ou dans les loges. Il y a quelque chose de multigénérationnel et cosmopolite assez dément.

Venez les applaudir le 22 et 23 novembre prochain pour deux concerts exceptionnels à l’Ancienne Belgique.

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