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Pi Ja Ma : “Je n’avais pas envie de me mettre de règles”

© Florian Salabert

Pi Ja Ma, c’est le projet musical de Pauline de Tarragon, une artiste française de 25 ans qui depuis son appartement parisien, dessine, chante, écrit, doute, pleure et croque la vie à pleines dents. Après un premier album en 2019, cette artiste honnête et spontanée dévoilait le 20 mai dernier Seule sous ma frange, un deuxième disque à l’image de sa personne : décalé, touchant, drôle, parfois sombre, et toujours profond. Rencontre.

Salut Pauline ! Comment tu vas ?

Très bien, aujourd’hui c’est une journée plutôt chill. Il fait beau en plus !

Ton album Seule sous ma frange est sorti il y a quelques semaines. Le disque est très varié : on part sur quelque chose de solaire pour finalement terminer sur des notes plus sombres. Peux-tu me parler de cette ambivalence ?

À la base, je n’ai vraiment pas réfléchi à l’ordre de l’album. Ça s’est vraiment passé à la fin, une fois qu’on avait tout terminé. Il s’est dessiné deux ambiances assez distinctes, je les ai tout de suite vues comme des couleurs : il y avait la partie rose et la partie bleue. La partie rose assez légère, fun, dansante, et la partie bleue plus mélancolique, voire depressive. Je me suis dit que ce serait super d’organiser ça en deux blocs et de finir l’album sur une note pleine d’espoir et d’humour avec le featuring avec mon papa. Je trouve que ça résume assez bien qui je suis et l’univers dans lequel j’évolue : j’ai tendance à m’amuser beaucoup et à faire beaucoup de dessin, de trucs artistiques, mais j’ai quand même une partie de moi qui est hyper angoissée, hyper sombre et hyper pessimiste. Les deux cohabitent de façon assez bizarre mais dans l’album j’avais envie de retranscrire ce truc-là. Je pense que n’importe qui a, en soi, une part de joie et de darkness. 

© Florian Salabert

Sur cet album, tu abordes l’amour, la solitude, ou encore la dépression. Ce sont des sujets plutôt chargés, mais tu parviens à en parler en profondeur en seulement 11 titres ! 

À chaque fois que je fais une interview, je me rends compte de ce que j’ai fait comme album (rires). Je pense que cet album a mis tellement de temps à sortir, c’est comme si il y avait deux voire trois albums en un, et donc des sujets très différents. Après, j’ai l’impression qu’il y a une vibe un peu commune : ça parle beaucoup de mon rapport à la solitude, des relations humaines, d’introspection, etc. Je n’avais pas envie de me mettre de règles et de me dire “OK il faut que je parle uniquement de ce sujet en particulier” ou “il faut que j’inclus seulement cet instrument dans cet album”. J’avais envie d’y mettre tout ce que je voulais, c’est un peu un gros collage. Tout le monde avait un peu peur du côté indigeste du truc, on s’est dit que c’était peut-être trop d’infos pour les gens. Mais au final, c’est très rare que les gens écoutent les albums en entier : souvent, ils prennent deux ou trois chansons et ils les mettent dans leurs playlists. Moi je consomme aussi la musique comme ça donc je me suis dit “chacun va venir prendre ce qu’il a envie de prendre”. Je ne me suis pas trop mise de règles pour cet album-là. 

Même aux niveaux des sonorités ou de la production du disque, on se rend compte que c’est très éclectique : tu ne te cantonnes pas à un style en particulier. D’où te sont venues ces nouvelles idées ? 

C’est vraiment du au fait d’écouter mille choses différentes. Moi, je consomme énormément de choses chaque jour, je suis un peu hyperactive de tout : des écrans, d’aller au cinéma, etc. Du coup je vais digérer plein de choses pour après m’en servir et le refaire à ma façon. Par exemple, je trouve ça hyper émouvant les gens qui utilisent de l’autotune sur leur voix alors que certaines personnes trouvent ça hyper froid et robotique. Je me suis dit “c’est bizarre si je fais ça sur mon album” puis je me suis fait “mais je m’en fous en fait, si moi je trouve ça beau je le fais”. Par exemple ma mère, elle n’aime pas ça l’autotune et quand elle a écouté la chanson elle m’a dit “ah t’as mis de l’autotune ?” J’ai dit “Bah ouais” et après elle m’a dit “Ah mais c’est super”. C’est fou, les gens n’ont que des idées reçues sur les choses. Ça fait des années que les gens mélangent les styles, peut-être qu’en France on est un peu en retard sur ça mais j’ai l’impression qu’aux États-Unis ça fait longtemps qu’ils mélangent le rock et le rap, la pop et la trap, etc. C’est hyper inspirant. Vu qu’on écoute tous un milliard de choses, je me dis que ça serait bizarre de se mettre un cahier des charges. On n’a tellement pas des métiers de fonctionnaire que si on nous donne l’occasion de créer un truc, il faut vraiment créer un truc de foufou. Il ne faut pas être trop scolaire. On me donne l’occasion de faire un album ; autant saisir l’occasion de faire n’importe quoi ! 

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Comment as-tu évolué depuis la sortie de ton premier album, Nice to Meet U ? 

Il y a eu beaucoup de différences, particulièrement au niveau de mon syndrome de l’imposture de musicienne. Avant, je n’osais même pas montrer mes paroles à Axel, la personne avec qui je travaille. J’étais trop gênée. À un moment, je me suis rendu compte que j’avais besoin de bosser dans mon coin et d’aboutir une chanson pour ensuite lui faire écouter. Là, j’ai commencé à bosser comme ça. J’ai aussi beaucoup fait écouter ma musique à mes amis et demandé leur validation, j’ai aussi fait écouter à ma famille et tout. Je me suis vachement débloquée la dessus. Quand j’ai commencé la musique, j’avais 18 ou 19 ans. Maintenant j’ai 25 ans, et j’ai l’impression que j’ai appris plein de trucs sur les relations humaines, j’ai appris à trouver un équilibre pour ne pas faire trop choses et éviter de faire un burn-out toutes les deux semaines. J’ai l’impression que j’ai appris à dire non. J’ai rencontré une manageuse super et du coup j’arrive beaucoup mieux à gérer ma vie et mon travail grace à elle. Ce sont vraiment des années où tu grandis beaucoup, tu découvres plein de trucs, c’est un peu le bordel mais en même temps j’ai l’impression d’aller sur la bonne voie. 

C’est intéressant, on dirait une sorte de cycle : tu évolues sur le plan humain et ça se ressent dans ta musique, mais ta musique t’aide également à évoluer, ou en tout cas à profiter des bienfaits de cette introspection. 

Plus tu fais des choses qui te ressemblent, plus les gens valident ce que tu fais, plus tu as envie d’être toi-même. Tu te dis “c’est cool, c’est accepté”. Moi, j’ai de plus en plus envie de faire des trucs honnêtes, des trucs qui me plaisent. Même si parfois c’est un peu bizarre et qu’il y a des gens qui me disent “Ça va être trop chelou, personne ne va comprendre, c’est trop niche”. Pour le coup, les quelques personnes qui vont comprendre vont vraiment comprendre ce que j’avais envie de faire. C’est le plus important pour moi. 

© Florian Salabert

Sur Seule sous ma frange, tu chantes pour la première fois en français. Est-ce que cette decision renforce ton sentiment d’honnêteté ?

C’était une envie que j’avais depuis longtemps que de chanter en français, mais je ne savais vraiment pas comment écrire. Le français, ça fait un peu peur à tout le monde : la culture française c’est Jaques Brel, Barbara, etc. Moi, à part Philippe Katrine, il n’y avait personne qui m’inspirait vraiment. Alors bien sûr des mecs comme Flavien Berger qui étaient un peu plus abstraits, un peu plus second degré dans leurs paroles. À un moment, je me suis forcée à écrire un truc et je me suis dit “écris comme tu as envie de le faire, sans aucune règle, même si c’est un peu mal fait”. C’était la chanson “Bisou”. Une fois que la chanson a été validée par les gens, je me suis mise à pondre des chansons toutes les deux secondes (rires). Je me suis rendu compte que je pouvais noter des bouts de phrases sur des carnets et en faire des chansons plus tard. Parfois, je fais des chansons de 30 secondes et je les poste sur Instagram direct. Ce qui me brimait, c’était les règles et la pression des autres. Mais après j’ai trouve mon style. Quand les gens me disent “je ne sais pas écrire”, c’est comme quand ils me disent “je ne sais pas dessiner”. Tout le monde peut écrire ou dessiner, à la limite t’assembles 4 mots que t’aimes bien à la suite et ça te fait une chanson. Il faut arrêter de sacraliser les choses. Il y a tellement ce mythe du mec qui est là avec sa plume en train d’écrire à son bureau ses paroles avec son sang, il a un truc un peu “ne touchez pas à la langue française” alors qu’en fait on s’en fout. Il faut mettre un petit coup de pied dans la fourmilière et faire son propre truc. J’aime bien moi, faire ça (rires). 

Tu écris également en anglais. Comment est-ce que tu choisis la langue de tes morceaux ?

En vrai, je pense que ça vient plutôt naturellement. C’est surtout lié à la façon de chanter : souvent, quand tu chantes en français et que tu te mets à gueuler en français, c’est très vite gênant ou ringard (rires). En anglais, il y a des grandes divas et c’est super cool. Ce n’est pas la même prononciation, ce n’est pas la même vibe. Il y a autre chose : en France, il y a moins de gens qui comprennent l’anglais donc tu peux dire des choses plus intimes en anglais. Après, moi j’écoute beaucoup de musique en anglais et en français mais aussi plus récemment beaucoup de musique en italien et en espagnol, et en fait je me dis que sur le prochain album je vais carrément faire les quatre langues, selon les morceaux. Même juste mettre un mot en italien dans une chanson, je trouve ça trop beau. C’est comme si tu mélangeais de la peinture, du crayon, du stylo et de la bombe à graffiti. Ça donne un truc chouette à la fin ! 

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Est-ce que tu as été influencée par un ou une artiste en particulier lors de la composition de cet album ?

On a beaucoup écouté ABBA pendant qu’on faisait l’album, et pas mal de trucs de comédies musicales comme Starmania. Axel au début il détestait, et moi je lui disais “non s’il te plait écoute, c’est trop beau”. On a pas mal de références assez Gainsbouriennes, même si ces dernières années le personnage me sort un peu par les yeux, mais bon, j’ai quand même grandi avec ses albums. À 16 ans, j’étais vraiment fan de lui et Axel aussi. Donc il y a pas mal de references musicales aux albums de Gainsbourg. On va un peu piocher de tous les côtés : Axel il a 20 ans de plus que moi du coup on n’a pas du tout les mêmes références, on s’apprend des trucs. 

Tu mentionnes ta collaboration avec Axel Concato, ton producteur. Quelle est la dynamique entre vous ?

Avec Axel, ça fait 7 ans qu’on se connait maintenant. On est vraiment hyper potes, on passe notre temps à se marrer tous les deux. On travaille bien ensemble, et on se complète assez bien : lui il est mega perfectionniste et très lent, et moi je suis très rapide et un peu flemmarde. On adore travailler chez lui à la campagne dans sa maison en Normandie, on adore tous les deux profiter de la vie, manger au restaurant pendant 4h30, discuter de tout jusqu’à 4h du matin. On s’est bien trouvés, on a le même humour aussi. Dans le travail, on forme vraiment une bonne équipe. Sur scène, tout le monde nous dit qu’on a une super connivence mais on ne le joue pas. On est tellement amis dans la vraie vie que c’est une carte facile. J’ai de la chance parce qu’à chaque fois qu’on part soi-disant “travailler”, c’est toujours très agréable. 

© Florian Salabert

Dans quelles conditions l’album a-t-il été créé ?

Ça a commencé en 2019. Au début, on a fait plein de morceaux assez rapidement puis on s’est vite retrouvés isolés chacun de notre côté. On était un peu dégoutés puis au final, moi comme j’étais confinée chez ma mère dans le sud je me suis retrouvée seule face à mes instruments et je me suis dit “là t’as deux mois pour faire que de la musique”. J’ai fait plein de maquettes, et à la sortie du confinement il y avait des chansons comme “J’ai oublié” ou “Les questions” qui sont sorties de la période covid. On les a enregistrées avec Axel. C’est pour ça que j’ai l’impression qu’il y a eu deux albums en un et qu’il y a plein d’ambiances différentes : tout n’a pas été fait au même moment. 

En plus d’être musicienne et chanteuse, tu travailles en tant qu’illustratrice. Quel est ton rapport à la créativité ? Comment est-ce que tu allies ces différentes pratiques ? 

Le dessin, c’est vraiment ce que j’aime faire de base. Depuis que j’ai trois ans, je ne fais que ça, tous les jours. Tout le monde pressentait que j’allais faire ça : j’étais assez timide et réservée quand j’étais petite du coup le dessin pour moi c’était parfait, j’allais m’amuser dans mon coin et personne ne venait me saouler (rires). J’ai grandit et je ne me suis jamais dit que j’allais faire autre chose. Finalement, la musique est venue se greffer là-dessus, mais à aucun moment ça a pris la place du dessin. Ce qui est cool, c’est qu’en musique on a très souvent besoin de visuels donc moi je peux dessiner là-dessus, je peux faire des clips, de l’animation, etc. Pour faire une chanson il te faut minimum une heure, alors qu’avec le dessin en une heure t’as le temps d’en faire dix. Dès que j’ai une idée, je fais un dessin, que ce soit ma position sur scène ou les vêtements que je porte dans mon clip. Le dessin, c’est vraiment mon moyen d’expression premier et la musique se greffe par dessus. Ce qui est super, c’est que ça va très bien ensemble. Plus je fais de la musique et du dessin et plus j’ai envie de faire de la vidéo et plus j’ai envie de jouer d’un instrument, etc. Je me rends compte que je peux faire plein de choses artistiquement parlant. Chaque chose nourrit une autre et il y a plein de trucs à apprendre. 

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Tu as évoqué le syndrome d’imposture. Est-ce que tu dirais que tu as davantage confiance en toi à force de te débrouiller et de faire les choses seule ?

Quand j’ai quitté l’école, j’avais 20 ans. Mes potes ont continué à aller à l’école, ils ont commencé à faire des stages, à entrer dans des entreprises, etc. Moi, je me sentais vraiment à côté de la plaque. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus à ma place, j’ai l’impression que les gens ont reconnu mon travail. Même financièrement, le fait d’être indépendante en faisant de l’art, c’est fou. C’est un rêve pour plein de gens et moi je suis trop contente, à chaque fois que je suis payée je me dis “waw, c’est fou, je suis payée alors que je ne fais que m’amuser”. Après, je travaille énormément, mais j’aime ce que je fais. Je suis très souvent épuisée mais je suis très heureuse de faire tout ça. Mais oui, j’ai beaucoup plus confiance en moi aujourd’hui. Quand on me demande de faire un travail je ne me dis plus “est-ce que je vais réussir à le faire ?”, je me dis plutôt “combien je vais faire payer cette personne?” (rires). Même ça tu vois, il y a deux ou trois ans c’était hyper dur pour moi de faire payer les gens pour des dessins par exemple, et aujourd’hui je me dis qu’évidemment, je ne peux pas les faire gratuitement. Ça fait un peu de confiance supplémentaire. 

L’émancipation féminine semble très ancrée au sein de ton projet et de ta personnalité. Qu’en penses-tu ?

C’est vrai. Après, j’ai l’impression qu’il y a pas mal de femmes – que ce soit dans ma famille ou dans mes amies – qui en ont un peu ras le bol de tout ce qu’on nous a imposé pendant des années. Du coup, il y a un peu un sentiment de “j’en ai plus rien à foutre. Je fais ce que je veux, je dis ce que je veux, si j’ai envie d’avoir du pouvoir je le prends, si j’ai envie de ne pas avoir de pouvoir je ne le prends pas, mais je fais ce dont j’ai envie”. Certaines personnes perçoivent ça comme de la provocation ou de l’insolence – je parle surtout des mecs. Moi, je suis quasiment tout le temps avec des garçons, et du coup ça fait quelques années que j’ai pris une position style “je suis sympa mais faut pas m’embêter sinon je te mords”. Je me dis, aujourd’hui, il ne faut plus avoir de syndrome de l’imposteur, il ne faut plus avoir peur de déranger. Il faut arriver, faire ton truc, toujours être polie et respectueuse, mais par contre c’est hors de question qu’un mec vienne te dire quoi dire, quoi faire, quoi porter. Ce n’est plus possible. Pour moi, c’est hyper important d’être un femme un peu sauvage et de prendre ma place, parce que je sais qu’on ne va pas forcement me la donner. Quand je suis autour d’une table, il n’y a que des mecs qui parlent, et moi je vole la parole et j’essaye de dire des trucs un peu choquants pour qu’ils m’écoutent. Ça me fait beaucoup rire ! Ils ne sont pas habitués à ce qu’une fille soit à l’aise dans le périmètre (rires). 

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Quel est ton morceau favori sur ce disque ?

Je pense que c’est “Conquête”. L’autre fois, je l’ai chanté en concert et l’un de mes amis proches était là. Il m’a dit qu’il avait été très touché, alors que le reste du public ne l’a sans doute pas trouvé particulièrement touchant. C’est un morceau qui parle que quelqu’un qui est en dépression et qui lutte pour vivre. J’ai écrit ça avec des métaphores de jeux vidéo : j’ai imaginé une héroïne qui se balade dans un monde avec son épée et qui se bat contre des monstres. Les paroles c’est genre “je ne peux pas m’échapper au niveau suivant, ils essayent de m’attraper. Je n’abandonnerai pas”. C’est pour moi une chanson hyper importante parce qu’il y a une espèce de cri d’espoir : “même si t’es au fond du trou, essaye de te battre et de te faire aidée”. Même si elle contient des métaphores de jeux vidéo, j’ai rarement écrit une chanson aussi premier degré. La musique est belle, c’est une très vieille maquette qu’Axel a ressortie. À la base c’est une chanson très lente, mais on l’a accélérée et on a mis de l’autotune. On l’a retournée dans tous les sens. Après je dis ça, mais je sais que chaque semaine j’ai une chanson préférée différente ! 

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