Santé & Bien-être

Plus de 2600 lits fermés dans les hôpitaux cette semaine : "On a l’impression de crier dans le vide"

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Ce lundi 2 janvier, 2632 lits étaient fermés dans les hôpitaux belges. Cela vous parait beaucoup, peu ? Cela représente tout de même 5% de l’ensemble des 51.444 places disponibles dans les établissements du pays, selon les chiffres du SPF santé.

En soins intensifs, la proportion est encore plus importante : huit lits sur 100 n’étaient tout simplement pas utilisables. Un phénomène lié aux vacances scolaires ? Pas uniquement. Les données de ce lundi, issues du SPF Santé, reflètent la dure réalité vécue ces derniers mois au sein des hôpitaux.

Les professionnels interrogés l’affirment, ces lits fermés illustrent une nouvelle fois la pénurie criante de personnel médical. Faute d’infirmiers et infirmières pour soigner les malades, les hôpitaux n’ont d’autre choix que de fermer des lits. Parfois, ce sont même des unités entières qui sont mises sur pause.

Les trois régions touchées

"Quand je discute avec des collègues d’autres hôpitaux, c’est la même chose. De nombreux hôpitaux doivent fermer des lits par manque de personnel." Cet hiver, Leïla Belkhir, infectiologue aux cliniques universitaires Saint-Luc, le constate autour d’elle à Bruxelles, les hôpitaux ferment de nombreux lits.

Du côté des directions d’hôpitaux, on confirme cette impression. "On peut considérer que dans chaque hôpital, il y a au moins une unité de soin fermée", explique Yves Smeets, directeur général de Santhea, une fédération patronale d’institutions de soins en Wallonie et à Bruxelles. "Ils sont fermés par manque de personnel, c’est la seule raison. Les lits sont fermés parce que les hôpitaux ne savent pas accueillir les patients."

Le problème vaut pour toute la Belgique. Dans les trois régions, on ferme des lits. Près de la moitié se trouvent d’ailleurs en Flandre. Pas très étonnant cependant car un hôpital belge sur deux est situé au Nord du pays.

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Près d'un lit sur trois est fermé en province du Luxembourg

Si on y regarde de plus près, en s’intéressant à la proportion de lits fermés par province, certains hôpitaux sont tout de même plus touchés que d’autres. Ce lundi par exemple, près d’un lit d’hôpital sur trois était fermé dans la province du Luxembourg. "On remarque parfois de plus grandes difficultés dans les zones frontalières avec le Luxembourg ou la France, où les conditions de travail ne sont pas toujours les mêmes", observe Yves Smeets.

Les soins intensifs n’y échappent pas. Toujours ce lundi, 16% des places en soins intensifs étaient fermées à Bruxelles, contre 3% en Flandre Orientale et Occidentale.

A noter que les chiffres du Brabant-Wallon et de Bruxelles ne sont pas précis car le SPF Santé considère un des hôpitaux du Brabant Wallon comme un hôpital bruxellois.

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Les hôpitaux doivent fermer des lits toute l'année

Ces chiffres observés pourraient être une exception, un lundi difficile parmi d’autres à cause des vacances... "En ce moment, 24 lits sont fermés en gériatrie dans mon hôpital", témoigne Françoise Happart, directrice du département infirmier et paramédical du CHU Tivoli de la Louvière. "C’est la première fois qu’on est confronté à des fermetures temporaires de lits dans cette unité. Pendant les vacances, en raison de la pénurie de personnel infirmier et médical, on adapte les capacités de lits. On doit regrouper certaines unités".

Ces réorganisations n’ont pas seulement lieu pendant les vacances. Le phénomène est souvent accentué quand le personnel prend congé, mais les fermetures de lits ont lieu toute l’année, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

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Les chiffres communiqués par le SPF Santé s’arrêtent en août 2022. Lors des quatre derniers mois, il y a eu en permanence entre 4% et 6% de lits d’hôpitaux fermés, avec un record de 3230 lits fermés enregistré le 16 août. A l’inverse, le 16 novembre, il n’y en avait "que" 2192. Du côté des soins intensifs, la proportion de lits fermés a oscillé entre 6% et 11%.

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Des chiffres sous-estimés ?

Avec ses 15 ans de carrière comme infirmier dans les hôpitaux bruxellois et sa thèse en santé publique à l’ULB, Dan Lecocq est un observateur extérieur qui a aussi bien connu la réalité du métier.  Aujourd’hui président de la Fédération Nationale des Infirmières de Belgique (FNIB), il prévient, selon lui, ces chiffres sont très probablement sous-estimés.

"J’ai des échos du terrain et dans certains grands hôpitaux qui laissent penser que c’est bien plus que 5%", dit-il. "C’est une chose d’avoir des lits, mais ils ne servent à rien si on n’a pas le personnel pour les faire fonctionner." Difficile par contre d’avoir accès à d’autres chiffres que ceux du SPF Santé. Certaines bases de données sont confidentielles.

Le Covid comme catalysateur

Le problème de la pénurie de personnel, en particulier des infirmières, est loin d’être nouveau. "Depuis les années 80, les hôpitaux sont entrés dans une logique productiviste. Les séjours à l’hôpital sont plus courts et plus intenses. Par conséquent, la charge de travail pour les soignants est concentrée", analyse Dan Lecocq.

Le principal enjeu d’après lui est de garder les infirmiers et infirmières dans les hôpitaux. "Quand on regarde le nombre d’infirmiers en Belgique, il y en a en théorie assez. Le problème est qu’ils ne veulent plus travailler dans les hôpitaux et changent de carrière."

La pénurie de personnel infirmier existait déjà avant 2020, mais d’après le secteur, la crise du Covid a agi comme "un catalyseur". "Avant le Covid, on arrivait à s’en sortir. Depuis, pas mal de personnel a quitté les soins aigus. Une partie est aussi en arrêt maladie", observe Yves Smeets de Santhea.

Pour de nombreux soignants, la question de la perte de sens survient. "Lors de la crise du Covid, le personnel s’est rendu compte que dans certaines circonstances, on peut mettre les moyens. On peut favoriser la solidarité, l’esprit d’équipe. Et c’est d’ailleurs ça qui a permis de traverser la crise. Et puis, le personnel a craint un retour à la normale. A présent, il y a une perte de sens globale", détaille Dan Lecocq.

La qualité des soins en danger ?

"On ferme des lits pour continuer à assurer un encadrement complet du patient", tempère Yves Steems. "Le seul danger est l’allongement des listes d’attente, notamment pour des interventions programmées."

Pour le moment, le personnel serre les dents. "La charge de travail est plus lourde. Mais les infirmières, avec leur grande conscience professionnelle, prennent énormément sur elles", remarque Françoise Happart du CHU Tivoli.

Mais la pénurie risque de s’intensifier, avertit Dan Lecocq : "En Belgique, on n’est pas encore au stade de la France et du Royaume-Uni. Mais on risque d’y arriver car ce sont les mêmes politiques. L’avenir est sombre". Le chercheur de l'ULB a "l’impression de crier dans le vide". "Et la réforme de l’art infirmier, qui définit les titres et fonctions ne va pas tout résoudre. Il faut de l’argent pour engager du personnel", alerte-t-il.

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