Podcast- Accueil des réfugiés sous Merkel : le pari du repeuplement des petites villes a-t-il été gagnant ?

Par Wahoub Fayoumi

60 millions d’Allemands devront choisir ce dimanche leurs représentants au Bundestag, le parlement fédéral, et par la même occasion tourner la page de l'"ère Merkel".

La chancelière va en effet céder sa place, lorsque les négociations entre les partis pourront se résoudre par la nomination d’un nouveau chancelier.

Reste que l’héritage symbolique de celle que l’on appelle "Mutti" en Allemagne est conséquent. En Allemagne, son discours du 31 août 2015 sur l’accueil des réfugiés est dans toutes les mémoires : "Wir schaffen das", a-t-elle déclaré, "Nous y arriverons", après avoir plaidé pour l’accueil des réfugiés syriens.

Cette déclaration a provoqué la peur dans une partie de la population, et elle avait poussé l’extrême droite au-devant de la scène politique allemande, surtout dans l’est du pays.


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Et pourtant, cette décision de la chancelière en 2015, n’était pas pour déplaire aux dirigeants de plusieurs petites villes en Allemagne : ces derniers misaient sur l’arrivée de cette nouvelle population pour redynamiser des régions vieillissantes, et pour pallier l’exode des jeunes générations vers des villes plus grandes.

C’est le cas de la majorité communale d’Aschersleben, en Saxe-Anhalt, ex-RDA ; une petite ville de 27.000 habitants.

Petites places paisibles, bâtiments d’époques parfaitement restaurés, Aschersleben offre au visiteur les témoignages d’un passé glorieux, datant du Moyen Âge et gravé dans les pierres de ses monuments. La ville a été le berceau d’une lignée de nobles, qui est à l’origine des Princes d’Anhalt.

Echoppes discrètes, terrasses au soleil où on sert des coupes de glaces à des vieilles dames en goguette, circulation quasi inexistante : Aschersleben semble comme endormie sous le soleil de septembre.

La moyenne d’âge dans la région dépasse les 45 ans. D''ici 15 ans, 16% des habitants pourrait même disparaître, comme dans toute la Saxe-Anhalt.

Ce vieillissement programmé avait déjà alerté les autorités communales en 2013, nous explique Steffi Becker. Ici, elle est la personne centrale pour l’accueil des réfugiés dans la ville. "Depuis pas mal de temps, l’administration municipale et les élus de la ville, surtout le bourgmestre Andreas Michelmann, souhaitaient que davantage de personnes s’installent ici à Aschersleben, nous explique-t-elle.

Rajeunir la ville

Cette année-là, son poste va être créé au sein même de l’imposant bâtiment communal où elle nous reçoit. "Alors quand les réfugiés sont arrivés, notre plus grand espoir était que ces personnes puissent s’intégrer, rester ici, et que cela rajeunisse la ville.

Steffi Becker, responsable de l’accueil des réfugiés à Aschersleben
Steffi Becker, responsable de l’accueil des réfugiés à Aschersleben © RTBF

Le travail de Steffi Becker est d’orienter les nouveaux arrivants, et de faciliter leurs démarches dans la jungle des attestations et des demandes de documents. Une initiative jugée positive par la responsable, mais aujourd’hui, avoue-t-elle, le bilan est mitigé.

"Environ 600 ou 700 réfugiés vivent ici en ce moment, mais si je compte bien, c’étaient 3000 ou même plus qui sont arrivés à Aschersleben depuis 2015. Mais la majorité d’entre eux est partie vers les grandes villes, ou vers les régions industrielles d’Allemagne de l’Ouest, dans lesquelles il y a plus d’offres d’emploi, ou alors là où ils ont déjà de la famille… "

Steffi Becker est convaincue qu’il faut continuer les efforts, d’autant plus que beaucoup de choses sont à perfectionner pour améliorer l’intégration des nouveaux arrivants : "La langue est un véritable problème, estime-t-elle, il y a des gens qui apprennent la langue très vite et ils trouvent du travail rapidement, ils trouvent des amis allemands rapidement, et ils s’intègrent plus vite. On peut espérer que les jeunes générations s’intégreront différemment… Parce qu’elles seront déjà allées à l’école ici et qu’elles parlent bien l’allemand".

Ce sont des cours intensifs

Les autorités politiques n’ont cependant pas baissé les bras face aux difficultés. Comme ailleurs en Allemagne, des cours intensifs pour primo-arrivants sont organisés par toute une série de structures. A Aschersleben, ces cours se donnant dans l’école de promotion sociale de l’arrondissement, la Kreisvolkshogschule.

"La Kreisvolkshochschule existe depuis 102 ans, en 2019 on a donc fêté les 100 ans de la création de notre école", nous explique fièrement le directeur, Alexander Hartkopp. L’école se situe derrière la place communale, à quelque 5 minutes à pied. "Nous proposons des cours d’intégration, des cours de langues pour les personnes migrantes, ou alors des cours d’anglais, ce qui est important pour le travail."

Une véritable institution dans la région, l’école a accueilli 100.000 élèves de tout le district au sein de ces cours d’intégration. "Ce sont des cours intensifs qui peuvent durer jusqu’à 9 ou 10 mois. On a 9 modules."

Apprendre de la langue pour s’intégrer

L’école a bien sûr été très sollicitée en 2015 et les années qui ont suivi, et les nouveaux arrivants syriens, comme Mohamed, Rifaat et Yasser ont retrouvé leur classe ce jour-là pour nous raconter leur expérience.

"Je suis arrivé en Allemagne en septembre 2015, et j’habite à Aschersleben avec ma famille, donc avec mon épouse depuis novembre 2015. On a une petite fille et une deuxième petite fille est née ici, à Aschersleben".

Mohammed au volant de son engin agricole
Mohammed au volant de son engin agricole © @Mohammed pour la RTBF

Mohammed est un homme vigoureux, aux cheveux châtains, et à la parole facile. Il a 36 ans, et il a fui sa région natale de la Ghouta orientale pendant la guerre en Syrie.

La classe de la Kreisvolkshochschule a été l’un des premiers endroits qu’il a assidûment fréquentés à son arrivée à Aschersleben. "Au début l’un de nos plus grands obstacles, c’était la langue. J’ai donc suivi des cours pendant 7 mois ici dans cette école mais c’était intensif… C’était vraiment très dur… " se souvient-il. "Directement après, j’ai commencé à chercher du travail. Alors, en Syrie, ce que ma famille faisait c’était de l’agriculture. Et la Saxe Anhalt est un endroit très agricole". Une chance, pour Mohammed : son assistante sociale lui décroche une période d’essai chez un exploitant agricole : "Le patron m’a vraiment apprécié, il a vu que j’étais sérieux et que je correspondais au travail. Il a d’ailleurs beaucoup aimé que nous, les Syriens, nous arrivions au travail avant même les Allemands le matin, sourit-il il malicieusement. Et donc heureusement, j’ai eu directement le poste de responsable."

L’émotion submerge rapidement ses paroles. "Alors… Vraiment nous souhaitons tout le meilleur pour ce pays… Parce qu’ils nous ont aidés à un moment où nous en avions énormément besoin", dit-il avec la voix qui se casse.

Rifaat, lui, n’est à Aschersleben que pendant le week-end. A 22 ans, il suit des cours pendant la semaine en 3e année d’ingénierie mécanique à l’université Magdebourg, la capitale de la Saxe-Anhalt. "En allemand", précise-t-il. "Au début, c’était très difficile, la plupart du temps je restais à la maison parce qu’on n’avait pas nos papiers… Je suis resté 5 à 6 mois à la maison et j’ai appris un peu d’allemand sur internet, par moi même. Puis j’ai été dans une classe pour étrangers où je me suis amélioré. J’ai pu ensuite terminer mon baccalauréat ici en Allemagne".

Rifaat, 22 ans, étudiant
Rifaat, 22 ans, étudiant © Rifaat Pour RTBF

Une expérience positive, estime Rifaat. Le jeune homme, arrivé de la région de Deraa en 2016, est satisfait de ses études. Ses deux jeunes sœurs et son frère aîné étudient eux aussi.

Yasser, lui, est aujourd’hui restaurateur. Les cours d’allemand lui ont permis de communiquer, de s’insérer dans la vie publique explique-t-il.

Caroline Vongries a été la professeure de Mohammed, de Yasser et des parents de Rifaat à la Kreisvolkshochschule. "Je suis professeure d’allemand depuis 2015", explique-t-elle. Journaliste, auteure et chercheuse, Caroline a vu sa vie basculer à cette date. Car elle a fait un choix déterminant. Sensibilisée à la détresse des réfugiés, elle a tout quitté pour venir donner le cours d’allemand ici.

Yasser, restaurateur à Aschersleben
Yasser, restaurateur à Aschersleben © Yasser pour RTBF

"J’avais le sentiment que, en 2015, il s’est passé quelque chose de très important en Allemagne, dit-elle. Lorsque Angela Merkel a décidé que les réfugiés pouvaient venir, je me suis dit que je regarderais cela de plus près ! Je voulais plus en apprendre, mais pas forcément en tant que journaliste. Je me suis demandé ce je peux faire pour être utile, et ce que je peux faire c’est parler. Les langues constituent pour moi l’une des choses les plus importantes".

Caroline Vongries, professeure d’allemand
Caroline Vongries, professeure d’allemand © RTBF

Caroline va tout quitter, en ce compris sa ville de l’ex-Allemagne de l’Ouest, pour s’installer ici, en Saxe-Anhalt. "Et donc il y a eu beaucoup de choses qui m’ont rendue très heureuse dans ce choix, qui m’ont surprise même  si parfois cela a été difficile".


►►► Ecoutez aussi sur Auvio : Le podcast en 4 épisodes "Quelle Allemagne après Merkel"

Quel héritage a laissé Angela Merkel pour les années à venir en Allemagne ? Dans cette série de podcast, nous parlerons de son fameux "Wir schafen Das", "Nous y arriverons… L’appel à accueillir les réfugiés syriens en pleine guerre dans leur pays… Nous nous demanderons si les lois vertes, votées pendant le mandat d’Angela Merkel, sont suffisantes pour l’opinion publique et pour les militants environnementaux… Nous irons voir les oubliés de la crise sanitaire, ceux pour qui les aides économiques n’ont pas été suffisantes. Nous discuterons aussi avec les jeunes, ceux qui n’ont jamais connu qu’Angela Merkel au pouvoir : qu’espère la génération Merkel pour le futur ?"


 

Du travail pour les réfugiés à Aschersleben ?

Caroline est une professeure fière de ses élèves. Certains ont réussi les cours haut la main, comme Sitaf. Cette jeune fille de 19 ans est arrivée d’Irak avec ses parents en 2014.

A l’école secondaire, Sitaf a suivi des cours d’alphabétisation en allemand, et quand elle a eu 18 ans, elle a estimé qu’il fallait qu’elle s’améliore encore : "Pour moi c’était très important, j’avais besoin de ça pour mon avenir, car je dois aller travailler, je dois vivre ici en Allemagne".

La jeune fille en est bien consciente : les préjugés vis-à-vis des étrangers ont la vie dure, dans une région où près d’un cinquième des électeurs est encore aujourd’hui attiré par les sirènes de l’extrême droite. "J’ai été victime d’intimidation à l’école secondaire, parfois à cause de ma peau foncée, je ne suis pas blonde évidemment ! Ou alors à cause de la langue, car je fais parfois des erreurs… "

"Ça, c’est également un très important obstacle pour apprendre l’allemand, réagit Caroline, lorsque l’on vit avec de tels ressentiments, avec une telle discrimination, ça me met vraiment en colère…"

Et Caroline d’ajouter : il faudrait faire plus encore pour accompagner ces nouveaux habitants. Sitaf elle cherche désormais du travail. Mais est-ce si facile pour les réfugiés de trouver un emploi à Aschersleben ?

Le Jobcenter de l’arrondissement se trouve en bordure d’un parking arboré. C’est ici que les demandeurs d’emploi viennent mettre en ordre leurs dossiers, et consulter les offres. Les bureaux sont vides, crise sanitaire oblige. Mais Madame Eff et HerrJohne, les responsables d’orientation sont bien là pour répondre à distance aux demandes.

Frau Eff et Herr Johne
Frau Eff et Herr Johne © RTBF

"Nous avons des personnes de tous les âges, et de tous les profils professionnels qui se présentent ici", explique Frau Eff.

Mais est-ce si facile pour les réfugiés de trouver un emploi à Aschersleben ? "Aschersleben est une très petite ville en Saxe Anhalt, réponde Herr Johne, Nous n’avons pas beaucoup de travail si on compare à Berlin Munich ou Francfort… Alors, on a pu aider un ophtalmologue ou un orthopédiste par exemple… Nous clarifions en quelque sorte les qualifications professionnelles acquises par des migrants dans leur pays d’origine. Mais il y a des personnes qui n’ont pas de diplôme, en tout cas pas de diplôme reconnu. A ce moment-là, vous pouvez peut-être travailler comme chauffeur, ou alors dans un entrepôt comme celui d’Amazon ou quelque chose comme ça."

"C’est exact, c’est difficile, renchérit Frau Eff. Et le problème principal c’est la langue… "

Ces observateurs de première ligne regrettent-ils le geste d’accueil d’Angela Merkel envers les réfugiés en 2015 ? "En fait, Madame Merkel a réagi vraiment humainement, nous répond Frau Eff. "Ma collègue a très bien résumé, ajoute Herr Johne, on est sur le bon chemin, on a déjà réalisé beaucoup de choses. Et il y a encore d’importants défis pour les années à venir : la crise du climat, la situation en Afghanistan… Il y a beaucoup de choses qui peuvent se passer, et les gens ont besoin de notre soutien".

Ce soutien, beaucoup aimeraient le poursuivre, dans une Allemagne qui semble un peu plus apaisée aujourd’hui, face à la question des réfugiés. Reste que le pari de repeuplement des petites villes n’est pas encore gagné.

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