La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a épinglé mardi le Portugal après la condamnation "disproportionnée" d’un célèbre journaliste qui avait reproché aux juges de s’immiscer "dans la sphère politique" et de violer "régulièrement le secret judiciaire".
Les 56.000 euros d’amende et de dommages et intérêts infligés à Emidio Arnaldo Freitas Rangel, décédé en 2014 à 66 ans et très connu dans son pays, "étaient totalement disproportionnés" et ont eu "un effet dissuasif sur le débat politique", tance la Cour dans un communiqué.
En outre, les tribunaux portugais "n’ont pas fourni de motivation suffisante à cette ingérence dans la liberté d’expression du requérant", poursuit la juridiction paneuropéenne.
Auditionné en 2010 par une commission parlementaire au sujet de la liberté d’expression et des médias dans son pays, Emidio Rangel avait notamment déclaré : "le milieu journalistique est depuis peu investi par les organismes professionnels de juges et de procureurs".
"Ceux-ci constituent les deux centres de diffusion des informations judiciaires, grâce à leurs liens étroits avec des journalistes", avait-il ajouté, affirmant que les magistrats "se procurent des documents relatifs à des affaires judiciaires en vue de leur publication par des journalistes", "au mépris du secret judiciaire".
Il avait par la suite tenu des propos similaires, notamment devant la presse.
Deux organisations portugaises de magistrats, l’Association professionnelle des magistrats et l’Association professionnelle des procureurs, déposèrent séparément plainte contre Emidio Rangel pour offense à personne morale et obtinrent gain de cause devant les tribunaux.
"Si (Emidio Rangel) a pu tenir des propos maladroits, ses déclarations peuvent s’interpréter comme illustrant un débat de société plus large sur l’immixtion de la justice – au sens large – dans la politique et les médias, un sujet d’intérêt public", estime la Cour européenne.
Celle-ci a conclu à la violation par le Portugal de l’article 10 (droit à la liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a alloué aux héritiers du requérant plus de 51.000 euros pour dommage matériel ainsi que pour les frais et dépens.