Belgique

Poudre blanche contre poudre aux yeux

Les coulisses du pouvoir

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Faut-il envoyer l’armée à Anvers ? La proposition émane de la N-VA et a été relayée par le MR au niveau du gouvernement fédéral. Comme après les attentats de Bruxelles, l’armée pourrait servir de paravent aux insuffisances de l’Etat.

Symbole

Envoyer l’armée à la place de la police, ça a deux conséquences sur le terrain. La première est symbolique ou psychologique. C’est une démonstration de force. Le citoyen voit du Kaki ce qui est supposé augmenter le sentiment de sécurité. La deuxième, très concrète, c’est qu'un militaire coûte moins cher qu’un policier. Affecté à des missions de patrouille, cela permet de soulager la tension dans les effectifs. Après les attentats de Bruxelles, les bourgmestres de différentes communes de la capitale l’avaient déjà souligné.

Mais l’envoi de l’armée est surtout un coup politique. L’armée est censée donner l’impression que le pouvoir est fort, qu’il n’est pas laxiste, qu’il veut de l’ordre. Après les attentats c’était déjà la N-VA qui, au sein du gouvernement Michel, avait réclamé et obtenu la présence de l’armée dans les rues. On retrouve assez logiquement aujourd’hui la N-VA et le MR défendre cette mesure.

50.000.000.000

Les patrouilles de l’armée peuvent-elles changer la donne à Anvers ? J’ai posé la question hier à plusieurs magistrats et autres policiers. Franchement personne n’y croit. D’abord l’armée viendrait avec quel mandat ? Fouiller les night shops ? Patrouiller devant les maisons des trafiquants ? Courser les dealers ?

Mais surtout, ce qui est revenu dans ces échanges c’est que la lutte contre la drogue à Anvers n’est pas une question de gros bras, de fusils d’assaut et de voitures renforcées. C’est d’abord un travail de fond aux multiples facettes : la prévention de la consommation, le contrôle des marchandises et puis surtout le nerf de la guerre, l’argent moteur d’une corruption et d’une criminalité financière qu’il faut impérativement traquer avec résolution.

Il faut rappeler les chiffres. L’année passée un record de 110 tonnes de cocaïne saisie. 50 euros le gramme. 5 milliards de valeur marchande. 5.000.000.000. Or à Anvers on estime que cela représente 10% de ce qui passe. Soit le chiffre astronomique de 50 milliards d’euros. L’impôt des personnes physiques en Belgique rapporte à peu près 50 milliards d’euros par an. Le budget de la justice c’est à peu près 2 milliards d’euros.

Poudre aux Yeux

Envoyer l’armée ne changera rien à ça. Rien du tout. C’est de la poudre aux yeux. La poudre aux yeux n’est pas la réponse à la poudre blanche. Il n’y a d’ailleurs pas de réponse miracle, il faut de l’organisation et des moyens. Des procureurs, des enquêteurs, des policiers, des douaniers et une lutte sans merci contre la corruption et la criminalité financière.

Le gouvernement a décidé dans son Stromplan il y a quelques mois, d’un réinvestissement. Mais c’est clair que ce ne sera pas suffisant, car nous avons du retard à rattraper.

Michel Claise, le juge derrière l’enquête de corruption au Parlement européen constate que la Belgique a reculé en matière de lutte contre la corruption et la criminalité financière ces dernières années. Et il n’est pas le seul. Même le président de la Cour de cassation disait il y a des années déjà que la Belgique devenait un Etat voyou. La formule était provocante, mais Jean de Codt était pourtant un magistrat intègre et modéré. Il fallait prendre la formule au pied de la lettre.

Qu’est qu’un Etat ? Le sociologue Max Weber en a donné cette définition célèbre : un Etat est une organisation qui a le monopole de la violence légitime. En clair seul l’Etat peut utiliser la contrainte pour faire régner l’ordre. Cette violence est légitime si elle est conforme à un cadre légal. Ce monopole est contesté aujourd’hui dans les rues d’Anvers ou certains pointent le risque d’un Narco Etat.

Envoyer l’armée, chargée de la défense du territoire est une réaction de panique à ce constat terrifiant. Envoyer l’armée pour faire régner l’ordre c’est ce que font souvent les Etats-voyous ou les narcos-Etats, ce n’est pas bon signe. Il est évident que ce n’est pas l’armée qui doit revenir dans les rues d’Anvers, c’est l’Etat, ce sont les magistrats, ce sont les fonctionnaires, ce sont les policiers, c’est le droit. Si on veut ne pas être un État de voyous il faut d’abord qu’on mette tout en œuvre pour ne pas être un État voyou.

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