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Pour éviter l’effondrement du monde, Antoine Buéno propose la croissance verte qui "nécessite une révolution"

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Par Nadine Wergifosse via

La catastrophe écologique est-elle inéluctable ? Allons-nous droit vers un effondrement de la civilisation ? De plus en plus de gens en sont convaincus, et c’est ce qu’affirment collapsologues et survivalistes. Sans tomber dans le catastrophisme ni le déni de principe, en les passant au crible de l’analyse prospective, Antoine Buéno livre une évaluation des dangers qui nous menacent et de ce que nous pouvons encore faire pour éviter le pire. Cet essayiste est aussi conseiller au Sénat où il suit les travaux de la commission du développement durable et de la délégation à la prospective.

Comment peut-on projeter des scénarios pour l’avenir de l’humanité ? L’omniprésence du récit de l’effondrement de notre civilisation apporte une vision sombre surtout répandue chez les jeunes. En Italie, l’idée de l’effondrement dans les années qui viennent est partagée par 72% de la population, en France par 65% et aux États-Unis par 52%. Des séries, des films, des BD nous présentent des scénarios d’effondrement de notre civilisation. L’idée "à la Mad Max" où chacun doit lutter pour sa survie est reprise par la majorité des survivalistes.

Antoine Buéno, spécialiste de la prospective et de l’utopie qu’il a enseignées à Science-Po, évoque un document pour lui des plus fondamentaux du 20e siècle qui a aussi pour nom "le rapport Meadows" ou "Halte à la croissance". Pour rappel, en 1972, un club d’industriels ont posé cette question aux jeunes chercheurs au MIT : "La croissance économique pourra-t-elle durer longtemps ?" Ces chercheurs créent un modèle informatique "word3" pour modéliser le devenir du monde. Les trois scénarios sont terrifiants. C’est l’idée que tout va s’effondrer en termes de biens et de services, de productions, d’énergie et de démographie. Le scénario de l’effondrement est-il possible ? Comment le pondérer et dans quelle proportion pourrait être évité ? C’est ce que questionne Antoine Buéno dans son livre L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu.

Trois scénarios envisagés : l’arrêt cardiaque, la panne sèche et la cocotte-minute

Le conseiller au Sénat sur la prospection et le développement durable Antoine Buéno développe ces trois scénarios :

  • L’arrêt cardiaque : la machine mondiale se grippe, il manque un élément, un petit rouage et tout s’effondre soudainement. Or, pour lui, le système économique est actuellement plus résilient qu’en réelle phase d’effondrement comme lors du krach boursier de 2008 qui n’a pas empêché "la machine de reprendre" ou encore lors de la crise covid où l’économie mondiale après un arrêt en tout ou partie a redémarré avec un rebond.
  • La panne sèche : en raison des ressources terrestres limitées, "la machine économique s’effondre peu à peu".
  • La cocotte-minute avec notre planète en surchauffe due au réchauffement climatique.

"J’ai essayé de reprendre les éléments présents dans ce manuel et l’ai passé au crible d’une analyse prospective, c’est-à-dire en développant plusieurs scénarios et en ouvrant le champ des possibles. Pour moi, les questions telles que 'comment cela va s’effondrer ? Par quel mécanisme ?' sont absentes dans la collapsologie. J’ai donc repris ces données très précises pour donner des pistes de comment nous pouvons tous agir. Trois scénarios qui sont des grandes lignes, qui peuvent se mélanger et donner des milliers de scénarios possibles tant est grande la complexité du monde actuel" explique Antoine Buéno. Selon lui, les collapsologues donnent plusieurs explications aux causes d’un effondrement inéluctable mais ne proposent qu’un seul scénario, l’effondrement, en précisant que nous y sommes déjà.

© Getty Images

Tout le monde est d’accord pour dire que les prochaines décennies vont être difficiles

"Quand les gens voient le titre de mon livre, ils poussent un soupir de soulagement : 'Ouf on est sauvés !' mais mon livre ne se veut pas du tout rassurant" s’insurge Antoine Buéno qui poursuit : "Il l’est dans une certaine mesure, mais sans exclure les solutions. Le techno-solutionnisme ne suffira pas, mais il a son rôle à jouer. Pour l’agriculture, la solution est de passer à l’agroécologie, beaucoup moins intensive en eau et en intrants chimiques. Deux problèmes apparaissent : le rendement et le coût salarial qui peuvent être solutionnés par un accompagnement technologique : robots, IA, OGMs".

Selon Antoine Buéno, diplômé de l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), de l’Institut d’études politiques de Paris, il n’est pas question de croissance ni de décroissance mais de croissance durable. "Les collapsologues disent que l’effondrement est inéluctable tandis que les transhumanistes disent le contraire avec un discours tel que le marché et la technologie vont nous sortir de toutes impasses. Moi, comme d’autres, je suis au milieu du gué avec 'l’effondrement est possible, pas inéluctable' et cette catégorie se divise en deux groupes : les décroissants et ceux qui sont favorables à la croissance durable dont je fais partie".

Selon l’auteur, la décroissance, c’est-à-dire produire moins de biens et de service chaque année, est une arnaque : personne n’en veut, aucun pays ne le souhaite et si un mouvement de décroissance devait avoir lieu, il doit se faire à l’échelle mondiale. Il faudrait alors mettre en place une dictature qui irait vers une paupérisation généralisée. On est dans un scénario révolutionnaire type Union soviétique, sans la croissance productiviste.

Pas de transition sans la sobriété

"Derrière ces mots de croissance durable se cachent des visions peu claires et souvent magiques, que ce soit au niveau individuel ou même au sein des gouvernements. En ne voulant pas abandonner le système actuel et en s’y accrochant, cette croissance durable est du grand n’importe quoi comme le dit Jean-Marc Jancovici" souligne Antoine Bréau qui évoque ici la vision centrale de ses travaux : "Les conclusions auxquelles j’aboutis aujourd’hui, c’est que la croissance verte, à savoir une croissance moins intensive, nécessite une révolution. Dans les décennies qui viennent, on entrera dans un monde différent. Je propose trois silos et trois actions transverses : faire autant avec moins, la sobriété car aucun plan sérieux de transition ne peut l’évincer, et l’adaptation:

  1. Transition énergétique
  2. Transition agricole
  3. Transition industrielle en misant sur la circularité des biens
© iStock / Getty Images Plus

Se préparer à un monde où on a moins d’énergie

Comment faire pour que le monde aboutisse à une exploitation énergétique plus faible ?

"Des mesures économiques sont nécessaires : créer un compte carbone individuel jusqu’à atteindre collectivement la neutralité carbone" propose l’essayiste. "La question étant comment dans nos démocraties mettre en place de telles solutions sachant que le compte carbone n’emporte pas pour le moment de consensus. Et en second, en créant une taxe carbone progressive en pilotant son évolution à la hausse jusqu’à la neutralité carbone". Pour Antoine Bréau, l’effondrement de la biodiversité est une catastrophe cosmique et c’est de notre responsabilité de préserver la planète. Selon lui, la crise environnementale et la transition vont avoir un impact majeur sur la misère, la pauvreté et les inégalités : "Les solutions que je propose ne peuvent se faire que s’il y a une redistribution des richesses massives entre les pays du Nord au Sud, et entre les plus riches et les moins riches. La transition doit être sociale-démocrate, c’est-à-dire en encadrant le capitalisme et le réformer pour se servir de la puissance des mécanismes de marché et en même temps, faire du social à plein tube sinon ce sera l’implosion sociale".

► Découvrez l’entièreté de cet entretien dans le podcast de Tendances Première ci-dessus.

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