Justice

Pour Françoise Tulkens, "l’action d’un Etat de droit est limitée par le droit. Abandonner cela, c’est le retour de la violence"

L'invitée: la magistrate Françoise TULKENS

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Par Sandro Faes Parisi sur base de l'invité de Thomas Gadisseux

Ce mardi, au micro de Thomas Gadisseux sur le Première, la magistrate Françoise Tulkens. Co-signataire d’une lettre ouverte aux autorités belges pour exiger la libération d’Olivier Vandecasteele, ce Belge détenu en Iran. L’occasion également d’évoquer l’enquête Noir Jaune Blues, réalisée avec nos confrères du journal Le Soir, et qui souligne le désir de certains citoyens belges de remettre en cause l’état de droit.

Sur cette nouvelle mobilisation d’intellectuels belges, Françoise Tulkens est claire :" Nous avons devant nous, au moment où je vous parle, un citoyen belge, qui se trouve de manière arbitraire en prison en Iran dans des conditions de détention qui sont impossibles à décrire. Nous sommes face à une injustice telle qu’il faut réagir. On doit être là, on doit être présents, on doit le dire, le dire, le dire. Et on doit expliquer pourquoi et on le fait dans la lettre. Il est là poings et pieds liés, au sens strict du mot, par rapport à un pouvoir qui ne respecte aucune norme, aucun droit quel qu’il soit. Or l’Iran, comme la Belgique, a signé le pacte international sur les droits civils et politiques qui interdit l’arbitraire, la détention arbitraire, qui demande des procès équitables. Nous sommes face à une chose qui est en train de terminer la vie d’Olivier Vandecasteele, parce qu’il ne va pas résister longtemps à cela. Et donc je trouve que c’est très très bien que 60 personnes en prennent conscience et le disent. Le disent haut et fort. Une lettre ouverte, cela sert à ça."

Echanger Olivier Vandecasteele contre un terroriste condamné en Belgique

Cette lettre ouverte, au-delà de faire prendre conscience, un peu plus encore, aux Belges et aux autorités du calvaire d’Olivier Vandecasteele et du caractère inique de sa détention, peut-elle faire bouger les choses ? Les autorités ont-elles une marge de manœuvre ? Pour la spécialiste des Droits humains qu’est Françoise Tulkens, la Belgique est un pays qui, en principe respecte les droits fondamentaux. "Il faut donc lui dire qu’il prenne tous les moyens, tous les moyens, pour faire cesser cette détention inhumaine et dégradante."

Un appel à l’Etat donc, qui, paradoxalement, est signé par les mêmes personnalités qui l’été dernier s’étaient mobilisées pour dénoncer l’accord en train de se dessiner pour permettre un échange de prisonniers entre la Belgique et l’Iran. En cause, la crainte que notre pays échange Olivier Vandecasteele contre un terroriste condamné en Belgique, Assadollah Assadi.

Pour Françoise Tulkens, ce n’est pas vraiment un paradoxe car "Au moment de la décision de suspension (de la loi validant le traité), en décembre, Olivier Vandecasteele était encore 'simplement' arrêté et détenu. Il a été condamné juste après la décision de la Cour constitutionnelle, et sa situation est devenue tout à fait différente (...) Face à une situation qui maintenant va s'inscrire dans la durée, vu cette condamnation, je comprends très bien qu'à un moment donné il faut évoquer l'état de nécessité".

Depuis, son statut juridique a changé, sa situation est différente, il a été condamné […] Pour moi il n’y a pas de contradiction." De son côté, le ministre belge de la Justice a toutefois rappelé que le dossier sera traité en accord avec la constitution, selon la légalité belge et que donc cet accord de transfert est la seule voie possible, l’Etat ne cherchera pas de voie alternative.

Françoise Tulkens, elle, est convaincue que la Belgique doit trouver, d’autres Etats le font. "On ne peut pas dire qu’il n’y a rien à faire […] On verra ce que dira la Cour constitutionnelle, moi je fais confiance à la Cour constitutionnelle. Il y aura une décision le 8 mars."

"On doit se remettre en question"

Des propos qui tranchent avec la tentation autoritaire ressortie de l’enquête Noir Jaune Blues, où la perte de confiance des citoyens interrogés par rapport aux autorités est manifeste. "Une crise on en meurt ou bien on change, c’est aussi le moment pour prendre une nouvelle voie. Oui, on demande plus d’autorité, oui on demande plus de répression, c’est une mauvaise réponse à une bonne question. Les politiques, les juges, les professeurs, on doit se remettre en question. C’est un sentiment, mais un sentiment cela se respecte. On n’est pas des oracles. On doit motiver, on doit expliquer […] la presse aussi […] l’action d’un Etat de droit est limitée par le droit. Abandonner cela, c’est le retour de la violence."

Un sentiment d’insécurité qui pousse près de 4 sondés sur 10 à prôner le retour de la peine de mort dans certains cas. Une utopie pour celle qui fût vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme : "Je l’entends, mais je me sens dans l’obligation morale de dire que la peine de mort est la fausse réponse. Abolir la peine de mort est un impératif de civilisation, on ne répond pas à la violence par la violence. Tout le monde doit s’engager, il faut expliquer."

Et de continuer à souligner les signes d’un repli de la démocratie depuis plusieurs années déjà. Comme en 2008 lorsqu’un secrétaire d’Etat belge, dans le cadre de la discussion autour de l’enfermement des mineurs, affirmait que la Convention des Droits de l’enfant n’avait rien à faire en Belgique… "Des signaux qui sapent les démocraties. Les démocraties ne tombent pas simplement avec les généraux dans les rues."

Des idéaux, ceux de Françoise Tulkens, qui résonnent d’autant plus que la Ligue des droits humlains, dans son dernier rapport, souligne le fait que la Belgique n’a jamais aussi peu respecté des décisions de justice.

"C’est inimaginable qu’un Etat comme la Belgique ne respecte pas lui-même les décisions de justice […] Maintenant on le sait. On doit interroger les ministres, et le gouvernement, mais sinon on va se retrouver avec un état voyou […] ne pas respecter en disant qu’on n’a pas les moyens, c’est une honte de dire cela."

Un délitement progressif de l’Etat qui risque de mener à la disparition de la démocratie. "Il ne faut pas être comme la chouette de Minerve qui ne décide de comprendre que lorsqu’il est trop tard."

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