Littérature

Pour l'auteur belge Pierre Mertens, le plus grand service à rendre à Salman Rushdie, "c'est de le lire"

Dossier de la rédaction

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Par Estelle De Houck sur base du dossier de la rédaction d'Anne-Sophie Bruyndonckx

Le 12 août dernier, Salman Rushdie se faisait poignarder juste avant une conférence qu’il devait donner dans le nord de l’État de New York. Une attaque sérieuse qui a choqué en Occident et mais qui a également été saluée par certains extrémistes de pays musulmans... dont l'Iran - là où la fatwa contre Salman Rushdie a été émise il y a plus de 30 ans par l'ayatollah Khomeini. Revenons sur cette affaire, à travers le regard de l’auteur belge Pierre Mertens.

Pierre Mertens connaissait bien Salman Rushdie et a eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises. Il décrit l’auteur des Versets sataniques comme quelqu’un qui était tout le contraire d’un provocateur ou d’un esprit blasphématoire.

"Au fond, ce que monsieur Khomeini a fait sans le savoir, c'est un gigantesque hommage au roman", estime l’auteur belge. "Beaucoup de pamphlets et de libelles, parfois très sévères, très cruels contre Khomeini avaient paru avant Les Versets sataniques, et curieusement, leurs auteurs n'ont jamais fait l'objet d'une fatwa. Il a fallu qu'il s'agisse d'un roman, et d'un roman majeur, pour que tout à coup monsieur Khomeini s'émeuve."

Le roman a ce privilège de toucher beaucoup plus de personnes, d'être accessible non pas seulement à des intellectuels rassis et abstraits, mais il est ouvert à tous

Et d’après lui, c’est précisément parce que l’oeuvre est de Salman Rushdie est un roman que cette fatwa a été émise. "Je crois que le roman a ce privilège de toucher beaucoup plus de personnes, d'être accessible non pas seulement à des intellectuels rassis et abstraits, mais il est ouvert à tous. Et par conséquent, il incarne un genre plus dangereux pour les autocrates et les esprits sectaires. N'oubliez jamais que Madame Bovary de Flaubert, avant d'être un grand succès majeur, a fait l'objet d'une procédure judiciaire. C'est tout dire."

Pierre Mertens n’a pas vraiment été surpris par cette attaque. "Malheureusement, j'avais senti, j'avais prévu que la soi-disant levée de la fatwa était purement littérale. Des vœux pieux, si l’on ose dire. Mais qu'elle ne dissimulait pas les dangers que désormais courait toujours notre homme."

Il vivait dans un confinement extrême, et à quel point c'était asphyxiant pour sa vie, qu'il espérait beaucoup plus normale

Certes, Rushdie bénéficiait d’une grande protection, mais cette dernière avait tendance à l’étouffer. "C’est-à-dire que, pour l'avoir rencontré plusieurs fois sur ce sujet, il me disait à quel point." C’est ainsi qu’il s’est réfugié aux Etats-Unis, "pour retrouver un peu de liberté, d'aller et de venir… un peu à ses dépens puisque c'est à cause de ça aussi qu'il a pu être agressé."

Faire de lui un "immense écrivain du 20e siècle"

Pour l’auteur belge, le moyen le plus sûr d’aider Salman Rushdie, "ce n'est pas d'en faire à tout jamais le personnage d'une chronique de faits divers, mais c'est d'en faire un immense écrivain du XXᵉ siècle.

Pierre Metens regrette d’ailleurs que les Versets sataniques occultent le reste de l’œuvre. "Je crois que c'est un beau livre important, mais si vous lisez La Honte, Les Enfants de minuit, Le Sourire du jaguar, Le Dernier soupir du Maure, et surtout Salman Rushdie, une autobiographie par Joseph Anton, qui est son pseudonyme, vous avez affaire à de beaucoup plus grands livres."

"Je crois que rendre service à Rushdie, c'est le lire, et pas seulement acheter le livre et le brandir : lire Les Versets sataniques, mais surtout lire tous les autres, prendre connaissance d'une œuvre immense qui est une des grandes œuvres du XXᵉ siècle qui aurait 10 000 fois mérité le prix Nobel."

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