Double sommet à Bruxelles : avant le sommet de l’Union européenne qui doit accorder le statut de candidat à l’adhésion à l’Ukraine et la Moldavie, les Européens rencontraient une poignée d’autres pays, six, tous des Balkans occidentaux et tous sur la voie d’une adhésion à l’Union.
Mais tous n’en sont pas au même stade et surtout le processus dure, et donc ils s’impatientent et sont venus dire leur mécontentement à Bruxelles: quatre d’entre eux sont officiellement candidats mais bloqués depuis des années dans l’antichambre de l’UE : la Macédoine du Nord (2005), le Monténégro (2010), la Serbie (2012) et l’Albanie (2014). Deux autres anciennes républiques de la Fédération de Yougoslavie – le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine – sont considérées comme des candidats potentiels, mais ne remplissent pas encore les critères d’adhésion.
Preuve de la mauvaise ambiance et de l’amertume qui règne, la traditionnelle conférence de presse prévue à l’issue de la réunion a purement et simplement été annulée. La réunion elle-même a duré 4 heures, deux fois plus que prévu, et n'a débouché sur rien de concret. Selon une source européenne, l’Union continuera à apporter un soutien claire à la région des Balkans occidentaux.
Une longue attente
Jusqu’ici, la lenteur des négociations n’inquiétait pas trop, surtout à l’ouest de l’Europe et traduisait en fait le peu d’empressement d’élargir l’Union à des pays plus pauvres, en proie à des tensions. Mais la guerre en Ukraine a fait prendre conscience de la nécessité de s’attacher plus solidement les pays du flanc sud-est de l’Union.
Si la France a pu montrer des réticences à l’intégration des 6, d’autres Etats-membres se sont montrés plus actifs comme la Grèce qui souhaite que cette intégration soit réalisée pour 2033 ou l’Autriche, partisane d’une adhésion rapide face au "grand potentiel de déstabilisation de la Russie non seulement à l’est de l’Europe, mais aussi au sud-est". La Slovénie fait aussi pression pour que la Bosnie-Herzégovine obtienne le statut de candidat à ce sommet-ci.
Pour le président du Conseil, Charles Michel, le sommet de ce jour doit permettre de "redynamiser" le processus avec les pays des Balkans occidentaux en envoyant un message "clair et fort" : "Nous sommes engagés avec la présidence française pour mettre des propositions sur la table, afin de pouvoir démarrer au plus tôt les négociations avec l’Albanie et la Macédoine du Nord".
Pour le Premier ministre belge Alexander De Croo, il convient de donner plus de clarté aux Balkans occidentaux sur leur perspective européenne, si ces pays mettent en œuvre un certain nombre de réformes. À ses yeux, la décision attendue ce jeudi après-midi sur l’octroi à l’Ukraine du statut de candidate à l’UE constitue un "moment historique et symbolique fort, face à une Russie qui fait tout pour déstabiliser l’Europe".
L’Ukraine qui s’apprête à griller ainsi la priorité aux pays des Balkans occidentaux, cela laisse des traces. En arrivant à cette réunion, le Premier ministre albanais Edi Rama avait conseillé aux Ukrainiens de ne "pas se faire d’illusions" sur le statut de candidat accordé par l’Union européenne, car le processus pour l’adhésion sera très long. "La Macédoine du Nord est candidate depuis 17 ans, si je n’ai pas perdu le compte, et l’Albanie depuis huit ans", a-t-il rappelé.
"L’adhésion prendra beaucoup de temps", a d’ailleurs confirmé Alexander De Croo.
L’Allemagne est le plus fervent soutien des Balkans occidentaux. "Leurs citoyens attendent depuis près de 20 ans la possibilité de devenir membres de l’Union européenne. Il est de la plus haute importance que cette promesse devienne crédible", a insisté le chancelier Olaf Scholz.
Veto bulgare : discussions au point mort avec la Macédoine du Nord et l’Albanie
Mais un imprévu vient jeter une ombre sur ce sommet UE-Balkans occidentaux : le renversement de pouvoir survenu mercredi soir au parlement bulgare. Le Premier ministre, le gouvernement du réformiste libéral Kiril Petkov a été balayé par une motion de censure, sur fond de divergences accrues par la guerre en Ukraine.
Sofia mettait depuis longtemps son veto à l’ouverture de négociations d’adhésion à l’UE de la Macédoine du Nord, candidate depuis 2005, et par ricochet de l’Albanie.
Un blocage pour des raisons de contentieux historiques et culturels. La présidence française n’en est pas venue à bout. La Bulgarie exige que les Macédoniens reconnaissent dans leur constitution les origines bulgares de leur langue et protège mieux leur minorité bulgare mais sans reconnaître en contrepartie les droits de la minorité macédonienne de Bulgarie. Avant cela pourtant, le contentieux avec la Grèce, portant sur le nom de "Macédoine" a pu être résolu en 2018.
Aucune médiation n’a porté ses fruits jusqu’à présent, et de plus la Bulgarie se retrouve ce jeudi au sommet avec un gouvernement démis.
L’Albanie, dont la demande d’adhésion est de facto couplée à celle de la Macédoine du Nord par plusieurs États membres, se retrouve victime collatérale du blocage, "une honte" aux yeux du Premier ministre Edi Rama, alors que Skopje demande l’adhésion depuis 2004 et Tirana depuis 2009. L’Albanie est officiellement candidate depuis 2014.
Bosnie-Herzégovine : pas encore candidate
La Bosnie-Herzégovine tente d’obtenir son statut de candidat mais n’a pas encore réussi à satisfaire à certaines recommandations pour y arriver.
Charles Michel souligne les efforts des derniers jours pour s’assurer que ses institutions fonctionnent. Mais ce pays est également un exemple des freins qui existent dans le processus d’adhésion liés aux tensions récurrentes observées aux frontières et à l’intérieur de ces Etats nés de l’éclatement de la Yougoslavie.
Le Monténégro a obtenu son indépendance en 2006 et a introduit sa demande d’adhésion à l’Union en décembre 2008. Il a obtenu le statut de pays candidat en décembre 2010 et a entamé les négociations d’adhésion en juin 2012. Depuis 2007, l’euro est la monnaie de ce pays.
Pour la Commission, une adhésion à l’horizon 2025 était envisageable, comme pour la Serbie, tout en reconnaissant que cette perspective est "extrêmement ambitieuse". "Cette perspective dépendra, en dernière analyse, de l’existence d’une volonté politique forte, de la mise en œuvre de réformes effectives et durables et du règlement définitif des différends avec leurs voisins".
Les chemins sinueux du Kosovo et de la Serbie
De son côté, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a fait part d’avancées dans le dialogue entre le Kosovo et la Serbie sur le volet énergie, mais il faudra plus : sans accord entre ces deux Etats, le dossier serbe ne pourra aboutir.
Le Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance en février 2008. Cinq États membres de l’Union (Chypre, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et l’Espagne) ainsi que deux pays de la région (la Serbie et la Bosnie-Herzégovine) n’ont pas reconnu son indépendance. Il tente depuis d’obtenir le statut de candidat mais n’a pas encore introduit de demande même s’il exprime sa volonté dans ce sens, on parle donc de "candidat potentiel".
Dans la région, le Kosovo reste seul exclu de la libéralisation du régime des visas, plusieurs États membres de l’Union ayant toujours des réserves. Vjosa Osmani, la présidente du Kosovo, a rappelé la demande de son pays de libéraliser ces visas vers l’UE, un dossier toujours à l’étude vu l’absence de consensus entre les 27.
Les Balkans occidentaux ont besoin d’un message "clair et uni" de l’UE, sous peine de laisser d’autres acteurs extérieurs prendre pied dans l’espace laissé vide, prévient-elle. La Russie, la Chine, la Turquie et les pays du Golfe gagnent en influence dans cette région dont les attentes sont déçues par les atermoiements de l’UE.
La présidente kosovare met aussi en garde la Serbie, candidate depuis 2012 : "Ceux qui pensent qu’ils peuvent avancer sur le chemin de Moscou, celui de Poutine, tout autant que sur celui de l’UE, ne méritent pas d’emprunter le chemin de l’UE".
Le président serbe Aleksandar Vucic lui a répondu : "Nous soutenons l’intégrité territoriale de l’Ukraine comme celle de la Serbie, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’États membres de l’UE". Et c’est l’autre obstacle de ce sommet : l’attitude de la Serbie vis-à-vis de Moscou perturbe le message d’unité à envoyer à la Russie.
Alliée traditionnelle de Moscou, la Serbie ne prend pas part aux sanctions de l’UE contre la Russie. Le président Vucic a renouvelé en juin un contrat gazier avec la Russie, une attitude ambiguë qui, avec les atteintes à l’Etat de droit et à la liberté de la presse, refroidit les Européens. Le Parlement européen a demandé que la Serbie démontre son engagement européen et reconsidère sa position vis-à-vis de la Russie.
Pour la Commission européenne, l’adhésion de la Serbie ne peut intervenir avant 2025 car les accords signés depuis 2013 avec le Kosovo ne sont pas tous appliqués et la reconnaissance du Kosovo par la Serbie est une condition à l’entrée de ces deux pays dans l’Union européenne. Et Aleksandar Vucic a été catégorique : pas question de reconnaître le Kosovo.
Le président serbe, venu à Bruxelles en traînant les pieds, a déclaré ne "rien" attendre de ce sommet.
Une alternative proposée par Emmanuel Macron
Emmanuel Macron a annoncé le 9 mai, fête de l’Europe, un projet de Communauté politique européenne (CPE). Le président français imagine une structure complémentaire au statut d’adhésion basée sur les valeurs démocratiques communes. Cette organisation devrait encourager les coopérations dans les domaines de la sécurité, de l’énergie, des infrastructures et de circulation des personnes notamment des jeunes. Elle jouerait la carte de l’intégration politique en priorité, mettant de côté les critères plus difficiles : économiques et juridiques.
Cette communauté ne se limiterait pas aux Balkans occidentaux mais s’adresserait aussi à l’Ukraine et à 8 autres candidats comme la Moldavie et la Turquie qui attend aussi son tour, depuis 23 ans. Le président français songe même au Royaume-Uni…
Ce projet encore assez vague, qui a le soutien de Charles Michel, doit beaucoup à une idée de Confédération européenne de François Mitterrand de 1989. Mais il est loin de faire l’unanimité, car il suppose un traitement différencié entre Européens où certains pourraient se retrouver dans une antichambre perpétuelle. Parmi ceux qui ont émis de sérieuses réserves, le président ukrainien Volodymyr Zelensky.