On n'est pas des pigeons

Pour obtenir de la viande de veau "blanche", l’industrie flirte avec les limites physiologiques du jeune animal

Le veau est catégorisé viande blanche depuis les années 60

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Tendre, lacté et gage de fraîcheur, le veau "blanc" a été imposé aux consommateurs depuis les années 60 pour devenir un standard de boucherie. Pourtant, certains éleveurs français de la filière bio, rejoints chez nous par un producteur local, proposent depuis peu de la viande de veau "rouge", beaucoup plus naturelle et respectueuse de l’animal. 

Une méthode d’élevage qui dénonce surtout l’industrie du veau "blanc" et ses usines d’engraissement qui privent les veaux d’une alimentation équilibrée.

Veau rouge : une santé de fer

La différence de couleur entre le veau blanc-rosé et le rouge est criante !
La différence de couleur entre le veau blanc-rosé et le rouge est criante ! © O. Badart-RTBF

Harry Raven est un jeune éleveur de veau rouge situé à Francorchamps. C’est un des rares producteurs à tenter l’aventure de la viande de veau bio, dans les traces des éleveurs français qui proposent un label rouge pour ce type de viande.

Mes veaux obéissent aux lois de la nature et rien ne leur est imposé et surtout interdit !

" La différence de couleur est très simple à expliquer", nous apprend d’emblée l’éleveur au naturel. "Mes veaux obéissent aux lois de la nature et rien ne leur est imposé et surtout interdit !"

A savoir: un allaitement au pis des mères et des vaches nourricières durant les 8 mois d’élevage et du foin à volonté dès que la maturité stomacale le permet. Du foin qui contient du fer et qui procure cette couleur rouge à la viande. Question d’hémoglobine et de myoglobine, ces protéines qui transportent et stockent l’oxygène dans le sang. Avec le concours du fer.

Pour obtenir de la viande blanche, il faut donc fortement limiter les apports en fer dans l’alimentation des veaux. Et pour y parvenir, il faut rapidement sevrer le veau (à 2 semaines) et le nourrir au lait en poudre avec complément drastique de fibres.

De quoi respecter (tout juste ? ) le taux légal d’hémoglobine imposé par les autorités européennes pour rétablir la notion de bien-être animal jusque-là bien bafouée.

Cependant, le législateur a dû trouver un compromis et jongler avec 3 paramètres : la rentabilité de la filière, le bien-être animal et la blancheur de la viande désormais exigée par les consommateurs.

Une étude de la Région wallonne a démontré que cet équilibre était très difficile à atteindre. Avec une alimentation carencée en fer et même avec des injections pour rehausser le taux et s’approcher du taux légal d’hémoglobine, certains veaux de l’étude (17 sur 40) présentaient des anémies.

L’étude a conclu que la rentabilité du veau de boucherie en exploitation agricole était peu élevée.

Ce qui s’est nettement confirmé par la suite avec l’avènement des engraisseurs professionnels (majoritairement situés dans le nord du pays et aux Pays-Bas) qui proposent des solutions intégrées.

Le veau à la viande rouge est élevé auprès de sa mère nourricière jusqu’à l’abattage.
Le veau à la viande rouge est élevé auprès de sa mère nourricière jusqu’à l’abattage. © O. Badart-RTBF

Une filière d’engraissement bien opaque

Impossible d’obtenir des renseignements dans la filière industrielle d’engraissement du veau blanc.

C’est "touchy", nous dit-on d’emblée. Pas de vidéos disponibles des immenses étables; un site internet rempli de dessins mais aucune photo; pas de rapports d’alimentation et encore moins de résultats de contrôles sanguins. De toute façon, on nous dit que les contrôles sont effectués en interne, par des vétérinaires payés par les firmes d’engraissement.

Et auprès de la Région Wallonne, on ne verra rien non plus pour prouver que les veaux commercialisés ne sont pas anémiés. Les contrôles s’effectuent en cas de suspicion de nourriture douteuse donnée aux veaux.

Si l’industrie n’a aucun intérêt à anémier ses veaux pour une question de poids de l’animal à commercialiser, son attitude face à nos demandes de renseignements ne rassurera pas le consommateur. D’autant que nous aurions aimé évoquer aussi avec la filière veau blanc un autre problème sanitaire bien connu des professionnels. C’est un vétérinaire de l’Université de Liège qui nous a mis la puce à l’oreille.

Les contrôles de la filière veau blanc se font la plupart du temps en interne
Les contrôles de la filière veau blanc se font la plupart du temps en interne © getty images

L’allotement, un bain de culture… antibiotique

Pour le Professeur Rollin, vétérinaire à l’ULiège, le problème de la filière blanche se trouve aussi dans l’allotement.

Les veaux arrivent tous de fermes différentes, avec de nombreux germes qu’ils vont rapidement s’échanger.

Ce grand regroupement de veaux très jeunes dans un même lieu destiné à améliorer le rendement. "Les veaux arrivent tous de fermes différentes, avec de nombreux germes qu’ils vont rapidement s’échanger", nous précise le spécialiste des ruminants. Comme une crèche de nourrisson ! S’ensuivront des maladies très courantes comme des gastro-entérites avec sévères diarrhées et des problèmes respiratoires. Des problèmes qui exigent des traitements antibiotiques pour soigner des veaux déjà affaiblis par leur alimentation carencée en fer. "Ce qui n’arrive pas dans les petits élevages locaux aux rendements faibles", insiste le vétérinaire.

Alors, maintenant, on fait quoi ?

Le veau pourrait-il retrouver une méthode d’élevage plus respectueuse ?
Le veau pourrait-il retrouver une méthode d’élevage plus respectueuse ? © getty images

Changer une habitude de consommation : mission impossible ?

Un changement d’habitude et un passage au veau rouge sont envisageables. Mais pour Marianne Streel, la patronne de la FWA (Fédération Wallonne de l’Agriculture), la demande doit venir des consommateurs. "Si la demande en veau rouge augmente, il est évident que nos producteurs suivront ! On en produira plus que ce qui est proposé aujourd’hui de manière très confidentielle".

Mais bien sûr, comme toujours, le client aura sûrement à payer le prix de la qualité et de la production "naturelle". Et c’est souvent là que les choses coincent.

A moins que les néoéleveurs de veau rouge parviennent à vendre leur viande gourmande au même prix que le blanc industriel désormais controversé. Soit aujourd’hui 28 euros le kilo pour le filet de veau. Et que le circuit court gagne encore quelques points d’intérêt auprès du consommateur.

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