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Pourquoi la France a-t-elle adopté le principe de laïcité en 1906 ?

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Le 3 juillet 1905 l’assemblée nationale française adoptait le principe de laïcité. 116 ans plus tard, cet événement résonne particulièrement dans l’actualité de ces derniers temps par rapport aux questions de signes religieux ostentatoires et de la neutralité du service public.

Une question délicate, parce qu’à la limite de deux notions qui peuvent s’opposer : d’un côté la liberté religieuse et de l’autre l’impartialité de l’Etat en dehors de toute influence religieuse. Le débat ces temps-ci est complexe et parfois passionnel ; il le fut tout autant en France il y a exactement 116 ans quand était votée par les députés la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, une loi qui sera promulguée quelques mois plus tard.

 

 

Pourquoi cette loi consacrant le principe de laïcité est-elle instaurée en 1905 ?

 

Parce que le pays est sous tension. On a du mal à s’en rendre compte aujourd’hui mais la lutte est farouche entre les défenseurs de l’Eglise et ses opposants. L’Eglise, c’est le culte catholique romain et aucun autre.

La question agite la France durant tout le 19e siècle : quelle place faut-il accorder aux prêtres et aux congrégations religieuses dans la société ?

Il y a ceux pour qui la France est la fille aînée de l’Eglise, en référence aux Rois de France consacrés à Reims, qui se sont toujours érigés en défenseurs de la chrétienté ; il y a aussi les autres qui se réfèrent à la Révolution, celle qui a balayé les privilèges de l’Ancien régime avec parfois une fièvre antireligieuse virulente comportant pillage des églises et des abbayes.

Cette fracture-là est toujours bien profonde à la fin du 19e siècle et si le débat reprend vigueur dans les années 1870, c’est parce que la France est devenue une République.

 

La loi qui va consacrer en France le principe de la laïcité fortement liée à la question républicaine

 

Il faut se rappeler que la République en France c’est à l’époque une exception.

Au début du 20e siècle, l’Europe est constituée d’Empires, l’empire russe, l’empire allemand, l’empire austro-hongrois ou de royaumes. Le régime républicain français est une exception qui n’allait pas de soi et s’est imposé de peu face aux monarchistes qui voulaient remettre un Roi sur le trône de France.

Les républicains cherchent donc à asseoir ce régime encore fragile et pour y parvenir ils doivent contrecarrer l’influence des prêtres et leur rôle prépondérant dans l’éducation des enfants. Pour cela, ils vont créer une armée d’instituteurs au service d’une école publique obligatoire et résolument laïque. L’instituteur contre le curé, la République contre la monarchie, voilà quel est le contexte du vote de la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat : la laïcité va constituer un ciment idéologique de la République française et participer à la création d’un nouveau culte : celui d’une patrie généreuse et unique que les petits français vont apprendre à aimer dans les écoles publiques où les instituteurs sont les premiers défenseurs républicains dans toutes les villes et villages de France.

 

Le principe de laïcité à la française par opposition à l’Eglise catholique

 

A l’époque le terme de laïcité n’apparaît pas dans la loi, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Le vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat a de lourdes conséquences : elle ne subventionne plus aucun culte et les met tous sur pied d’égalité.

Le pape se fâche, condamne avec force cette nouvelle loi et il interdit aux catholiques de l’accepter. Bref, la France est en 1906 au bord de la guerre civile et les tensions entre catholiques et laïcs persisteront jusqu’à l’union sacrée de la première guerre mondiale. Autrement dit, ce qui apparaît un siècle plus tard comme un principe national défendu par tous les partis politiques français a profondément divisé la France au moment de son adoption.

 

Ici en Belgique on ne parle pas de laïcité mais de neutralité. Pourquoi cette différence ?

 

Par l’histoire encore une fois. Pour chasser les Hollandais et créer la Belgique, il a fallu l’union entre libéraux et catholiques. Déjà le fameux compromis à la belge ; dès le 19e siècle, il y a l’idée que l’Etat doit être neutre mais l’influence de l’Eglise reste importante, particulièrement dans le domaine de l’enseignement.

Il y eut bien quelques sérieuses tensions entre catholiques et laïcs mais avec le temps la relation s’est apaisée. Entre neutralité et laïcité il y a des points communs, la nécessité de créer une frontière entre la sphère religieuse et la sphère de l’Etat. Il y a aussi des différences réelles. Reste à savoir, dans une société comme la nôtre, lequel de ces deux principes, laïcité ou neutralité, est le plus apte de répondre au nouveau défi de liberté religieuse.

Quoi qu’il en soit, il y a toujours une histoire derrière les grands principes, si on jette un coup d’œil dans le rétro, c’est bien pour éclairer le présent.

 

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