Economie

Pourquoi le FMI exhorte-t-il le Salvador d’abandonner le bitcoin comme monnaie officielle ?

Une Salvadorienne brandit un panneau indiquait qu’elle accepte les paiements en bitcoins

© MARVIN RECINOS / AFP

Par Alain Lechien

Le Salvador a admis le bitcoin comme monnaie officielle, au même titre que le dollar US, le 7 septembre 2021. Cela déplaît au Fonds monétaire international, qui exhorte ce pays à retirer à la monnaie virtuelle ce caractère officiel. Trois questions pour mieux comprendre.

Où le bitcoin a-t-il cours légal officiel ?

La bibliothèque du Congrès des Etats-Unis recense les législations qui concernent les cryptomonnaies, dont le bitcoin. Dans la mise à jour de novembre 2021, elle identifiait le Salvador comme seul pays au monde où le bitcoin avait cours officiel. Autrement dit : dans ce pays, personne ne peut refuser de recevoir un paiement d’une dette dans cette unité monétaire.

La même source recensait neuf pays où l’utilisation des cryptomonnaies est absolument interdite : Algérie, Bangladesh, Chine, Egypte, Irak, Maroc, Népal, Qatar et Tunisie. Et 42 pays où cette interdiction est implicite. Plusieurs pays souhaitent réguler les transactions en cryptomonnaies. La grande volatilité de ces monnaies et leur caractère décentralisé sont les principales causes de la méfiance des autorités de ces pays.

Il faut rappeler que le bitcoin a été créé à l’origine dans le but d’avoir un moyen de paiement qui ne soit pas contrôlé par les institutions financières, en particulier les banques centrales. Voyant le cours du bitcoin monter très fort par rapport à des devises telles que le dollar, certains spéculateurs ont imaginé pouvoir se faire de l’argent très facilement en investissant en bitcoins. Mais c’est évidemment hasardeux : au-delà du fait qu’il est très théorique d’établir le cours du bitcoin par rapport à une monnaie classique, c’est lorsqu’on veut l’utiliser pour payer que l’on risque une déconvenue, vu le caractère volatile de cette cryptomonnaie.

Quel était le but du président du Salvador en adoptant le bitcoin comme monnaie officielle ?

Cette décision a été prise en septembre 2021 dans un contexte de crise monétaire. Vingt ans auparavant, le "colon" salvadorien s’était effondré et avait été remplacé par le dollar US. L’économie salvadorienne s’est contractée de 7,9% en 2020. Le président du Salvador Nayib Bukele espérait faire économiser à ses concitoyens l’équivalent de 400 millions de dollars de frais bancaires lorsque les expatriés salvadoriens, principalement installés aux Etats-Unis, enverraient de l’argent vers leur pays d’origine.

Pourquoi le FMI exhorte-t-il le Salvador d’abandonner le bitcoin comme monnaie officielle ?

Dès que le président du Salvador avait annoncé vouloir ériger le bitcoin comme monnaie officielle, le FMI s’était montré réticent, au même titre que la Banque Mondiale. Mais ce 25 janvier le FMI a publié son rapport annuel sur la situation économique du Salvador. On peut y lire que, si une contraction de 7,9% de l’économie salvadorienne avait été observée en 2020, cette dernière avait monté de 10% en 2021. Pour 2022, le FMI table sur une croissance de 3,2%. Le pays répondit rapidement après l’interruption de 10 années croissance causée par la pandémie. Le FMI constate ce début d’embellie grâce à une demande extérieur "robuste", des envois de fonds "résilients" et une "bonne gestion" de la pandémie.

Mais le FMI met en garde : selon lui, l’utilisation du bitcoin comme monnaie officielle comporte des "risques importants" pour la stabilité et l’intégrité financières "et la protection des consommateurs". C’est pourquoi le conseil d’administration du FMI exhorte les autorités salvadoriennes "à réduire la portée de la loi bitcoin en supprimant le statut légal du bitcoin". "Certains administrateurs ont également exprimé leur inquiétude quant aux risques associés à l’émission d’obligations adossées au bitcoin", ajoute le rapport. "Des vulnérabilités de la dette publique sont apparues. Les déficits budgétaires persistants et le service élevé de la dette entraînent des besoins de financement importants et croissants", conclut le rapport.

"Bitcoin City"

Le président Nayib Bukele est un fervent promoteur de la cryptomonnaie, on l’a compris. Sous son gouvernement, 1630 bitcoins ont ainsi été acquis avec des fonds publics et le chef de l’État a aussi annoncé l’émission d’un milliard de dollars d’obligations en bitcoins. Fin novembre, il a également indiqué vouloir bâtir "Bitcoin City", une nouvelle ville alimentée par l’énergie d’un volcan et financée par de la dette en cryptomonnaie.

Le gouvernement salvadorien est en négociations avec le FMI pour un prêt de 1,3 milliard de dollars pour assainir sa dette. Le gouvernement espère notamment obtenir 400 millions de dollars de prêt de la Banque mondiale, 400 millions de la Banque interaméricaine de développement (BID) et 200 millions de la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE). Tous ces prêts dépendent d’un accord avec le FMI.

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