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Pourquoi les migrants rêvent-ils toujours de l’eldorado britannique ?

Un pneumatique chargé de migrants arrive sur les côtes britanniques, ce 24 novembre, pris en charge par des sauveteurs.

© Ben STANSALL / AFP

Par Daniel Fontaine

Quelque 33.000 migrants auraient déjà tenté cette année la périlleuse traversée de la Manche entre la France et le Royaume-Uni. Environ 8000 d’entre eux ont dû être secourus et ramenés sur les côtes françaises. Mais des dizaines meurent noyés, sans que l’on en connaisse le nombre exact.

Pourquoi prennent-ils le risque de traverser cette mer réputée particulièrement dangereuse, où l’on ne survit que maximum deux heures si l’on tombe dans ses eaux froides ?

Fuite en avant

Un certain nombre d’entre eux ont d’abord tenté en vain de demander l’asile dans un pays d’Europe continentale. François Guennoc, président de l’association humanitaire l’Auberge des Migrants à Calais, le confirmait sur RFI : "Pour la majorité de ceux qui s’embarquent à travers la Manche, le Royaume-Uni est la dernière chance. Certains sont menacés d’expulsion hors d’Europe, d’autres d’être renvoyés en Italie ou en Grèce."

"C’est une sorte de fuite en avant", confirme Matthieu Tardis, spécialiste des politiques migratoires à l’Institut français des relations internationales. "Le poids des mauvaises conditions dans lesquelles ils sont accueillis en France, en Italie, dans les autres pays de l’UE, les incite à aller encore plus loin, à se dire qu’au Royaume-Uni, ce sera mieux."

La voie est ouverte

Les candidats à la traversée vers l’Angleterre espèrent aussi y retrouver des connaissances, qui les encouragent à les y rejoindre. "Un certain nombre de migrants à Calais ont des proches ou une communauté de compatriotes au Royaume-Uni", poursuit Matthieu Tardis.

Le chemin est déjà tracé, ils tentent de suivre la voie ouverte. "Une fois que cela s’est mis en place, les informations circulent. Quand quelqu’un que l’on connaît a réussi, on a de la famille là-bas, donc on se dit 'on va quand même y aller'", détaille Virginie Guiraudon, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des politiques d’immigration européennes, sur France Culture.

Climat xénophobe

Même si les conditions sont sans doute moins favorables aujourd’hui, vingt années d’immigration au Royaume-Uni ont solidement ancré ce réflexe de groupement. "Ce qui est plus difficile à comprendre aujourd’hui, c’est qu’il y a eu malgré tout en Angleterre une politique très restrictive et un climat extrêmement xénophobe, surtout lors du référendum sur le Brexit", s’étonne Virginie Guiraudon.

Une partie du pouvoir d’attraction britannique vient aussi la langue anglaise, que beaucoup de migrants connaissent, contrairement au français. Ils sont souvent originaires d’anciennes colonies ou de pays liés au Royaume-Uni.

 

Travail au noir

Mais la motivation principale des nouveaux arrivants est d’y trouver du travail, le plus souvent dans l’économie informelle. L’économie britannique est beaucoup moins régulée que sur le continent. Le système britannique repose sur une économie très libérale, inspirée du modèle américain, qui a besoin d’une main-d’œuvre bon marché. Les étrangers illégaux sont les plus susceptibles d’accepter ce type de postes. Et depuis le Brexit, les opportunités d’emploi sont particulièrement nombreuses dans ce pays en manque de main-d’œuvre non qualifiée.

" On lave des voitures ", témoigne Barzan, un Kurde irakien de 26 ans, pour Amnesty International France. " Si tu es réfugié, en Angleterre, tu dois passer par le car-wash même si ça abîme les mains", plaisante-t-il. "Beaucoup de Kurdes y travaillent, on trouve toujours. Au début on gagne 39 euros puis avec l’expérience 56 euros par semaine."

La Grande-Bretagne a besoin de nous, de main-d’œuvre, pour les petits boulots. Mais en même temps, nous sommes rejetés, nous n’avons pas de droits

Pour ce salaire de misère, les travailleurs ne comptent pas leurs heures, six jours par semaine, et ne sont pas déclarés. " Trouver un job au noir, c’est facile en Grande-Bretagne, je ne me suis jamais fait prendre par les autorités. Il paraît que quelques patrons se prennent des amendes, poursuit Barzan. Mais personnellement, je n’ai jamais vu aucun directeur avoir des problèmes. La Grande-Bretagne a besoin de nous, de main-d’œuvre, pour les petits boulots. Mais en même temps, nous sommes rejetés, nous n’avons pas de droits ."

De nombreux étrangers vivent ainsi dans l’irrégularité. Plus d’un million d’immigrés séjourneraient illégalement en Grande-Bretagne. Jusqu’à récemment, ils ne demandaient pas l’asile parce que l’application du règlement européen de Dublin permettait de les renvoyer ailleurs dans l’UE, même si ces renvois étaient relativement rares.

Un effet paradoxal du Brexit

Depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le pays est aussi sorti du système de Dublin et ne peut plus renvoyer un migrant dans le pays européen par lequel il est entré et où il a laissé ses empreintes. Le Royaume-Uni doit examiner lui-même toutes les demandes d’asile déposées sur son sol.

C’est un effet paradoxal du Brexit, alors que ses défenseurs, dont le Premier ministre Boris Johnson, avaient promis de limiter l’immigration. Il s’apprête dès lors à rendre considérablement plus strictes les conditions d’octroi d’asile. Un projet de loi controversé prévoit ainsi de durcir les sanctions : la peine maximale encourue par les passeurs passerait de quatorze ans actuellement à la prison à vie ! La réforme prévoit aussi de traiter différemment les demandeurs d’asile selon qu’ils soient arrivés dans le pays légalement ou illégalement.

Il est déjà interdit aux personnes en situation irrégulière de louer des maisons ou d’ouvrir des comptes bancaires. Les permis de conduire peuvent être refusés ou révoqués. Une loi sur l’immigration facilite la poursuite d’un employeur qui sait ou devrait savoir que son employé ne devrait pas être en Grande-Bretagne.

Happy end

Une minorité de demandeurs d’asile obtient finalement le droit de rester au Royaume-Uni. C’est le cas de Henok, un Érythréen de 18 ans rencontré par Amnesty International France. Aidé par des compatriotes, il a obtenu son statut de réfugié au bout d’un an, car un retour en Érythrée serait bien trop dangereux. " J’ai ce que je voulais, la sécurité et les études. Je veux devenir électricien et continuer le rap ", témoigne-t-il.

Mais une chose lui manque à présent : " Je cherche mes parents et mon frère, dont je n’ai jamais eu de nouvelles depuis mon départ. Ils n’ont ni adresse ni Internet. Je pense à eux, ça me rend triste, je voudrais les faire venir, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus et eux non plus ne savent rien de ma vie ".

La Manche: naufrage d'une embarcation transportant des migrants au large de Calais (JT 25/11/2021)

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