Economie

Pourquoi les montres de valeur sont-elles aussi utilisées dans des transactions "douteuses" ?

Les montres de luxe, prisées par les collectionneurs et les investisseurs, sont aussi un objet de prédilection pour les dessous-de-table et le blanchiment d’argent.

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Par Jean-François Noulet, avec L. Van de Berg

Ce mercredi soir, sur la Une, le magazine "Investigation" se penchera sur les coulisses du football belge, en particulier le dossier du "Footgate" où la justice s’est intéressée aux magouilles, matches truqués et actes de corruption dans le milieu du football. L’enquête aurait mis en avant des objets utilisés par certains pour des transactions : les montres de grande valeur. Le football n’est pas le seul milieu où l’on s’intéresse aux montres de luxe. 

Dans d’autres secteurs, où l’on préfère contourner les lois et/ou agir discrètement, les montres sont des objets de grand intérêt. On est alors bien loin du monde des amateurs de beaux objets et de celui des collectionneurs.

La montre de luxe : un marché qui génère beaucoup de valeur

© RTBF/Laurent Van de Berg

Les montres de luxe ont toujours été recherchées. Arborer au poignet une montre d’une grande marque a de tout temps été un signe de distinction. Ces montres sont aujourd’hui encore très prisées des amateurs, mais aussi des collectionneurs. Grands horlogers et boutiques spécialisées dans l’achat et la revente des montres de collection sont là pour satisfaire ces amateurs de belles montres.

Gilles Clavareau est un passionné d’horlogerie qui a fondé le magasin l’Artisan du temps. Situé à Bruxelles, ce commerce est spécialisé dans l’achat et la vente de montres de collection, qu’elles soient anciennes ou plus récentes. D’ailleurs, la demande pour certaines montres de marques de luxe actuelles est telle qu’une montre neuve, à peine sortie du magasin peut déjà avoir plus de valeur sur le marché de l’occasion. 

"Il y a certaines montres qui, neuves, vont valoir 8000 euros. D’occasion, je vais les racheter 16-17.000 pour les revendre à peu près 20.000. On peut faire parfois du 'fois deux' sur des gros montants de base. C’est énormément d’argent qui peut être doublé de manière quasi instantanée", explique Gilles Clavareau. Certains produits, chez Rolex par exemple, valent plus cher d’occasion que neuf.

Le fait que les montres de luxe puissent générer autant de valeur, parfois très rapidement, n’intéresse pas que les collectionneurs ou les investisseurs avisés. Cela attire aussi parfois des personnes moins bien intentionnées.

Les autorités belges ont, face à ce risque, développé une parade. En Belgique, l’achat et la vente d’articles de luxe sont soumis à des règles strictes. Théoriquement, il est interdit de recourir à l’argent liquide pour des montants de plus de 3000 euros. "On paye tous nos clients qui nous vendent des montres par virement et l’ensemble des gens qui nous achètent des montres nous payent par virement ou par carte de banque, donc on a une traçabilité complète", explique Gilles Clavareau. "On se méfie dès que nos clients nous réclament un paiement en cash ou nous demandent s’ils peuvent payer au-delà de la limite de 3000 euros. On n’y déroge pas", affirme Gilles Clavareau.

La montre de luxe, l’objet idéal pour des transactions discrètes ?

© RTBF/Laurent Van de berg

Le fait que les montres soient des objets qui peuvent passer de mains en mains facilement fait aussi d’elles des cibles de personnes aux intentions moins louables que les collectionneurs ou les investisseurs. Elles sont, en quelque sorte le "cadeau idéal" pour ceux qui veulent offrir discrètement. Un peu comme les pièces d’or ou les lingots qu’on transmettrait discrètement pour contourner les lois sur les héritages, les montres apportent une solution idéale dans certains milieux. "On peut imaginer que certaines personnes le font particulièrement dans des milieux où il y a des dessous-de-table, que ce soit dans le football ou un autre milieu. Les montres en font partie puisqu’elles se changent de mains en mains et peuvent avoir une très grande valeur", estime Gilles Clavareau.

Du côté de la CTIF, la Cellule de traitement des informations financières, l’organe belge qui analyse les transactions financières suspectes, c’est un peu ce qu’on constate, sans se prononcer sur un dossier spécifique lié à un club ou à telle ou telle personne du milieu du foot. Lorsqu’il est interdit d’effectuer des transactions en cash de plus de 3000 euros, lorsque les banques sont obligées de détecter et signaler les transactions suspectes, "Donner une montre de luxe est souvent moins détecté ou reste plus caché que lorsque l’argent est directement viré", explique Kris Meskens, Secrétaire général de la CTIF.

Celui qui reçoit la montre possède alors un objet qu’il pourra probablement revendre avec plus-value.

Quant à l’acheteur qui cherchera à contourner la règle des "3000 euros" en cash, il trouvera le moyen d’acheter "en toute discrétion" à l’étranger. "Si vous voulez pouvoir payer et trouver un dealer officiel ou un magasin qui va accepter de l’argent cash, vous devez passer les frontières. Aujourd’hui, on peut voir que les règles monétaires en Hollande ou en Allemagne sont très différentes de la Belgique et c’est à une heure et demie de chez nous, pas loin du tout", résume Gilles Clavareau, de l’Artisan du temps. Sans compter d’autres pays plus éloignés aux pratiques encore plus libérales.

Les montres de luxe utilisées pour blanchir l’argent

La CTIF a aussi retrouvé la trace des montres de luxe sur les chemins suivis par l’argent sale, par exemple l’argent que les trafiquants ou les terroristes utilisent ou cherchent à blanchir. Elle a pu observer que les montres de valeur faisaient partie des "outils" utilisés dans ces circuits financiers parallèles. On parle ici, notamment, des trafiquants de drogue ou d’autres choses, qui trouvent dans les montres un moyen de blanchir l’argent généré par leurs activités illégales. "Ils utilisent leur argent pour un investissement qui va prendre de la valeur, mais qui va surtout rendre plus difficile de dire que cela vient de la criminalité", explique Kris Meskens, Secrétaire général de la CTIF.

Les trafiquants utilisent aussi les montres de luxe dans d’autres circuits de blanchiment d’argent.  "On a du cash qui est utilisé avec des courtiers, par exemple en Colombie, pour acheter des véhicules de luxe ou des montres de luxe pour les expédier, par exemple vers la Belgique, pour les vendre sur le marché souvent noir. On récupère ainsi le profit de la vente de drogue grâce à la vente d’un bijou", explique Kris Meskens. 

 

#Investigation du 29/09/2021 : Le footgate et les montres de valeur

#Investigation

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