Belgique

Pourquoi les pensions des fonctionnaires, salariés et indépendants sont-elles différentes ?

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En Belgique, le système des pensions repose sur trois piliers. Le premier correspond aux pensions légales (ou pension de retraite, de vieillesse), le second aux pensions complémentaires professionnelles ou extralégales et le troisième, aux pensions complémentaires individuelles, les fameuses "épargnes-pensions".

Dans cet article, nous ne nous intéresserons qu’au premier pilier. Chez nous, la pension légale est financée par les cotisations obligatoires et calculée sur base du statut (indépendant, salarié ou fonctionnaire nommé à titre définitif) et de la durée de la carrière du travailleur. Les travailleurs auront droit à une pension minimum après 45 ans de carrière (la pension sera calculée au prorata du nombre d’années prestées si les travailleurs n’atteignent pas les 45 ans de carrière. Ils devront cependant prouver au moins 30 années de carrière prestées ou assimilées). Mais en fonction du statut, vous n’êtes pas sans savoir que le montant de la pension variera.

Ainsi depuis le 1er janvier 2023, une carrière complète de 45 années permet aux indépendants ou à un salarié isolé de toucher une pension minimum de retraite de 1637 € brut/mois (2045,6 € bruts/mois pour un ménage). Et une pension minimum de 1684,58 € bruts/mois pour un fonctionnaire célibataire (2105,73 € bruts/mois pour un fonctionnaire marié).

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Si aujourd’hui l’écart minimum entre les pensions des différents régimes paraît peu important, c’est parce que le traitement des fonctionnaires n’a pas évolué en dehors des indexations ces derniers temps. Pour les indépendants et les salariés en revanche, c’est différent. Au-delà des indexations, le gouvernement a décidé en 2021 d’augmenter de 2,65% chaque année jusqu’en 2024 les allocations les plus basses et la pension minimum de ces deux régimes. La manœuvre a permis de passer d’une pension minimum de 1292 € bruts/mois pour un isolé (1614 € bruts/mois pour un ménage) en 2020 pour une carrière complète de 45 ans à une pension minimum de 1326 € bruts/mois pour un isolé (1657 € bruts/mois pour un ménage) en 2021 pour une carrière complète de nouveau.

En 2022, ces chiffres ont à nouveau été élevés à 1473,33 € bruts/mois de pension minimum pour un isolé ayant une carrière complète de 45 ans (1841,08 € bruts/mois pour un ménage) pour finalement arriver en 2023 aux montants indiqués plus haut.

Rappelons également qu’en 2021, les autorités supprimaient le coefficient de correction des indépendants selon lequel la pension proportionnelle d’un travailleur indépendant est un tiers inférieure à celle d’un salarié ayant un revenu équivalent.

Les restes du passé

Mais pourquoi ces calculs et montants minimum des retraites étaient-ils si différents ? Pour le savoir, il faut faire un grand bond dans le passé. "Historiquement, les salaires des fonctionnaires étaient moins élevés que ceux du secteur privé, à compétences égales", indique Pierre Pestieau, économiste et professeur émérite. En effet, dans les années 1830, l’État belge naissant n’a pas les moyens de concurrencer le secteur privé. "Alors pour essayer de compenser cette faiblesse de salaire, la Belgique a décidé d’augmenter les pensions des fonctionnaires en introduisant un système de traitement différé." Les indépendants de leur côté peinaient à gagner la confiance des législateurs. "Il y avait la tradition de sous-estimer ou de ne pas déclarer la totalité des revenus, raison pour laquelle leur système de sécurité sociale était moins bien traité", ajoute l’économiste. "Les indépendants cotisaient très peu et percevaient une très faible pension assise sur des revenus qui n’étaient pas sûrs."

Pour l’économiste Philippe Defeyt, il n’y a rien d’étonnant dans la vision de l’époque. "De manière générale, nous observons que l’État (belge, mais pas seulement, ndlr) s’occupe d’abord de donner une sécurité sociale aux fonctionnaires, ses propres travailleurs." Il s’agit même là des prémisses de la CGER, la caisse générale d’épargne et de retraite créée en 1865.

À la fin de la Seconde guerre mondiale en 1944, c’est un système de sécurité sociale du secteur public plus abouti qui voit le jour en Belgique avec l’arrêté-loi de Van Acker. l’époque s’est posée la question de savoir si on allait faire un régime de sécurité sociale unique, notamment en matière de pension", reprend Philippe Defeyt. "Mais la réponse a été non. A la sortie de la guerre, les organisations d’indépendants avaient une structure démographique plus favorable que les salariés. Les indépendants ont préféré rester de leur côté et bénéficier de leur propre sécurité sociale parce qu’ils pensaient qu’ils paieraient plus cher si on créait une sécurité sociale unique."

Mais voilà, selon les économistes, ce qui était valable à l’époque ne l’est plus forcément aujourd’hui. "Le problème c’est qu’au cours du temps, les indépendants ont cotisé plus et la différence de salaire entre les fonctionnaires et le secteur privé s’est résorbée", affirme Pierre Pestieau. "De surcroît, les fonctionnaires disposent d’un métier sûr alors que les salariés, même s’ils ont signé un CDI, sont toujours exposés à un licenciement. On se demande où est la justification d’une retraite plus élevée."

"C’est d’autant plus idiot que nous ne sommes plus dans une époque où les gens font carrière dans un seul et même régime de sécurité sociale", ajoute Philippe Defeyt. "Aujourd’hui, il est de plus en plus fréquent de rencontrer des personnes qui ont été indépendantes, salariées et fonctionnaires au cours de leur vie professionnelle."

Selon lui, il faudrait progressivement aligner les retraites des fonctionnaires sur celles des indépendants et des salariés. " Supprimer progressivement les avantages des fonctionnaires permettrait de régler une partie du déficit du système de retraite." En revanche, "aligner les pensions des indépendants et des salariés sur celles des fonctionnaires est budgétairement impossible. Le système exploserait." Une remarque à laquelle Philippe Defeyt adhère aussi. "La seule chose que l’on a pu faire jusqu’à présent, c’est rapprocher les modes de calcul. Il faudrait que la pension soit proportionnelle aux cotisations payées ou que l’on aligne tout le monde autour de 65 ou 70% du salaire perdu. La réforme tiendrait la route en termes d’équité entre les travailleurs."

Pour Koen Vleminckx, directeur de la recherche au Service Public Fédéral Sécurité Sociale au sein du Ministère belge des Affaires Sociales, une intégration totale des indépendants avec le régime des salariés est difficilement envisageable, même à long terme. "Les indépendants présentent un autre profil de risque que les salariés. Le groupe est caractérisé par une importante inégalité interne des revenus dans laquelle une grande part des assujettis paient des cotisations sur des revenus professionnels qui sont inférieurs aux salaires minimums (les seuils planchers réels effectifs dans le régime des salariés) tandis que la signification de ‘revenu' est différente pour un indépendant et pour un salarié. Malgré la nécessité de poursuivre la convergence, ces différences justifient le maintien – même y compris à plus long terme – d’un système particulier distinct de dispositions de pension pour les indépendants, qui est également géré au demeurant en collaboration avec les organisations de travailleurs indépendants."

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