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Pourquoi Loyle Carner est la meilleure chose qui soit arrivée au rap depuis longtemps

Loyle Carner a sorti son troisième album "hugo" le 21 octobre 2022.

© Jack Davison

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Par Renaud Verstraete

En réalité, cet article aurait déjà pu être écrit il y a plusieurs années. Cette fois pourtant, c’est indéniable : Loyle Carner est définitivement rentré dans la cour des grands. Son nouvel album "hugo", sorti vendredi dernier, est une réussite éclatante qui assoit encore un peu plus l’ascendance du rappeur anglais de 28 ans sur la scène hip-hop britannique.

Tout a sans doute déjà été écrit sur le parcours singulier de ce gamin hyperactif, passionné de cuisine et de foot, qui, en l’espace de 5 ans, s’est imposé dans un milieu qui l’a vu débarquer comme une brebis égarée.

Loin des clichés de la drill, Loyle Carner a soigneusement laissé les mots crus et les histoires de rues à ses contemporains londoniens, préférant aborder ses réflexions identitaires avec une authenticité et une intelligence rares. Véritable gentleman-rappeur, c’est d’ailleurs ce pas de côté qui lui avait valu d’être nominé au Mercury Prize pour son premier album "Yesterday’s Gone" en 2017.

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Lucky winner

Outsider, Benjamin Coyle-Larner l’a toujours été. Hyperactif et diagnostiqué pour des troubles de l’attention, c’est en inversant les deux premières lettres de son patronyme que Coyle devient Loyle. Élevé par sa mère Jean, à qui il rend hommage à plusieurs reprises sur ses deux premiers albums, il a grandi en étant le seul homme noir de sa famille. Sans contact avec son père d’origine guyanaise, Loyle Carner se retrouve très jeune confronté aux difficultés du métissage dans une société londonienne impitoyable. Ces questions sont au cœur de son dernier essai, "hugo".

Dès son plus jeune âge, Carner se révèle être un touche-à-tout et trouve son salut dans la cuisine et l’écriture. Deux talents qu’il combine d’ailleurs sur le morceau "Ottolenghi" sorti en 2019 dédié au chef israélien Yotam OttolenghiEt parce qu’il ne fait rien comme les autres, Loyle Carner a ouvert sa propre école de cuisine à vocation sociale destinée aux jeunes atteints de TDAH.

S’il a fait de son flow décontracté son plat signature, Loyle Carner ne peut aujourd’hui plus se cacher derrière son image de gendre idéal de la scène hip-hop. Fini l’insouciance des débuts, Carner est aujourd’hui sommé de monter au créneau. Comment tenir tête à la pression lorsque l’on est attendu au tournant ? Sa réponse se nomme "hugo" et elle est tout simplement brillante.

When I was younger, yo, I wanted to be famous
Now that I’m older, yo, I wish that I was nameless.

Introspectif et extraverti

Si Loyle Carner dépeint si bien les questionnements universels qui émanent du quotidien, c’est parce qu’il a besoin de les vivre avant de pouvoir les écrire. Là réside peut-être le secret de son authenticité. Ces dernières années, il a fait deux voyages en Guyane dont un avec son père biologique qui n’était jamais allé dans le pays natal de sa famille. Entre-temps, Loyle Carner est devenu père. Ces évènements ont bouleversé la vie du rappeur et ont contribué à façonner "hugo", son petit dernier, sorti le 21 octobre dernier. 

Dès l’ouverture, sur le puissant "Hate", Carner assume un nouveau visage, plus sombre, plus violent, plus engagé aussi. Fini de jouer les nice guys : tour à tour, il tacle avec justesse le racisme ordinaire, le système éducatif et un plafond de verre qu’il fait voler en éclat : "They said it was all that you could be if you were black, Playing ball or maybe rap, and they would say it like a fact, All my people in the back, all the nurses in the front, All my teachers, where you at ?

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Sur "Georgetown", qui tire son nom de la capitale du Guyana, Loyle Carner revient sur l’absence de son père et sur ses troubles d’appartenance. "Yeah, I’m black like the key on the piano, White like the keys on the piano" clame-t-il. 

L’artiste effectue ainsi une dissection intime des conflits internes qui l’animent sans jamais perdre de vue la société dans laquelle il évolue. Tout au long de l’album, il effectue des allers-retours constants qui donnent à voir le monde à travers les points de vue qui sont les siens : un homme métisse, un artiste devenu influent, un père, un fils. De micro à macro, derrière son micro, Loyle Carner examine à la loupe la complexité de la société dans laquelle il évolue, des relations familiales entremêlées aux larmes d’un monde marqué par des dissensions inégalitaires. 

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Le rappeur préféré des gens qui n’aiment pas le rap

Mais qu’a-t-il de plus que les autres ? Ce n’est pas tant son flow, sa technique ou les histoires qu’il raconte. Ce n’est pas tant sa communication, l’effervescence de ses concerts ou son sourire communicatif. Au-delà de son authenticité touchante, Loyle Carner a toujours mis un point d’honneur à faire de sa mixité un leitmotiv jusque dans la musique qui colore ses textes. 

A travers ce nouvel album, Loyle Carner reflète une nouvelle fois toutes les nuances de la scène londonienne qui l’a vu naître. Une scène où évoluent des MC’s, des pianistes de Jazz, des punks et des beatmakers. Après avoir collaboré avec le gratin de la scène néo-soul (Tom Misch, Jordan Rakei, Jorja Smith), Carner convoque cette fois les beats de Madlib et les accords magistraux du pianiste néo-jazz Alfa Mist, qui a signé l’année dernière un album remarquable.

Plus que son prédécesseur, "hugo" renoue avec les influences jazz qui avaient forgé la réputation du jeune londonien. Production, musicalité, écriture, exécution : tout y est.

Aujourd’hui, Loyle Carner est devenu le rappeur préféré des gens qui n’aiment pas le rap. Et ce n'est pas un hasard. De la même manière, il constitue une porte d’entrée idéale vers le jazz et les musiques improvisées. Il rend ainsi un fier service à la scène en concernant les publics et en élargissant leurs horizons. En cela, Loyle Carner est la meilleure chose qui soit arrivée au rap depuis longtemps.

 

 

Loyle Carner sera en concert chez nous les 25 et 26 janvier 2023 à l’Ancienne Belgique.

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