Un jour dans l'histoire

Pourquoi Marcel Thiry et 300 militaires belges ont-ils rejoint l'armée russe en 1915 ?

Un Jour dans l'Histoire

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Par La Première via

À l'image du poète et politicien Marcel Thiry, environ 300 militaires belges ont combattu aux côtés des cosaques de l'armée du Tsar Nicolas II pendant la Première Guerre mondiale. Itinéraire de soldats confrontés aux horreurs des combats, sur un front de la Grande Guerre, moins médiatisé en Occident, dans Un Jour dans l'Histoire.

6 avril 1915 : un certain Marcel Thiry s'engage dans l’armée belge pour rejoindre Oscar, son frère aîné.

Celui qui deviendra célèbre pour ses qualités de poète et qui se dressera comme une figure majeure du militantisme wallon se retrouve au sein du Corps expéditionnaire belge des Autos-canons-mitrailleuses ACMIl croyait partir pour l’aventure, il va se retrouver au cœur d’un conflit dont il n’avait pas imaginé les pires aspects.

En 1005 jours, lui et plus de 300 autres militaires belges vont faire le tour du monde. De Brest à New York, en passant par Petrograd, Kiev et Moscou, ils combattront sous commandement russe.

Françoise Lempereur, titulaire des cours de patrimoine culturel immatériel Département Médias, culture et communication à Université de Liège, a réalisé un film sur cette aventure aussi incroyable que terrifiante. Il s'appuie sur de nombreux témoignages vidéo quand elle travaillait pour la RTBF, et sur la correspondance entretenue entre Marcel Thiry et ses parents restés à Liège. Soldats belges dans l’armée du Tsar est présenté au Festival du film historique de Waterloo.

Long périple et rencontre avec le tsar avant d'atteindre le front

L'arsenal militaire se développe considérablement lors de la Première Guerre mondiale. Un nouveau corps, avec des autoblindés, est formé derrière le front de l'Ouest, à Versailles. 

Marcel Thiry, qui a fui par les Pays-Bas avant de rejoindre la France par la Manche, intègre ce corps militaire, envoyé d'abord sur le front de l'Yser. Mais les véhicules ne sont pas adaptés pour une guerre de position, dans les tranchées. L'attaché militaire russe auprès du roi Albert Ier a donc une idée : il fait une visite des autos-canons et estime qu'ils seront plus efficaces pour la guerre de mouvement qui se tient sur le front de l'Est. 

Le roi chevalier accepte d'envoyer les 10 blindés, suivis par des camions et ambulances. Une aubaine pour la Russie. "C'était un corps extraordinaire vraiment très organisé. Il y avait des vélos, des motos qui servaient d'estafettes, des camions avec des pièces de rechange et du carburant, de la cantine" détaille Françoise Lempereur. Le tsar n'avait donc rien à ajouter comme moyens humains et technologiques à ce grand bataillon.

Le 21 septembre 1915, les quelques 300 Belges quittent Brest, sur un navire anglais. Direction la Russie. Après un long périple relaté dans la correspondance de Marcel Thiry, ils accostent à 700 kilomètres de Petrograd, l'ancien nom donné à Saint-Pétersbourg. Ils sont casernés dans... le palais d'été du tsar Nicolas II. Le frère de Marcel, Oscar, rencontre même le tsar en personne lors d'une revue de troupes.

Après trois mois d'exercices, ils partent enfin pour le front, en Galicie, une région disputée par les Russes et les Austro-Hongrois.

Les auto-canons-mitrailleuses Minerva belges ont servi lors de la bataille de l'Yser et en Russie.
Les auto-canons-mitrailleuses Minerva belges ont servi lors de la bataille de l'Yser et en Russie. © Tous droits réservés

L'exemple des militaires belges aux Russes

L'aide belge est bienvenue. Pour cause, environ 15 millions de Russes sont mobilisés entre 1914 et 1917. Mais l'armée est plutôt vulnérable. Elle paie un lourd avec environ 2 millions de morts. Un véritable écho à l'actualité d'après Françoise Lempereur"Ceux qui sont engagés ne sont absolument pas formés au combat et ils n'ont pas l'équipement non plus. Des gens viennent de partout dans la grande Russie du tsar, y compris des gens qui habitent dans des zones très chaudes. Se retrouver en plein hiver dans les plaines de Galicie qui sont très sèches avec parfois moins de 40 degrés, c'est évidemment mortel pour eux déjà. Et comme ils n'ont pas d'équipements et ne sont pas formés, c'est vraiment de la chair à canon".

Les Belges se démarquent lors des combats dans cette région située dans l'actuelle Pologne. Un respect mutuel s'établit même avec les cosaques du tsar. "Tous les Belges admirent les cosaques car ce sont d'abord des gens très vigoureux, qui montent à cheval de façon spectaculaire parce qu'ils sont parfois debout sur leurs chevaux. Ils n'ont peur de rien et ce sont eux qu'on envoie en première ligne, mais ils s'en sortent" explique la maître de conférences de l'ULg. "Ces gens sont quelque part hors normes par rapport à l'armée russe. C'est pour cela que les Belges sympathisent avec eux et considèrent qu'ils sont leurs égaux alors que les pauvres moujiks, qui n'ont pas d'équipements et ne sont pas entraînés à l'armée, on les méprise".

L'offensive Broussilov, première à laquelle participent Marcel Thiry et le Corps expéditionnaire belge, a été victorieuse. "C'est-à-dire que les Belges les ont aidé à avancer et les Russes ont gagné du territoire sur la Galicie parce qu'ils avaient en face d'eux, il faut le dire, des Austro-Hongrois qui n'étaient pas très performants. Quand les Allemands viendront, ce sera différent".

Jusqu'au tournant de la Révolution

Le Corps expéditionnaire des ACM sera ensuite malmené. Du 13 août au 2 septembre 1916, ils participent à de violents combats dans la région Zboriv, dans l'Ukraine actuelle.

Près du village de Koniouki se déroule une bataille sanglante. On compte plusieurs morts parmi les Belges, des autocanons sont détruits, et Oscar est blessé par un éclat d'obus dans le crâne. Marcel Thiry, dans sa correspondance, se rend dans un hôpital et "se rend compte de la fraternité entre des gens qui au départ, n'ont rien de communs, car il y a beaucoup de Russes évidemment, amis d'autres nationalités aussi".

Les Allemands sont venus en renfort. C'est la débâcle pour l'armée russe, qui veut une paix anticipée après l'éclatement de la révolution de février 1917. Les Belges l'apprennent deux jours après l'abdication du tsar. "Ils voient seulement, et c'est étrange, que les soldats russes prêtent serment au drapeau rouge. C'est quelque chose auquel ils ne s'attendaient pas. Il y a un autel avec un prêtre qui fait un serment presque religieux, au drapeau rouge. C'est la première évolution car on sait que la deuxième avec Trotski et Lénine sera beaucoup plus radicale" indique Françoise Lempereur.

De la retraite... au triomphe

Le roi Albert ordonne aux ACM de regagner la France. Mais les Belges font face à la méfiance du nouveau pouvoir russe. Ils peuvent partir, mais à une condition, d'être désarmés car "les bolcheviks ne veulent absolument pas envoyer des Belges armés dans l'extrême orient où il y a des russes blancs, pro tsaristes car c'est très dangereux. À Omsk, on arrête leur train. On les fouille et on ne trouve pas les armes qu'ils ont dissimulées, mais ils devront faire un serment comme quoi ils n'utiliseront pas les armes pour protéger les blancs contre les rouges".

Dans un train chinois, ils atteignent Vladivostok le 23 avril 1918, après 62 jours et 10.000 km de trajet. Un transporteur de troupes américain les emmène vers San Francisco.

Marcel Thiry et ses compatriotes paradent dans les rues américaines, car ils servent de propagande à la formation de l'armée US. "Entrée en guerre en 1917, l'armée américaine compte venir défendre en Europe les Belges et les autres, mais il n'y a pas de grande armée américaine à l'époque. On doit lever des troupes et on montre les Belges comme exemple aux Américains" explique encore la maître de conférences en patrimoine culturel immatériel.

Ils rentrent en France le 24 juin 1918 et sont démobilisés en 1919. De ce Corps belge en Russie, peu raconteront les horreurs à leurs descendants. Quinze Belges ont laissé la vie sur les champs de bataille russes. Ils sont enterrés à Ternopil, en Ukraine. Une quarantaine en sortiront blessés.

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