Originaire de Quievrain, Philippe vit dans la rue à Liège depuis 4 mois. Toxicomane, cet ancien chauffeur routier fait la manche dans la rue des Guillemins. Et quand il fait froid, il préfère quand même dormir dehors plutôt que dans un abri de nuit. "La plupart du temps je dors à la rue parce que dans les abris de nuit bien souvent, on tombe avec des gens qui dorment pas, qui font du bruit, qui ronflent, qui déplacent les lits. En plus, à 7 heures, on est levé. Et quelqu’un qui est comme nous à la rue quand il fait du froid ainsi à 7 heures du matin, que voulez-vous faire ? Moi, je dors près d’un home. Au bord du chemin, il y a un petit toit et je mets deux, trois couvertures, mon sac de couchage et je vais dedans."
Dans les abris, il y a des gens qui ne dorment pas, qui ronflent, qui volent…
Comment on supporte le froid ? "Il faut être bien équipé. Moi j’ai un sac de couchage de l’armée. Il peut descendre jusque -25 degrés. Avec le froid, si vous avez froid aux pieds, on ne sait pas dormir !" Pourquoi ne pas aller dans un abri de nuit alors ? "Une fois j’ai été trois jours dans un abri de nuit. Je sortais de l’abri de nuit, j’allais quelque part, je m’endormais sur la table. Je n’ai pas dormi. Et puis parfois ils sont remplis.Certains sont prioritaires."
"Et il y a les vols", ajoute Stephane, son compagnon de rue. "On se fait voler nos godasses, notre portefeuille, notre gsm…"
"Je préfère dormir dehors dans un coin. Je me sens pas plus protégé mais je peux me réveiller à l’heure que je veux", explique Philippe. "J’ai déjà dormi dans le parking des Guillemins. Ça craint. Il vaut mieux être à plusieurs qu’être seul. Heureusement, il y a des abris de nuit qui donnent des couvertures quand ils en ont. Il y a des 'sentinelles' qui passent la nuit avec du manger. Mais quand on voit descendre les températures jusque moins cinq, on panique quand même."
Depuis novembre, Liège a déclenché 3 fois le plan "froid morbide"
A Liège, la ville a déclenché mardi le plan "froid morbide". Des lits supplémentaires sont accessibles aux SDF dans les 4 abris de nuit de Liège et Seraing. Une mesure prise dès que la température descend en dessous des moins 3 degrés. C’est la troisième fois depuis novembre. Le but : ne laisser personne dormir dehors contre son gré en période de froid intense. Les travailleurs de rue ont pour mission d’avertir les sans-abri que cet accueil leur est garanti.
Dans la nuit de mardi à mercredi, tous les 106 lits étaient pour la première fois tous occupés. Mais toutes les demandes ont pu être rencontrées. En cas de saturation, certains locaux peuvent être ouverts en plus comme le hall sportif du parc Astrid et ses 30 lits. En dernier recours, la ville peut réquisitionner des chambres d’hôtel. Pourtant, mardi, Christophe, un sdf était découvert mort dans une rue du centre-ville de Liège.
"Christophe, le SDF décédé mardi en rue à Liège, n’est pas mort de froid"
Selon le directeur du Relais social du pays de Liège, Adrien Fievet, cette personne de 46 ans était malade depuis des années et était bien connu des services psychosociaux. "Il avait fait un séjour à l’hôpital récemment. Je ne connais pas les causes exactes de sa mort mais il n’est pas mort de froid. Il est mort en journée, comme on dit dans le métier, des conséquences de sa vie à la rue. C’est-à-dire de l’accumulation de soucis sanitaires dus à la toxicomanie, la surconsommation d’alcool et les assuétudes… Dus aux manques de soins parce que ces personnes bien qu’encouragées à rejoindre les structures de soins, laissent parfois leurs plaies s’infecter. Connaissant bien sa situation, nous avions averti tous les usagers potentiels de l’ouverture des structures d’accueil. A Liège, le mot d’ordre est personne ne dort dans la rue contre son gré quand il fait très froid." Ça veut dire que s’il l’avait demandé, il aurait pu dormir dans un abri de nuit ? "Exactement."
On estime entre 750 et 800 le nombre de SDF à Liège dont un tiers vit dans la rue
Difficile de donner des chiffres précis concernant le nombre de sans domicilie fixe. A Liège, 540 personnes ont un RIS, un revenu d’insertion sociale avec le CPAS comme adresse de référence. Il faut compter aussi les personnes qui vivent sans abri et qui sont au chômage, qui touchent une petite retraite ou une allocation de handicapé. Et puis il y a ceux qui ne sont inscrits nulle part. D’où cette estimation de 750 à 800 personnes pour Liège. Et parmi elles, on estime en général qu’un tiers vit dans la rue. La ville de Liège a récemment lancé un premier recensement plus systématique des sans-abri.
En novembre, une première expérience de comptage a eu lieu au centre-ville et aux Guillemins pour dénombrer précisément les personnes qui dormaient dehors cette nuit-là. L’opération qui couvrait une partie de la ville a recensé une soixantaine de sans-abri dont 29 dans le quartier des Guillemins. La méthodologie du comptage doit encore être adaptée pour mieux cerner à terme l’ampleur du phénomène du sans-abrisme à Liège.