Pourquoi un Flamand sur quatre envisage-t-il de voter Vlaams Belang ?

Depuis les élections de mai 2019, le Vlaams Belang ne cesse de croître dans les sondages. Selon le dernier en date, 24,5% des Flamands voteraient Vlaams Belang. Comment expliquer ce succès ? Et pourquoi un quart des citoyens du Nord du pays comptent-ils voter pour ce parti d’extrême droite ?

"Nos gens d’abord", vote de contestation, peur de l’autre, nationalisme… Il existe de multiples raisons qui expliquent pourquoi 18% des Flamands ont voté Vlaams Belang lors des dernières élections. Le documentaire du Centre d’action laïque "Sur la voie du compromis" donne la parole aux électeurs du parti de Tom Van Grieken pour mieux comprendre leurs motivations.

Vote de contestation

"Frank Vandenbroucke est devenu ministre de la santé alors qu’il ne s’était présenté sur aucune liste. De quel trou est-on allé le rechercher ? Désolé, mais il a brûlé des caisses noires de l’État. Et d’un coup, il se retrouve ministre ! Ça ne devrait pas pouvoir arriver", s’insurge Sigrid Rombouts.

Le témoignage de cette ancienne militaire anversoise de 55 ans illustre un sentiment fortement présent chez les électeurs du Vlaams Belang, selon Benjamin Biard, chargé de recherches au CRISP : "Il peut s’agir d’un vote sanction qui exprime une certaine frustration : une partie de la population n’a plus confiance dans les institutions démocratiques et le fonctionnement même de la démocratie."

Symptôme d’un mal démocratique qui tend à s’amplifier

Sigrid vote plutôt pour des personnalités que pour un parti. Elle trouve par exemple que Raoul Hedebouw du PTB "parle bien et a de bonnes idées" avant d’ajouter : "En fait, les partis politiques ne devraient pas exister."

Sigrid, ancienne militaire à la retraite, vit à Peer, entourée de ses 6 chiens et de ses chevaux. Elle vote Vlaams Belang, car elle est contre les profiteurs.
Sigrid, ancienne militaire à la retraite, vit à Peer, entourée de ses 6 chiens et de ses chevaux. Elle vote Vlaams Belang, car elle est contre les profiteurs. © Centre d’action laïque

Le politologue Benjamin Biard confirme cette tendance anti-politique auprès des électeurs pour des partis extrêmes : "Les électeurs du Vlaams Belang et du PTB sont ceux qui ont le moins confiance dans le fonctionnement démocratique actuel. C’est par ailleurs un symptôme d’un mal démocratique assez important qui n’est pas nouveau, mais tend qui à s’amplifier en Belgique, et ailleurs en Europe."

Dans sa rhétorique, le Vlaams Belang tire profit de son caractère anti-establishment pour rassembler les voix des électeurs frustrés, explique Benjamin De Cleen, professeur spécialiste des communications des partis populistes : "Le Vlaams Belang dit qu’il représente la voix du peuple. Ils disent ce que vous pensez, ils parlent au nom des gens. Et l’élite, là-haut, elle n’écoute pas. Ils sont les victimes de l’establishment, du régime belge et de l’élite."

Le professeur précise ce que les électeurs du VB considèrent comme "élit " : "Virologues, partis traditionnels, journalistes, notamment ceux des services publics comme la VRT,… Ils font tous partie de l’élite."

Incompris

Le cordon sanitaire autour du Vlaams Belang vient renforcer à ce sentiment d’être incompris ou rejetés par l’élite, selon Sigrid : "C’est anti-démocratique. 800.000 personnes ont voté pour le Vlaams Belang et on ne les écoute pas."

Terme issu au départ de l’agriculture, le cordon sanitaire consiste en l’isolation d’une partie du bétail pour éviter qu’une peste ou virus ne se propage dans le reste du troupeau.

Inquiété par la montée du Vlaams Blok lors du dimanche noir de 1991 et par son programme, le député écologiste flamand Jos Geysels et cinq autres parlementaires déposent une proposition de résolution le 19 novembre 1992 au Conseil flamand (l’ancien Parlement flamand). Ce texte constitue la base de ce que l’on appelle aujourd’hui le "cordon sanitaire".

Le cordon sanitaire un cadeau pour la propagande du Vlaams Belang

Près de 30 ans après l’introduction de cette mesure, le cordon sanitaire résiste : le Vlaams Belang n’a encore jamais fait partie d’une coalition, et ce, à n’importe quel niveau de pouvoir.

Pourtant, Benjamin De Cleen estime que le cordon sanitaire a des effets secondaires néfastes : " Entre les élections de 1991 et 2004, le Vlaams Belang n’a cessé de grandir alors qu’il y avait un cordon sanitaire… Ça ne marche pas. Cela renforce aussi le Vlaams Belang dans un rôle de victime. C’est donc un cadeau pour la propagande du Vlaams Belang."

Peur de l’étranger

"Dans mon école primaire, il y avait déjà pas mal d’enfants d’origine étrangère. La situation s’est maintenant inversée : sur vingt élèves, deux sont blancs, tous les autres sont d’origine étrangère. Dans 20-30 ans, il y aura plus d’étrangers que de Flamands. C’est une menace pour notre culture", témoigne Jolien De Preter, électrice du Vlaams Belang.

Comme elle, bon nombre d’électeurs du Vlaams Belang se sentent menacés par la montée du multiculturalisme. En janvier 2021, le président Tom Van Grieken mettait d’ailleurs en garde contre les dangers de l’"omvolking", le Grand remplacement. Sur Twitter, Tom Van Grieken a réagi à un article de janvier 2021 qui relate qu’un tiers des Flamands a des origines étrangères : “Le grand remplacement, ça va vite.”

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"Omvolking" provient au départ de l’allemand "Umvolkung", un terme apparu sous l’idéologie nazie pour décrire un processus de substitution du peuple allemand par un peuple étranger, ce qui constitue une manière d’oublier leur propre langue et origine.

Après la publication du tweet et l’indignation suscitée par le terme "omvolking", Tom Van Grieken s’est défendu sur HLN : "L’indignation ne doit pas se concentrer sur ce terme, mais sur les statistiques. J’ai aussi demandé à différents journalistes quel terme utiliser pour décrire une population autochtone qui se fait remplacer au fil du temps par des nouveaux Flamands. Donnez-moi un autre terme et je l’utiliserai, mais le terme "omvolking" décrit assez bien ce phénomène."


►►► À lire aussi : Les électeurs du Vlaams Belang sont-ils tous racistes ?


Dans le documentaire, Jolien explique aussi que les gens peuvent exercer la religion qu’ils veulent chez eux, mais cela ne doit pas avoir d’impact sur sa manière de vivre. Pour elle, pas question de bourkini : ça va à l’encontre du droit des femmes. Pas question non plus de nourriture halal dans les hôpitaux ou les écoles, mais ils peuvent le faire dans un pays musulman.

Jolien, assistante administrative de 28 ans à Sint -Niklaas, a peur du "Grand remplacement".
Jolien, assistante administrative de 28 ans à Sint -Niklaas, a peur du "Grand remplacement". © Centre d’action laïque

Attachée aux traditions, Jolien ne veut pas que sa culture soit modifiée : "Les Flamands ne sont pas forcément chrétiens mais ils ont des racines chrétiennes. On nous a éduqués comme ça à l’école. Les jours fériés flamands comme Pâques ont par exemple un lien avec la chrétienté. Père fouettard et Saint-Nicolas font partie des fêtes flamandes. C’est important de rester fiers de qui nous sommes et non pas de s’en cacher. "

Anti-islam

Dans son programme anti-immigration, le Vlaams Belang cible particulièrement les musulmans comme la cause de nombreux maux de la société. Un exemple récent : en mai 2021, quatre membres de Voorpost, la milice du Vlaams Belang, ont été condamnés à six mois de prison (avec sursis). La raison ? Ils ont manifesté en mai 2020 et ont brandi des pancartes avec le slogan “Stop islamisering”, “Halte à l’islamisation”.

Raf Torfs, patron du café nationaliste flamand De Klokke à Duffel, est outré : "Cette condamnation est totalement injuste. Quatre personnes portent innocemment une bannière “halte à l’islam”, ou plutôt “halte à l’islamisation”, c’est la même chose. Qu’y a-t-il de dangereux à ça ?"

Thierry Kochuyt, professeur en sciences politiques aux facultés de Saint-Louis et auteur du livre "Ongehoord populisme", estime que le Vlaams Belang instrumentalise la religion pour marquer la différence avec la communauté musulmane : "On cherche à essentialiser la différence. Au lieu de voir que tous sont dans le même navire : polariser, bétonner la différence entre eux et nous."

Selon Raf Torfs, la justice devrait plutôt se concentrer sur les mouvements radicaux islamistes : "Comment ça se fait qu’ils n’arrêtent pas les vrais terroristes ? Tu sais quand ça arriverait ? Les terroristes devraient tuer un ministre ou un des enfants du Roi Philippe. Ça pourrait aider, j’en suis convaincu."

Nationalisme

Derrière le comptoir, Raf porte une chemise noire avec l’inscription jaune “Flandre”. Dans son café, on est littéralement dans la fosse aux lions. Tout est flamand, on sert de la Vlaamsche Leeuw, les verres sont tous estampillés du lion flamand. De nombreux objets liés au mouvement flamands y sont exposés.

Raf fait partie du noyau dur du Vlaams Belang. Fils et petit-fils de combattants aux côtés des troupes allemandes, il plaide pour l’amnistie des collaborateurs. Il a grandi dans une famille nationaliste flamande. Chez certains électeurs, on vote pour le Vlaams Belang de génération en génération. Alors que le thème de l’immigration ne s’est imposé qu’à partir des années 80 dans le programme du VB, l’indépendance de la Flandre est une des valeurs fondamentales du parti.

Raf, patron du café nationaliste De Klokke à Duffel, fait partie du noyau dur de l’électorat du Vlaams Belang.
Raf, patron du café nationaliste De Klokke à Duffel, fait partie du noyau dur de l’électorat du Vlaams Belang. © Centre d’action laïque

Pourtant, il semblerait que l’indépendance de la Flandre ne soit plus LA raison de voter pour le Vlaams Belang ou un autre parti nationaliste. Une étude consultée par Knack montre par exemple que seulement 1 électeur sur 4 de la N-VA veut l’indépendance de la Flandre. Alors que le gouvernement Michel avait mis le communautaire au frigo, 16% des électeurs flamands veulent que leur nation se sépare de la Belgique.


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Même si Raf est pour l’indépendance de la Flandre, il reste lucide : une indépendance pure et dure sera difficile à atteindre. Alors, il adapte les plans : "Je suis pour une Flandre indépendante. Si besoin, au sein de la Belgique. Malheureusement, on ne pourra pas faire autrement à cause de nos propres ministres flamands : ils trahissent constamment la Flandre, et maintenant Bart De Wever s’y met aussi."

Raf précise ce qu’il entend par une Flandre indépendante au sein de la Belgique : "La Flandre décide de payer seulement ses propres dépenses. Si la Wallonie et Bruxelles veulent vivre au-dessus de leurs moyens, qu’ils le fassent ! Mais plus avec nos milliards ! Si la Wallonie souhaite que la Flandre soit remplie d’étrangers d’Europe de l’Est ou de pays islamiques, alors, qu’on les envoie à Liège, Namur ou Charleroi…"

Le très populaire Tom Van Grieken

L’arrivée de Tom Van Grieken à la tête du Vlaams Belang a insufflé un nouvel élan au parti. En cinq ans, le parti d’extrême droite a réussi à tripler le score de son parti qui est ainsi devenu le deuxième parti en FlandreSelon les derniers sondages, il deviendrait même le premier parti au nord du pays.

Quand il a commencé son mandat à 28 ans en 2014, Tom Van Grieken était le président de parti le plus jeune de Belgique. Grâce à l’aide de son compagnon de route Bart Claes, il a rajeuni et policé l’image du parti tout en changeant sa stratégie de communication.

Sigrid soutient depuis le début de Tom Van Grieken : "Je vote Vlaams Belang, car Tom Van Grieken prône le slogan 'Nos gens d’abord'. On le qualifie de raciste, mais c’est une perception erronée : il est contre les profiteurs."

Le Vlaams Belang était le premier parti à investir massivement sur les réseaux sociaux. Quelques années plus tard, plus de 500.000 personnes aiment la page Facebook du Tom Van Grieken et plus 600.000 celle du Vlaams Belang. C’est plus que la page de la VRT ou VTM.

En créant son propre média et sa propre app, le Vlaams Belang veut contourner les médias traditionnels et s’adresser directement à son public. Selon Reinout Van Zandycke, expert en communication politique, le parti fonctionne un peu comme une start-up : "Ils sont innovants, rapides et n’ont pas peur de commettre des erreurs."

Que se passera-t-il en 2024 ?

Vote de protestation, peur de l’autre, islamophobie, nationalisme… Les raisons de voter Vlaams Belang varient en fonction des personnes interrogées.

Même si les trois électeurs du Vlaams Belang interviewés dans le documentaire ne sont pas représentatifs de l’ensemble de l’électorat, ces rencontres permettent de mieux comprendre pourquoi un Flamand sur quatre envisage de voter pour le Vlaams Belang.

De son côté, Sigrid espère que le Vlaams Belang va obtenir encore un meilleur score lors des prochaines élections : "J’espère que le Vlaams Belang va récolter beaucoup plus de voix. Vu la situation actuelle, ce sera le cas. Ainsi, on ne pourra plus les nier, j’espère."

Poussé dans le dos par des sondages favorables, le Vlaams Belang aimerait accéder au pouvoir et ainsi briser le cordon sanitaire. Arrivera-t-il à concrétiser les bons résultats des sondages en 2024 ?

Benjamin De Cleen conclut : "Tom Van Grieken souhaite que son parti devienne incontournable, il le dit d’ailleurs en français. L’idée est de pousser la N-VA à s’allier avec le Vlaams Belang. C’est en partie ce qui est en train de se passer maintenant. Plus le Vlaams Belang grandit, plus il sera difficile pour la N-VA d’éviter ce scénario, surtout s’ils ont une majorité parlementaire. La N-VA serait alors confrontée à un choix difficile… "

À voir aussi #Investigation sur le Vlaams Belang :

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