Films, comics, pochettes d’album, vinyles ..., Christian Marclay travaille et questionne nos représentations visuelles du son à travers une œuvre dense actuellement exposée au Centre Pompidou, à Paris. Plongée dans la psyché d’un adepte du collage fou, nourri de pop culture.
Des projections vidéo murales de vinyles brisés, écrabouillés. Piétinés. Puis soudain, vingt mètres de vitrines abritant des dizaines de 33 tours recomposés, tels des monstres baroques et bariolés revenus à la vie. Les premiers mètres ouvrant la grande exposition de Christian Marclay au Centre Pompidou révulseront les fétichistes du vinyle. Nul ne cultive pourtant une obsession aussi viscérale du son - sous toutes ses formes possibles et imaginables - que cet artiste américano-suisse. Pionnier du scratch à la fin des années 70 (bien avant son avènement donc), ce témoin privilégié de la scène punk et no wave new yorkaise voit 230 de ses œuvres exhumées à Paris. Un voyage sonique dont on n’est pas vraiment revenu indemne.
" Un week-end, un copain m’a fait écouter sur la super chaîne hi-fi de ses parents le White Album des Beatles. À la fin du disque, avec Revolution 9 et son collage sonore à la Stockhausen, j’ai vraiment eu un choc. Je devais avoir 14 ans. " se rappelait Christian Marclay lors d’un entretien publié dans le magazine du Centre Pompidou. Huit ans plus tard, le post ado découvre, sur la scène du légendaire CBGB à New-York, le rock avant-garde de Laurie Anderson et la no wave de DNA. Difficile de ne pas trouver une résonnance entre ces deux moments de vie épiphaniques et Recycled Records, collection de vinyles grotesques accueillant le visiteur en préambule de ce parcours quasi rétrospectif.
Marclay, précurseur du scratch
Utilisés pour des performances live, ces 33 tours bâtards et balafrés se profilent comme des assemblages de morceaux de disques patiemment collés avec justesse et donc ... audibles ! Indication de la rythmique et du genre musical, bandes adhésives créant des sauts rythmiques, repères pour scratches ... Marclay transformait le disque (et la platine vinyle) en instrument à part entière en 1979. Se traduisant par son Phonoguitar en 1982 (hélas non exposé ici), cette démarche héritée des collages dadaïstes de Marcel Duchamp envahira le hip hop US à la même période. Puis le vieux continent.
" En voyant des scratcheurs américains il y a dix ans, ça m’a complètement retourné le cerveau. J’ai voulu en faire autant. Ca m’a sauté aux yeux, les platines devenaient un instrument à part entière ". Difficile de ne pas penser aux propos de Dee Nasty dans une interview que l’INA ressortait judicieusement à l’occasion de la sortie récente du Monde de demain, série événement sur NTM réalisée par ARTE et récemment diffusée sur Netflix.
Les puzzles de miettes de 33 tours des Recycled Records exposés à Paris ne se limitent pas à des montages soniques et bruitistes héritiers de John Cage. Volontiers graphiques, ils jouent également avec des visages de picture disc et des couches de couleurs de vinyles colorés. Un travail qui semble annonciateur de la suite de l’œuvre de Marclay.
Le sleevface cartonnait il y a dizaine d’années sur les réseaux sociaux. Consistant à poser le visage d’une pochette vinyle sur son corps, pour un photo montage plus ou moins réussi, cette pratique également appliquée à des paysages n’a rien inventé. Les Body Mix de Marclay nous le rappellent. Ce dernier cousait (!) ainsi, en 1990, plusieurs pochettes de vinyles pour réaliser des sortes de cadavres exquis. Accroché aux murs de la scénographie aérée de l’expo Marclay, on y croise Michael Jackson dans une pose langoureuse, en culotte rose transparente. Le visage de Debbie Harry y fusionne aussi avec celui de Prince tandis que la tête de Grace Jones s’y dresse sur un corps encore plus musclé que de coutume.
Ces mash up picturaux se découvrent avec un vrai bonheur pour l’amateur de musique qui y cherchera mille indices. Cette section qui joue souvent sur la figure de l’androgyne repose aussi sur deux clichés bateau des pochettes d’album que Marclay veut déconstruire. Soit des pin-up aux poses glamour et des chefs d’orchestre aux postures héroïques.
Cachez-moi ce Lion d’Or que je ne saurais voir
L’univers en expansion de Christian Marclay vogue toutefois bien au-delà des montages visuels et sonores présentés dans la première partie de son exposition. On y découvre ainsi des fragments de Graffiti Composition, un projet qui l’a amené à coller 5000 affiches de portées musicales vierges dans les rues de Berlin en 1996. Attendant patiemment qu’elle se recouvrent de tags, Marclay en a enfin retenu 150 pour créer une composition.
Au-delà de ce projet quasi street art, on retiendra de ce dernier, une pluralité étourdissante de son œuvre qui claudique entre peinture, vidéo, installation, photographie et cinéma. Couronné d’un prestigieux Lion d’or à la 54e Biennale de Venise, The Clock (2010) un long métrage de 24 heures composé de milliers d’extraits de films n’est pas évoquée, ici. Car l’artiste le considère comme un fardeau ayant vampirisé le reste de son œuvre.
Pour autant, le rapport de Marclay au cinéma et à la vidéo reste saillant sur le parcours de Pompidou. Video Quartet s’y déroule comme un court métrage aux airs de composition unique basée sur 700 extraits de films montrant des acteurs chantant ou jouant d’un instrument. Tel un DJ, Marclay rassemble aussi des extraits de films représentant des passages de porte sur son récent Doors. Agé aujourd’hui de 67 ans, ce chasseur de sons joue aujourd’hui encore avec des réseaux sociaux sur smartphones. All Together s’étire ainsi comme une série téléphones disposés en demi-lune diffusant 400 Snaps public soigneusement séquencés par l’artiste. Une demi ellipse on ne peut plus logique lorsqu’on sait que l’artiste a commencé à explorer le cinéma en exprimant son obsession pour les coups de fils analogiques dans Téléphones.
Pour le parfait béotien sensible à la musique, l’expo de Christian Marclay s’ouvre comme un parenthèse idéale. Si sa démarche sonique est pointue, son usage massif d’objets du quotidien comme matériel de base l’ouvre à une vulgarisation bienvenue. Fasciné par les ready made de Warhol, Marclay cultive en outre un sens de la démesure spectaculaire prompt à réveiller l’intérêt du visiteur. Sur un plateau du parcours, des instruments de musique démesurés laissent rêveur. Drumkit, un set de batterie anormalement haut y côtoie ainsi Virtuoso, un accordéon zig-zaguant sur sept mètres. Plus loin, sa passion des onomatopées de comics et de manga se vit en longeant Zoom Zoom, une partition longue de 20 mètres. Sans divulgacher le clou de la visite, Surround Sounds parvient enfin à faire du bruit sans émettre de son dans une salle tapissée de vidéos immersives. Silence on hurle ... de bonheur !
Infos pratiques : Centre Pompidou, Galerie 1, niveau 6 / 14 à 17 € / jusqu'au 27 février 2023 / Réservation recommandée