Economie

Pouvoir d’achat : pourquoi la hausse des prix est plus marquée en Belgique ?

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Par Miguel Allo sur base du sossier de la rédaction sur la Première

Les transports en commun, mais aussi le ramassage des poubelles sont perturbés ce vendredi par une action syndicale en front commun. Des rassemblements et manifestations pour réclamer de meilleurs salaires dans un contexte d’inflation galopante et de prix de l’énergie qui n’en finissent plus de grimper.

Comprendre le phénomène d’inflation

Charlotte de Montpellier est économiste chez ING et décrypte avec nous le phénomène de l’inflation.

Nous pouvons tous le constater au quotidien tout commence à coûter plus cher. Au mois de mars, la Belgique a connu une inflation de plus de 8% au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro. La France, par exemple, tourne autour des 4%.

Pourquoi la Belgique est-elle si fortement touchée par l’inflation ?

Charlotte de Montpellier (C de M) : "Mais parce qu’ici, on est dans une situation où l’inflation vient à la base des produits énergétiques. Et en Belgique, on a toujours eu que les contrats énergétiques qu’ont les consommateurs (qui se retrouvent dans l’inflation des prix à la consommation) et qui évoluent avec les prix du gaz et de l’électricité sur les marchés. Et donc évidemment quand on a une forte hausse des prix du gaz, de l’électricité et des prix énergétiques de manière générale sur les marchés, ça se répercute directement sur les prix à la consommation et beaucoup plus directement en Belgique que dans d’autres pays. Ce qui explique pourquoi en Belgique, on a eu une inflation qui a augmenté beaucoup plus rapidement que dans d’autres pays."

La façon dont les contrats sont signés en Belgique fait que les consommateurs belges sont plus sensibles aux variations des prix de l’énergie.

C de M : "C’est ça. Donc en fait la façon dont le marché est organisé fait qu’il y a plus de sensibilité au prix de l’énergie en Belgique que dans d’autres pays. Alors ça veut dire que c’est favorable quand les prix sont à la baisse, bien entendu, c’est plus défavorable quand les prix sont à la hausse. Mais ça veut dire aussi que l’on est plus proche des évolutions du marché. Et donc le jour où les prix sur les marchés internationaux vont se remettre à baisser, plus rapidement on verra l’inflation énergétique baisser en Belgique que dans d’autres pays. Un tout petit mot pour dire que quand on compare à la situation en France, c’est très difficile parce que là-bas, en France, il y a eu beaucoup d’actions qui ont été mises, comme le bouclier tarifaire qui ont finalement limité très fortement la hausse des prix de l’énergie, dont l’électricité et donc de l’inflation. Et donc finalement, on n’est pas dans une situation complètement comparable."

Pour revenir aux causes qui font que l’inflation touche beaucoup la Belgique, est-ce que notre système, assez unique en Europe d’ailleurs, d’indexation automatique des salaires, contribue aussi à cette hausse des prix assez impressionnante en Belgique ?

C de M : "On a eu la première vague d’inflation qui vient des prix de l’énergie, qui a été directement répercutée sur les prix à la consommation. Mais évidemment, la conséquence de ça, c’est que finalement, il y a des indexations automatiques, on le voit assez rapidement en Belgique. Dans les autres pays, on n’a pas du tout ce système automatique. Ça veut dire que les salaires en Belgique ont augmenté plus qu’ailleurs. Ainsi, quand il y a ces hausses de salaires, ça conduit à des hausses de coûts pour les entreprises. En conséquence les entreprises sont forcées de répercuter ça sur leurs consommateurs. Et donc finalement on a une espèce de petite spirale qui se met en marche et les prix augmentent plus rapidement du fait de ce mécanisme d’indexation automatique. En tout cas, c’est ce qu’on a observé à l’heure actuelle. Alors évidemment, l’avantage de ce système, c’est que comparé aux autres consommateurs européens, le pouvoir d’achat est mieux préservé en Belgique qu’ailleurs. Ce n’est pas pour ça que le pouvoir d’achat n’est pas impacté par la crise actuelle, mais il est mieux préservé que dans d’autres pays européens, les pays voisins."

Le phénomène de l’inflation peut-il encore se poursuivre longtemps ou bien ou va-t-il de toute façon s’arrêter à un moment, voire diminuer ?

C de M : "Alors ça, c’est la grande question. Les prévisions d’inflation, où est ce qu’on en est ? Vers quoi est-ce qu’on va ? Ce qu’on voit actuellement, c’est que le choc initial sur les prix de l’énergie est en train de se répercuter au niveau international sur d’autres types de biens. Notamment, sur les biens alimentaires qui sont en forte hausse et qui vont probablement continuer d’augmenter aussi, compte tenu de la situation en Ukraine qui pèse sur l’approvisionnement dans certaines denrées alimentaires. Donc, on pense qu’il va y avoir encore de l’inflation. C’est clair, on n’a pas terminé avec cette histoire d’inflation."

"Ceci étant, on est probablement proche du pic d’inflation, d’une inflation qui est entre 8 et 10%. Probablement que c’est bientôt terminé et que petit à petit l’inflation va diminuer, tout simplement parce que l’inflation, c’est la croissance des prix. Donc on compare toujours par rapport à l’année d’avant. Et si la situation se stabilise avec des prix à un niveau élevé, l’inflation commence à baisser. Dès lors, on pense que l’inflation va rebaisser en 2023. Ce sont aussi les perspectives des organismes internationaux et de la Banque Nationale de Belgique. On va retourner vers les 2% qui est à un niveau plus raisonnable."

"Cela dit, ça reste une situation où l’inflation est supérieure à ce qu’on observait avant la crise sanitaire. On a un peu changé de paradigme. On a une inflation qui est supérieure, qui explique aussi pourquoi on se retrouve avec un changement dans la politique monétaire, donc avec des taux qui sont à la hausse. Mais voilà, ça a toute une série de répercussions. On est quand même rentrés dans une nouvelle ère économique de ce point de vue là."

Autrement dit, pour le consommateur, après la vague d’inflation sur les prix de l’énergie, la prochaine vague est peut-être déjà là, c’est celle sur les coûts de l’alimentation, le prix du caddie ?

C de M : "Voilà, l’Alimentation, c’est vraiment la deuxième vague d’inflation. En effet, elle a déjà commencé, elle va probablement perdurer encore compte tenu des tensions au niveau international. On sait quand même qu’on est influencé directement, par exemple, par le coût du blé sur les marchés internationaux. On est influencé dans l’alimentation par ces coûts-là et donc, comme ils ont fortement augmenté, ça va se répercuter sur les prix à la consommation. Mais de nouveau, c’est probablement un phénomène de l’ordre de quelques mois avant une stabilisation. Et donc on est en train d’aller vers une deuxième vague d’inflation, plutôt liée à d’autres types de produits que les produits énergétiques. Probablement qu’après, on aura une stabilisation de l’inflation comparée à ce qu’on a vu les derniers mois, avec des taux d’inflation tout à fait exceptionnellement élevés et très très élevé."

En résumé, l’énergie est plus chère, les transports sont plus chers et l’alimentation est plus chère. Ce qui pousse les syndicats à mener des actions aujourd’hui, notamment devant le siège de la Fédération des entreprises de Belgique, pour réclamer de meilleurs salaires.

"Nous sommes pour l’instant dans une urgence sociale", explique Jean-Marc Nemoth, secrétaire fédéral de la CSC Liège-Verviers. Il poursuit : "Le gouvernement a fait un certain nombre d’efforts, mais ils ne sont pas suffisants. On voit toute une série de travailleurs qui ont du mal avec les augmentations, notamment en matière d’énergie, à se déplacer pour aller travailler. Nous souhaitons absolument que des mesures supplémentaires puissent être prises et que d’autres mesures soient pérennes, comme la diminution de la TVA sur le gaz, sur l’électricité, etc., avec une hausse des salaires bien sûr. C’est d’ailleurs pour ça que nous souhaitons et que nous avons collégialement déposé une pétition au Parlement. L’objectif est de pouvoir négocier des salaires plus élevés dans les secteurs ou dans les entreprises qui sont en capacité d’augmenter ces salaires."

On entend les demandes des syndicats. On sait que le déficit public se creuse. Le FMI, par exemple, a estimé que la Belgique aurait le plus grand trou dans ses finances publiques parmi les pays industrialisés dans les prochaines années. Est-ce que les autorités politiques ont encore des marges de manœuvre pour répondre aux syndicats ? Pour protéger le pouvoir d’achat des citoyens, il y a encore des leviers ?

C de M : "D’un point de vue économique, on peut dire qu’il y a toujours des possibilités de mettre des choses en place, mais que la contrainte budgétaire est là et elle reste là. Ça veut dire que toutes les aides qu’on met en place doivent être financées d’une façon ou d’une autre. Et ce financement, il se passe au niveau d’un État globalement soit par une réduction des dépenses, soit par une augmentation de la taxation. Donc, est-ce qu’il y a une possibilité d’un point de vue économique ? Oui, mais cette possibilité est restreinte par la contrainte budgétaire et cette contrainte budgétaire devient de plus en plus tendue."

"La Belgique a un déficit, une dette très élevée et donc ça veut dire que chaque aide supplémentaire a un coût important et doit être financé d’une façon ou d’une autre. Et ça rentre dans un contexte qui est déjà plus compliqué que le contexte d’il y a quelques mois, dans le sens où la croissance économique ralentit. Cela veut dire un ralentissement des recettes pour l’État dans un contexte de taux d’intérêt qui augmente. Entendez que les charges d’intérêt que paye l’État sur la dette augmentent, donc l’endettement devient plus cher. Tout cela mis ensemble fait que la contrainte budgétaire est quand même très tendue et que les choix doivent être effectués. Lorsqu’il y a une aide pour un certain type de dépenses des ménages, c’est à la place d’un autre type de dépenses ou d’un autre type d’action de l’État. C’est toujours une histoire de choix sous contrainte."

Aider les citoyens et les protéger du pouvoir d’achat, ça veut dire réduire une partie du service au public. Autrement dit, réduire les recettes ou alors lever de nouveaux impôts. Qu’est-ce qui est le plus efficace ? Baisser la TVA, prendre des mesures très structurelles ou faire des mesures plus ciblées ? Les syndicats, par exemple, réclament d’augmenter l’indemnité de transport.

Est-ce qu’il faut des chèques ponctuels pour aider les travailleurs ou des mesures plus structurelles et à plus long terme ? C’est un peu le choix pour l’instant ?

C de M : "Ça dépend de comment on définit l’efficacité. D’un point de vue économique, on peut dire que les mesures plus ciblées, touchent, probablement, plus directement ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui sont le plus touchés par l’augmentation des coûts. Typiquement, quand on parle des frais de transport, globalement, ceux qui doivent payer leurs frais de transport pour aller travailler avec leur propre voiture sont plus touchés que ceux qui bénéficient d’une voiture de société et qui vont travailler en train.

"Le fait d’avoir des chèques ciblés ou le fait de prendre des mesures ciblées permet de toucher ceux qui ont le plus de difficultés dans la situation actuelle. Au finalement, ça permet de dépenser plus efficacement. D’un autre côté, on sait que c’est parfois plus compliqué de mettre en œuvre des mesures ciblées de manière précise et que ça prend beaucoup de temps. Dès lors, ça ne soulage pas les personnes qui en ont besoin rapidement par rapport à des mesures globales comme une baisse de TVA et qui est mis en place beaucoup plus rapidement. De ce point de vue là, c’est efficace dans la mesure où on n’a pas toute une administration qui doit se mettre en place. Cela dépend donc un peu de quel objectif on poursuit. Ceci étant, dans la situation actuelle, on sait que la hausse des prix qu’on voit actuellement est ciblée sur certains biens. Certains ménages sont beaucoup plus touchés que d’autres. D’un point de vue économique, ça a du sens d’essayer d’avoir une aide qui soit ciblée."

Davantage cibler les aides aux publics plus touchés par l’inflation. Ce sera en tout cas le dilemme politique qui va secouer le gouvernement De Croo dans les prochaines semaines et les prochains mois.

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JT du 22/04/2022

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