Belgique

Première mondiale au Centre d’Etude Nucléaire de Mol : une fission nucléaire réalisée avec de l’uranium pauvrement enrichi dans le réacteur BR2

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C’est une première mondiale, et elle est belge. Ça se passait hier après-midi au Centre d’Etude Nucléaire de Mol. Son réacteur de recherche BR2 a, pour la première fois, fonctionné avec de l’uranium faiblement enrichi. De cette façon, le CEN lutte contre la prolifération d’uranium hautement enrichi – un composant des armes nucléaires.

Pour comprendre les enjeux de cette expérience, il faut savoir que l’uranium faiblement enrichi n’est pas du tout adapté au fonctionnement de ce réacteur. Ce réacteur a besoin d’uranium hautement enrichi pour délivrer des rayonnements intenses nécessaires pour fabriquer des radio-isotopes médicaux.

Une expérience inédite qui produit un rayonnement bleu intense

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Pas facile de pénétrer dans les bâtiments du réacteur expérimental BR2 à Mol. C’est donc étroitement encadrés et après avoir franchi plusieurs sas de sécurité que nous arrivons au-dessus de la piscine d’un bleu intense dans laquelle est immergé le réacteur expérimental.

Après quelques minutes, plongés dans l’obscurité, nous voyons une barre de combustible émettre un rayonnement bleu intense, signe que la fission du combustible et que l’irradiation a fonctionné.

Cette barre de combustible n’est pas comme les autres, elle est composée d’un mélange d’uranium faiblement enrichi. En réussissant à la faire fonctionner, les chercheurs de Mol font surtout un grand pas contre la prolifération des armes nucléaires comme l’explique Peter Baeten, le directeur du CEN : "si on mélange l’uranium 235 (hautement riche) avec l’uranium 238 (pauvrement enrichi), et si la teneur en uranium 235 est inférieure à 20%, le mélange n’est plus utilisable pour fabriquer des bombes nucléaires. C’est connu internationalement, c’est une limite qu’il faut respecter à partir de maintenant pour nos réacteurs expérimentaux."

Un réacteur désormais unique au monde

Le BR2 de Mol n’est pas un réacteur nucléaire comme les autres. Seuls dix réacteurs de ce type existent dans le monde : cinq aux Etats-Unis, trois en Europe et deux en Russie. Chacun d’eux doit être capable de délivrer des rayonnements très intenses.

Les experts vont diront que ce type de réacteur doit avoir un flux neutronique plus élevé que les réacteurs nucléaires utilisés pour nous alimenter en électricité. Voilà pourquoi le BR2 fonctionne jusqu’à présent avec de l’uranium hautement enrichi, contrairement aux centrales nucléaires classiques.

L’utilisation d’uranium enrichi était indispensable pour la recherche sur toutes sortes de matériaux (le BR2 a notamment testé l’acier des cuves des réacteurs microfissurés Doel 3 et Tihange 2) et pour produire des radio-isotopes médicaux.

Le BR2, selon le CEN, fabrique 40% des isotopes pour soigner le cancer du côlon, de la prostate et du foie. C’est le leader mondial de l’industrie nucléaire médicale.

Mais pour cela, le réacteur utilisait plus de 90% d’uranium-235 (intensivement enrichi), exactement le minerai nécessaire pour les armes nucléaires. Si quelqu’un volait le combustible nucléaire du réacteur de recherche de Mol, il aurait donc immédiatement la base d’une bombe atomique, sans avoir à traiter le minerai d’uranium.

Aujourd’hui, les premiers essais avec de l’uranium faiblement enrichi sont concluants au grand soulagement de Peter Baeten : Si on veut changer un assemblage dans un cœur, il faut respecter les performances. Et donc ici, ce n’était pas facile de l’avoir avec 20% d’uranium 235. Nous avons donc dû développer un nouveau type de combustible pour garder les performances et pour continuer à fabriquer les radio-isotopes qui sont très importants pour le monde."

Un réacteur aux performances identiques même s’il fonctionne avec de l’uranium faiblement enrichi

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Mais comment un réacteur peut-il continuer à tourner à pleine capacité alors qu’il fonctionne avec un uranium quatre fois moins riche que la normale ? Tout simplement parce que les barres d’uranium sont créées de manière très innovante. Autrement dit, cela signifie que plus d’uranium est comprimé dans ses tubes.

Des tubes au design tout à fait particulier : ils n’ont plus rien à voir avec les tubes de combustibles d’un réacteur nucléaire produisant de l’électricité.

Steven Van Dyck, le manager du réacteur BR2, nous montre un prototype de tube de combustibles : "La dimension des plaques à l’intérieur du tube est vraiment bien plus mince que dans les crayons combustibles que l’on voit dans les centrales nucléaires. Grâce à ça, nous pouvons mieux évacuer la chaleur et générer beaucoup plus de neutrons que dans une centrale nucléaire. Grâce à ces flux intenses de neutrons, nous pouvons produire beaucoup de radio-isotopes, ce qui permet de faire avancer la médecine nucléaire."

Une exclusivité mondiale saluée par les autorités de sûreté américaines

L’autorité de sûreté nucléaire américaine était aussi présente lors de l’expérience. Christopher Landers, directeur du département de conversion énergétique ne cache pas son enthousiasme : "Depuis de nombreuses années nous avons un partenariat solide avec le CEN dans le travail de rassemblement pour la préparation de l’atomisation et ce moment aujourd’hui met en évidence une grande partie de l’incroyable capacité technique et le leadership qu’ils ont acquis dans ce domaine."

Les autorités de sûreté vont maintenant vérifier l’état des éléments : passent-ils toujours les tests normaux de sûreté après 60 jours ? N’ont-ils pas, par exemple, éclaté sous la pression et le rayonnement de l’uranium ? Ou d’autres anomalies inattendues seraient-elles survenues ? Jusqu’à présent, ils ont réussi tous les tests.

D’ici 2026, tous les combustibles du BR2 seront convertis et le BR2 n’utilisera plus d’uranium hautement enrichi qui servent dans la fabrication d’armes nucléaires.

Sur le même sujet (JT 19h30 du 29/03/2023) :

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