Présidentielle en France

Présidentielle 2022 "Under présure!" : en Savoie, tout un fromage… (dernière portion, la Tarentaise)

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Par Kevin Dero (graphisme: Quentin Vanhoof et Malaurie Gallez)

Ayant pris, depuis le début de la semaine, au pied de la lettre une phrase du Général De Gaulle, résonnant comme un appel, à savoir (à lire avec une voix puissante et bien chevrotante, si possible) :

Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ?

Nous sommes donc partis en vadrouille dans l’Hexagone à la rencontre de la France des terroirs, de ses habitants et de ses préoccupations. Des entrevues riches, où les fromages sont un prétexte pour dévoiler un peu de l'humeur de nos voisins à l'approche des élections présidentielles. Après avoir bu du petit-lait durant une semaine, place au vote

Car ça y est, c'est le jour J pour le premier tour. Aux urnes citoyens, et que les deux meilleurs gagnent!    

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TOM (M) E 7 : La Tarentaise

Les vaches taurines (ou tarentaises), une race rustique pour des fromages bien racés.
Les vaches taurines (ou tarentaises), une race rustique pour des fromages bien racés. © AFP

Pour la dernière étape de notre périple fromager, on prend de la hauteur. Direction : la montagne. Les Alpes, c’est beau, c’est fort. Les sommets sont encore bien blancs. Plus bas dans la vallée, déjà un petit goût de printemps. Les vaches Tarines sont en pleine forme. Issues d’une race rustique, avec leurs robes de couleur brun fauve, les belles des montagnes donnent un lait riche en matières grasses. Dans deux mois, vers le 15 juin, elles monteront aux alpages. En attendant, c’est l’heure de la traite. En file indienne, elles filent vers l’enclos prévu à cet effet. Les cornues montagnardes connaissent le chemin, et y vont quand elles le sentent. Nous sommes à la ferme du GAEC à Nancroix.

Des sommets enviés

Le hameau, perdu au fin fond de la vallée du Ponturin – petite rivière qui se jette dans l’Isère – vit à l’ombre des majestueuses montagnes du massif de la Vanoise. Auparavant, nous étions là sur une terre de mineurs. Avec, comme principale attraction, une mine de plomb et d’argent qui fit la réputation de la vallée de Peisey (Napoléon décidera même d’y implanter “l’Ecole des Mines du Mont Blanc” en 1802 (prestigieuse école qui sera délocalisée à Paris quelques années plus tard). Les travailleurs, experts aussi en fonderie, sont partis dans le courant du XIXe et XXe siècle, laissant la vallée dans une certaine somnolence.

Jusqu’au sortir du deuxième conflit mondial, où le réveil sonna avec fracas. Car la grande aventure des sports d’hiver à Peisey commença. Le premier télésiège de France y fut implanté en 1948. Pour en arriver à l’heure actuelle, où les hauteurs en sont parsemés. Les pistes multicolores déchaînent les cuisses des skieurs dans le domaine Paradiski, qui surfent du domaine des Arcs à celui de la Plagne (la station de Peisey-Vallandry se situant pile poil au milieu).

Peisey-Nancroix, bien lové dans la vallée du Ponturin, en Savoie
Peisey, en Savoie

Fondu(e)s de laitages

En bas des fronts de neige, et l’été sur les alpages, les vaches, ne vous fiez pas aux apparences, restent bel et bien les stars. Et leur production fait encore et toujours le bonheur des gourmets. Car sur les assiettes alpines, tomme de Savoie, raclette ou encore le fameux beaufort demeurent... incontournables.

Raclettes dans la fromagerie de Nancroix
Raclettes dans la fromagerie de Nancroix © - Kevin Dero

Passionné

Et oui, nous y voilà ! Pour clore notre "voie lactée" (ou "tour fromager", si vous préférez) en beauté, poussons la porte d’une… véritable fromagerie artisanale. C’est à Nancroix, à deux pas de la petite église, que nous retrouvons Jérôme Scalia. Le jeune homme y œuvre avec passion.

Il est occupé à retourner son beaufort. Et ce n’est pas une mince affaire. La meule pèse 40 kilos. Et il faut la retourner pas moins de cinq fois avant de la laisser affiner tranquillou durant au moins 5 mois. Pas moins de 12 meules sont produites par jour.

Nancroix, une des parties de la commune de Peisey-Nancroix.
Nancroix, une des parties de la commune de Peisey-Nancroix. © - Kevin Dero

Du lait en abondance...

Soudain, un coup de klaxon. Une livraison de lait qui arrive. L’or blanc vient de la ferme où nos Tarines sont si bien traitées. Et ce sont des dizaines de litres qui se déversent maintenant dans une énorme cuve qui servira bientôt pour une nouvelle production. 4900 litres de lait sont acheminés par jour dans la fromagerie, provenant de trois fermes différentes. Un lait qui est analysé à chaque arrivage. Car celui-ci n’est… jamais le même. Température de l’air, humidité, ce que broutent les vaches et où – selon qu’elles se nourrissent à l’orée d’une forêt ou dans un endroit où poussent des fleurs, le goût du lait ne sera pas identique -. Et la saveur fromagère de varier, un peu… quotidiennement. Dix à onze litres de lait sont nécessaires pour produire un kilo de fromage.

Jérôme Scalia, fromager à Nancroix
Jérôme Scalia, fromager à Nancroix © - Kevin Dero

Goût subtil

Dix à onze litres de lait sont nécessaires pour produire un kilo de fromage. Tout l’art (car c’en est un) est de conjuguer de multiples paramètres laitiers pour obtenir, in fine, un produit de qualité.

Faire un beaufort, ce n’est vraiment pas une mince affaire.

Under présure

L’AOP (appellation d’origine protégée, ndlr) est en place depuis 53 ans”, explique Jérôme Scalia. “Le cahier des charges ne change pas, mais on se doit de toujours expérimenter”. De fait, figurez-vous que le fromage est une matière bien vivante. Un jeu de retournements et de température idéale se met ensuite en place pour le fromager. Après 5 mois d’affinage, une vérification s’impose. Et elle peut engendrer des surprises… “On ne sait pas, au moment où on le fait, si le beaufort va être bon. Il se peut qu’un peu d’air s’y infiltre, qu’un truc ne se passe pas comme prévu, et alors, ben, on doit le jeter. En fait, on ne connaît pas tout à fait le processus de fabrication. C’est toujours mystérieux”. En effet, il s’agit de mélanger des bactéries, notamment celles présentes dans la caillette, le quatrième estomac de jeunes veaux. Avec ces enzymes, on fait de la présure. Celle-ci, préparée sur place un jour sur deux, va servir de coagulant pour faire cailler le lait, et de là le transformer en fromage.

Le fromage, c'est donc tout un petit monde. Un univers de saveurs qui vit et qui respire ensuite dans les caves attenantes à la fromagerie, où les meules vont reposer des mois durant.

Lavages et raclettes

Ici, dans ces salles de repos, il y a aussi d'autres fromages bien connus. Des raclettes, étendus, jaunes orangés, sur les étagères. Ils y restent 1 mois et demi minimum. La présure qui sert à la fabrication du beaufort est aussi incorporée pour la raclette. Un goût pour cette raclette -fromage originaire de Suisse, faut-il rappeler aux puristes-  qui sera donc différent, au finish, des fromages à raclette traditionnels.

Au sol, des flaques de saumure, ce mélange d’eau et de sel avec lequel sont frottés les frometons.

Et il en passe du temps à les bichonner, ses fromages, Jérôme Scalia. Les ceint d’une plaque de bois, les couvre d’une maille, les met sous une presse, les plonge dans des bains de saumure, les retourne… Leur parle, presque.

La famille à tous les laitages

Cela fait trois ans que ce mécanicien agricole de formation s’est lancé dans la fabrication. Il ne vient pas cependant du diable Vauvert. Ses parents et son oncle tenaient auparavant l’exploitation. Jusqu’à la fin des années 70, c’était même son grand-père, le fromager de Nancroix. Un fameux défi cependant que Jérôme relève de mains de maître (– fromager) avec la fille de Pierre, Anaïs (qui travaille à la ferme), sa compagne Lucie (plutôt attachée à la vente) et leur jeune fils de Lucie, Mathis. Pierre (dit Pierrot), l'oncle de Jérôme, s’occupe avec lui au façonnage des fromages.

Lucie et Mathys, à la fromagerie de Nancroix
Lucie et Mathys, à la fromagerie de Nancroix © K.D.

Coopérative

Les affaires tournent bien, pour le moment, selon Jérôme. L’enthousiaste savoyard s’occupe depuis ce début d’année du lait d’un troisième groupement de producteurs. La " fromagerie de Peisey " centralise maintenant l’or blanc du GAEC Alpin, des Tarines de l’Aliet et des chèvres de Sainte-Agathe. Ces groupements achètent le lait aux producteurs.

Une production dans ce coin de Tarentaise qui reste malgré tout assez confidentielle. " C’est peu, ce groupement de différents laits, comparé aux à des coopératives du Beaufortains qui peuvent compter jusqu’à cent troupeaux " souligne Jérôme Scolia.

Visites gourmandes

Quand vient la belle saison, c’est même davantage plus prégnant. Le beaufort, notamment, est fabriqué au cœur des estives. Avec une façon de faire… encore plus artisanale. Et le lait d’un troupeau bien précis. On fabrique alors du beaufort dit " chalet d’alpage ". Un must.

J’aime passionnément transmettre

Durant les saisons plus sombres, la petite famille, enthousiaste, se charge aussi de faire découvrir aux amateurs leurs installations. Une fois par semaine, Jérôme, œil vif et gestes précis, y commente son travail. Et y communique sa passion. " Ça me réjouit de plus en plus, ces visites. J’aime passionnément transmettre, montrer et expliquer comment on s’y prend pour fabriquer nos fromages ", déclare-t-il, tout en caressant, en douceur, un grand beaufort.

Le jour du vote est arrivé…
Le jour du vote est arrivé… © Kevin Dero

Dites "cheese"!

En voilà pour notre petite prise de température dans la " Douce France ". Une escapade de surprises, de découvertes et de rencontres. De rencontres avec des citoyens et des citoyennes souvent très conscients des enjeux, ouverts et critiques. Des personnalités diverses qui devraient peut-être se rendre aux urnes ce dimanche pour le premier tour de cette élection présidentielle. Pour la plupart, ils sont indécis. La campagne a été bizarroïde cette année et l’abstention est une crainte bien réelle.

 

Ce qui est sûr cependant, c’est que la convivialité est toujours de mise et leur environnement important pour nos voisins. Des terroirs avec des fromages bien singuliers. Qui ont le mérite de rassembler une bonne partie de la nation autour de leurs goûts. Et qui ont aussi, pour la petite histoire, eu la conséquence que le palais de votre serviteur-rédacteur s’est bien aiguisé au contact de leurs saveurs… Et qu'il a appris à beaucoup mieux les apprécier.

C’est vrai que c’est bon, finalement, le fromage...

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