Bruxelles

Prisons, existe-t-il des "détenus de seconde zone" ?

Prisons : existe-t-il des "détenus de seconde zone" ? (par B. Boulet)

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Par Barbara Boulet

L’administration pénitentiaire commence à vider la prison de Saint-Gilles, en région bruxelloise. Dès ce lundi 1er mai, il n’y aura plus aucun nouvel écrou dans cette vieille prison insalubre. Ensuite, centaine par centaine, jusqu’à la fin de l’été, les détenus de St-Gilles seront transférés dans le centre pénitentiaire flambant neuf de Haren.

Pas tous, en réalité. Car sur les 850 détenus que compte aujourd’hui Saint-Gilles, certains vont devoir prolonger. Ceux qui séjournent dans l’aile psychiatrique déménageront seulement à l’automne, si tout va bien, faute de personnel en suffisance à Haren. Et puis surtout, une catégorie de prisonniers n’est pas sûre de quitter l’établissement vétuste. Ou en tout cas pas de sitôt. Les condamnés sans titres de séjour ne seront pas transférés avant la fin 2024, "au moins", selon l’expression de la porte-parole de l’administration pénitentiaire. Ce sont eux qui ont été désignés pour continuer à séjourner dans l’aile qui restera ouverte à la prison de Saint-Gilles, selon la volonté des autorités de conserver, outre la nouvelle prison bruxelloise, "une capacité de places supplémentaires".

"Régime adapté"

Pourquoi eux ? "L’avantage d’un groupe cible spécifique, quel qu’il soit, est de pouvoir développer une gamme de services et d’assistance ainsi qu’un régime adapté à ce groupe", expliquait au mois de septembre le Ministre de la justice à la Chambre, alors qu’il était interrogé par une députée. A cette époque, la décision n’avait pas encore été prise — ou du moins officialisée —, mais Vincent Van Quickenborn défendait l’idée d’un aspect pratique. Ce que confirme aujourd’hui l’administration pénitentiaire. Par exemple pour les contacts avec l’office des étrangers, dit-elle.

Mais pour la Ligue des droits humains et la section belge de l’Observatoire International des Prisons, cette décision traduit plutôt une tendance à considérer ces prisonniers comme des "détenus de seconde zone". "Ce sont deux catégories de détenus particulièrement vulnérables. On a d’une part des personnes qui souffrent de pathologies mentales importantes et d’autre part on a des étrangers sans titres de séjour. Dans les deux cas ce sont des gens qui ont des besoins énormes, en soins médicaux et en termes de réinsertion. Or on a l’impression, que l’administration va sous-investir ces personnes et les abandonner – si l’on peut dire — dans des locaux considérés comme vétustes pour les autres détenus", commente Manuel Lambert, conseiller juridique à la Ligue des droits humains.

On a l’impression, que l’administration va sous-investir ces personnes et les abandonner

En ce qui concerne les détenus étrangers sans titre de séjour, la Ligue craint que lorsque le Ministre parle de "régime adapté", il s’agisse en réalité d’un régime "à la baisse". "Nous pensons que l’administration part du principe que ce sont des détenus avec moins de besoins que les autres. Ils n’ont pas de famille. Ils sont isolés. Ils ont moins de contacts sociaux. Moins de contacts avec des services de réinsertion car leur titre de séjour les empêche d’avoir un avenir à long terme en Belgique. Donc on part du principe qu’il y aura moins de besoins en personnel. Donc quelque part on peut les abandonner dans ces locaux avec moins de personnel. C’est pour nous un problème majeur".

"C'est vraiment une espèce de double standard", commente par ailleurs Agathe De Brouwer, avocate au barreau de Bruxelles et membre de l'Observatoire International des Prisons. "D'un côté, on a les détenus classiques - étrangers en ordre de séjour et belges - qui vont être transférés à la prison de Haren présentée comme la prison modèle même si ça reste discutable mais c'est un autre sujet. Et puis on a les détenus étrangers sans droit au séjour. Eux peuvent rester dans des conditions de détention indignes et ça ne semble pas être considéré comme problématique par l'administration pénitentiaire".

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