C’est une situation inédite pour le monde agricole. A plus de 800 euros la tonne, les engrais azotés sont presque devenus un produit de luxe. Le prix a été multiplié par quatre en l’espace de quelques mois. La facture est donc salée pour les agriculteurs confrontés à d’autres hausses de prix.
Parmi les raisons qui expliquent la flambée du prix des engrais, il y a le prix du gaz qui a littéralement explosé alors que le gaz représente près de 80% du coût de production des engrais comme l’explique Kevin Deronne, Product Manager Céréales au sein du groupe Arvesto. "Il faut savoir que les engrais azotés, fort utilisés en agriculture, sont fabriqués à base d’ammoniac. Cette substance chimique est elle-même synthétisée par le gaz naturel dont le prix avait déjà fortement augmenté et, malheureusement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis le feu aux poudres". Résultat : le prix des engrais bat record sur record. Et la crainte aujourd’hui est d’être aussi confronté à une pénurie. Il faut savoir que l’Europe est très dépendante de la Russie non seulement pour l’approvisionnement en gaz naturel mais aussi en ammoniaque, On peut donc craindre des ruptures d’approvisionnement.
La bonne nouvelle c’est que les stocks accumulés permettent pour le moment de répondre à la demande mais rien ne dit que ce sera encore le cas à moyen terme. "Si on prend par exemple le marché du phosphore et de la potasse, nous sommes réellement dépendants de produits finis qui viennent directement de la Russie et de la Biélorussie, et pour lesquels nous sommes clairement confrontés à un risque de rupture d’approvisionnement. Le problème est qu’il n’y a pas vraiment d’alternative" précise Kévin Deronne. Conséquence : les prix pourraient continuer à augmenter.
Un choix cornélien pour certains agriculteurs
Cette situation impacte fortement les agriculteurs et surtout ceux qui ne disposent pas de stocks d’engrais. Ils sont confrontés à un choix cornélien : investir beaucoup d’argent vu les prix actuels sans avoir la garantie de s’y retrouver financièrement si les prix de vente des récoltes à partir du mois de juillet ne seront pas suffisamment élevés. Rien ne dit par exemple que les prix actuels pour les céréales, au plus haut depuis 2008, le seront encore dans quelques mois. En fonction de leur trésorerie, certains agriculteurs risquent de devoir diminuer les apports d’engrais minéraux comme le confirme Coraline Melckenbeeck, ingénieure-agronome au Crepa-Carah d’Ath, un service provincial au service des agriculteurs. "Effectivement. Et pourtant, l’azote est essentiel pour les plantes à la fois au niveau de leur développement mais aussi de leur rendement. Sans cet apport ou en réduisant la dose de fertilisant appliquée, le risque est d’avoir une mauvaise récolte ou des rendements moindres. Et si les prix de vente ne sont pas à la hauteur, les finances seront alors clairement en négatif. Le problème c’est que cette année, on a aucune vision claire de comment la situation va évoluer".
Pour Hervé Deschamps, agriculteur depuis plus de 30 ans à Brugelette, c’est une situation clairement inédite. "Je n’ai jamais vu cela. Je plains ceux qui n’ont pas de stock vu les prix actuels. Le problème c’est que tout augmente : le prix du matériel agricole coûte 10 à 15% plus cher, le prix du gasoil est en hausse, idem pour les aliments pour bétail, etc." La situation, on l’aura compris, n’est pas simple, pour ne pas dire difficile. Sans compter que les agriculteurs craignent maintenant aussi une pénurie d’engrais suite aux sanctions prises contre la Russie et la Biélorussie.