Procès Deliveroo : "Il est temps de siffler la fin de la récréation et de prendre des lois claires"

Martin Willems, délégué syndical à la CSC et fondateur de la plateforme "United Freelancers"

© RTBF

Ce jeudi s’ouvre à Bruxelles un procès impliquant la société Deliveroo : le juge doit se prononcer sur le point de savoir si les coursiers à vélo sont des indépendants ou des salariés. Interrogé sur La Première, Martin Willems, délégué syndical à la CSC et fondateur de la plateforme "United Freelancers" trouve important de signaler que "c’est un procès qui a été lancé par l’auditorat du travail. L’auditorat du travail, c’est le ministère public, c’est comme le procureur, mais en matière de travail, donc ce ne sont pas les syndicats qui ont lancé ça. Il a fallu à l’auditorat du travail deux ans d’enquête, les auditions de plus de 100 coursiers pour qu’il estime finalement que Deliveroo aurait dû ces milliers de coursiers, comme des travailleurs salariés. Aujourd’hui, grosso modo, ils sont indépendants. C’est un peu plus subtil que ça : 15% ont vraiment le statut d’indépendant et 85% sont dans ce régime qu’on appelle de l’économie collaborative. C’est un régime qui a été créé en 2016 et qui était supposé être pour une petite activité complémentaire : on ne doit pas être affilié à un régime de sécurité sociale et il y a un impôt forfaitaire de 10%".

La CSC estime qu’il faut les considérer comme des salariés : "Parce qu’il faut d’abord regarder la réalité du travail. Et la réalité du travail est telle que quand on travaille pour Deliveroo — et c’est la même chose pour d’autres plateformes, comme UberEats — on est subordonné. C’est un mot un peu barbare, mais ça veut dire qu’on travaille sous la direction complète de la plateforme. Ce ne sont pas des êtres humains, c’est une plateforme, une application qui vous envoie des instructions, et quand on travaille sous la direction complète d’une personne, à ce moment-là, on est un travailleur salarié".

Travail à la chaîne

"Quand la plateforme dit qu’elle est une simple interface, c’est vraiment de la poudre aux yeux. Il faut bien se rendre compte que quand vous réalisez une livraison, on vous guide pas à pas. On vous dit à quel restaurant aller. Quand vous arrivez au restaurant, vous devez pousser sur un bouton 'Je suis au restaurant'. Vous attendez la commande et quand vous la recevez, vous poussez sur un bouton. On vous donne à ce moment-là l’adresse où aller la livrer. Quand vous arrivez, vous poussez sur un bouton. Quand c’est livré, vous poussez sur un bouton. Donc, c’est pas à pas. C’est quasiment comme du travail à la chaîne" poursuit le syndicaliste.

Lorsque Deliveroo affirme que les livreurs sont libres de travailler quand ils veulent, Martin Willems considère que "c’est la grande embrouille et c’est l’argument sempiternel : 'ils travaillent quand ils veulent'. En fait, c’est totalement faux. Pourquoi ? Travailler, c’est faire une prestation contre rémunération. Alors, c’est vrai, vous vous connectez quand vous voulez, mais quand vous vous connectez, vous n’êtes pas payé. À ce moment-là, vous commencez à attendre que la plateforme veuille bien vous envoyer du travail, et quand vous attendez, vous n’êtes pas payé. Ce n’est qu’au moment où elle décide de vous envoyer un peu de travail, et c’est bien la plateforme qui le décide, et vous attendez parfois fort longtemps, entre les livraisons. Certains disent qu’en trois heures, il ne peut y avoir que deux ou trois commandes à livrer, parfois plus, parfois moins, c’est tout à fait imprédictible. Donc, l’essentiel du temps, vous n’êtes pas payé. Et donc, quand Deliveroo dit que vous pouvez aussi travailler pour d’autres plateformes, oui, mais c’est dans le temps où ils ne vous payent pas. Et donc, finalement, ce qu’ils vous disent, c’est que vous faites ce que vous voulez dans le temps où ils ne vous payent pas. La belle affaire !"

Accidents du travail

"Quand on est salarié, on est couvert par ce qu’on appelle l’assurance accidents du travail suivant le niveau défini par la loi. On peut dire qu’on n’est encore pas assez couvert, mais on est relativement bien couvert. Comme ils ne sont pas reconnus comme des travailleurs salariés, ils ne sont pas couverts par cette assurance. Deliveroo a bien pris de sa propre initiative une petite assurance, d’un niveau très inférieur. Dans le magazine #Investigation on montrait que dans certains cas, pour des dommages corporels, elle couvrait 20 fois moins que l’assurance légale. Pour les dommages matériels, rien du tout".

Si le tribunal du travail donne tort à Deliveroo la plateforme va devoir payer des sommes assez importantes. "Deliveroo devra occuper ses coursiers sous statut salariés. Pour le passer, il faudra que chaque coursier individuel vienne réclamer son dû et dire : 'Si j’étais salarié, alors vous auriez dû me payer autrement'.

"Si ces affaires en justice sont importantes, c’est surtout pour donner un signal aux politiques, de dire qu’il est temps de siffler la fin de la récréation et de prendre des lois claires".

Des règles trop floues

Lorsqu’il a instauré le régime de l’économie collaborative, "le gouvernement disait qu’il ne fallait pas qu’il rate le train de la nouvelle économie. Ce n’est pas faux, mais ça ne veut pas dire que cette nouvelle économie doit fonctionner totalement en dehors des règles. Et aujourd’hui, on remarque que pour cette nouvelle économie, les règles sont floues ou en tout cas qu’ils essayent de créer un état de fait en se mettant en dehors des règles existantes. Il faut repréciser les règles".

La décision du tribunal du travail est attendue d’ici la fin de l’année.

Recevez chaque vendredi l'essentiel de Matin Première

Recevez chaque semaine une sélection des actualités de la semaine de Matin Première. Interviews, chroniques, reportages, récits pour savoir ce qui se passe en Belgique, près de chez vous et dans le monde.

Articles recommandés pour vous