Belgique

Procès des attentats de Bruxelles : "Aline, je suis venu ici pour que tu vives un instant", le témoignage de Pierre Bastin pour sa fille

L’instant de l’explosion à Maelbeek

© RTBF

Témoignage émouvant que celui du médecin Pierre Bastin, père d’Aline décédée dans l’attentat du métro Maelbeek. Son épouse Chantal n’a pas eu la force de venir témoigner. Seul son fils Eric est présent à ses côtés. Pierre Bastin ne lit plus un livre sans savoir que sa fille est derrière lui : "je sais qu’elle passe sa tête au-dessus de mes épaules " et qu’en voyage "nous sommes ses yeux et ses oreilles".

Tu ne marcheras plus dans la rue

Avant d’entamer son témoignage devant la cour, il s’adresse à sa fille décédée la voix brisée par l’émotion, "Aline je suis venu ici pour que tu vives un instant ". Il lira aussi des extraits d’un texte de Prévert, car Aline adorait la littérature et le cinéma. "Tu ne marcheras plus dans la rue" continue-t-il. Le lendemain de sa mort, Aline aurait dû signer l’acte d’achat de son appartement, "ce fut le sujet de notre dernier entretien téléphonique avec elle, la veille du 22 mars", un moment de joie pour le père sachant le bonheur que ce serait pour Aline de signer cette première acquisition. Et d’expliquer qu’Aline cohabitait jusque-là à Watermael-Boitsfort, à l’orée de la forêt de Soignes, que c’était une fille qui adorait voyager, appréciée de tous en raison de son tempérament optimiste, pétillant, plein de vie. Sa sensibilité l’avait poussée à changer de régime alimentaire, "elle était devenue végétarienne pour ne plus participer aux souffrances que nous infligeons au monde animal". Sa vocation, c’était le journalisme, elle avait passé son bac à l’Université de Liège puis continué son master à l’Université libre de Bruxelles.

L’intuition d’une mère, l’inquiétude et l’angoisse

Pour en arriver à cette funeste matinée du 22 mars, où après avoir appris au petit-déjeuner par la radio l’attentat à l’aéroport, Pierre Bastin se revoit questionnant son épouse : "Et Aline qui doit partir travailler dans le quartier européen en métro, est-ce qu’on ne devrait pas la prévenir ?". Une suggestion que la mère d’Aline écartera connaissant le tempérament de sa fille, leur reprochant de trop la protéger, "elle dira qu’on s’inquiète pour rien, qu’il n’y aura pas un autre attentat". Lorsque la maman apprendra peu après 9 heures l’explosion à la station Maelbeek, "son cœur battra la chamade" explique Pierre Bastin, "l’intuition d’une mère", elle aura un mauvais pressentiment.

Le portable est allumé mais elle ne répond plus aux messages

Les deux parents tentent alors en vain de joindre Aline sur son portable. Son père laisse un message SMS : "Aline, tu n’es pas dans le métro ? Réponds-nous !". Pierre Bastin constate alors sur Messenger que le point vert sur le portable est allumé mais qu’elle ne répond plus aux messages. Peu après, une collègue d’Aline téléphone pour indiquer qu’elle n’est pas arrivée au travail. L’inquiétude fait place à l’angoisse, "on a fait tous les numéros de téléphone des hôpitaux en donnant une description d’Aline". Ils apprennent par la police qu’il est impossible de pister un téléphone sans l’autorisation d’un juge. Une trop longue attente commence.

Une longue attente qui ajoute à la souffrance

Aline Bastin décédée le 22 mars à la station Maelbeek
Aline Bastin décédée le 22 mars à la station Maelbeek © Pierre et Eric Bastin

Le lendemain du 22 mars au matin, le téléphone sonne. La police locale invite les parents à se rendre à l’hôpital militaire à Bruxelles. Une assistante sociale sonne peu après à la porte pour les accompagner. Arrivés sur place, ils découvriront que de nombreuses familles sont présentes et plongées elles aussi dans l’angoisse.

La reine Mathilde s'est assise à notre table les yeux humides

Car il s’agit de livrer tous les détails permettant d’identifier les personnes portées disparues dans l’attentat, "lors de la visite du couple royal à l'hôpital, la reine Mathilde s’est assise à notre table, les yeux humides". La police leur avait demandé de contacter le dentiste d’Aline pour envoyer une empreinte de sa dentition, "avait-elle un trousseau de clés ?". 

Plus grand chose à espérer mais le cœur tente de se raccrocher à la moindre aspérité pour espérer

Un ami a dû se déplacer ensuite pour chercher à son domicile sa brosse à cheveux, puis des policiers en tenue blanche du "DVI" finiront par apporter le sac d’Aline, "à un moment la raison dit qu’il n’y a plus grand-chose à espérer mais le cœur tente de se raccrocher à la moindre aspérité pour espérer" explique le père d’Aline. D’autant qu’après la visite le mercredi à l’hôpital, il faudra attendre le samedi matin pour recevoir la confirmation officielle du décès d’Aline, une trop longue attente, "votre fille a été identifiée. Nous en perdons les jambes. Pouvez-vous prendre des vêtements pour habiller Aline?" Le mauvais rêve est devenu réalité.

Les questions sur le traitement réservé à Oussama Atar

Eric Bastin, frère d’Aline
Eric Bastin, frère d’Aline © RTBF Patrick Michalle

Aujourd’hui le chagrin reste présent, immense "sa chambre est restée chez nous telle qu’elle était avec ses livres, les objets rapportés de voyage […] Je resterai en manque d’Aline pour toujours, comme un oiseau qui a perdu ses ailes". Mais il reste aussi les nombreuses questions qui demeurent sans réponse sur les causes de tout ce qui est arrivé. 

Le dispositif sécuritaire en Belgique pas à la hauteur

Tant Pierre Bastin que son fils Eric estiment que le dispositif sécuritaire en Belgique a failli, "malgré une fiscalité élevée, les autorités n’ont pas été à la hauteur" pointera Eric Bastin, très critique aussi sur la manière dont les victimes ont été traitées en Belgique. Le traitement réservé à Oussama Atar, le commanditaire des attentats de Paris et de Bruxelles, lors de son retour en Belgique est pour lui un trou noir de l’enquête. Arrêté et détenu en Irak, les Américains avaient prévenu la Belgique de sa dangerosité, "Malgré cela certaines personnalités politiques ont fait campagne pour sa libération en Irak ? Et après son retour dans notre pays il a pu visiter sans problème en prison ses cousins, les frères El Bakraoui, pour les radicaliser ?".

Ce procès est la dernière occasion d'y voir clair

Tout cela pose question dit-il avant d’ajouter qu’Oussama Atar a par la suite pu regagner les zones de combat grâce à un passeport délivré par la Belgique alors que nos autorités s’étaient engagées à ce qu’il ne quitte plus le pays. Pour les parents d’Aline, assassinée au métro Maelbeek par Khalid El Bakraoui, "ce procès est la dernière occasion pour poser ces questions et tenter d’obtenir des réponses".

Sur le même sujet : Extrait JT (22/03/2023)

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